Ousmane Sonko revient avec ses lives. Dans une déclaration dense, grave et lucide, il brosse le portrait d’un pays qui peine à rompre avec son passé administratif et judiciaire, tout en annonçant la mise en œuvre prochaine d’un ambitieux plan de redressement national. Une réponse politique à la hauteur des attentes populaires, mais aussi un aveu des résistances qui freinent la transition promise. Derrière la stratégie, le désenchantement. Derrière l’optimisme, la mise en garde.
Dans un live diffusé en direct sur sa page facebook, le chef du gouvernement sénégalais a redessiné les contours du moment politique, entre lenteurs de la transition, résistances de l’administration, ambitions de réforme et annonce d’un plan de redressement national.
Un plan de redressement national comme réponse aux attentes populaires
«Dans les prochains jours, je présenterai le plan de redressement aux Sénégalais». La phrase, lancée avec assurance, est une promesse et un pari. Elle engage le gouvernement Diomaye-Sonko sur la voie des réformes concrètes après trois mois de rodage. Jusqu’ici, les actes posés par l’exécutif relevaient surtout de la symbolique ou des déclarations d’intention. Le temps est désormais venu de structurer une action publique lisible, coordonnée et mesurable. Et Sonko le sait : l’attente est forte, l’impatience palpable. «Il s’agit d’un plan sur lequel nous travaillons avec nos équipes depuis quelque temps. On dira aux Sénégalais comment faire pour redresser ce pays. Mais on dira également aux Sénégalais ce que nous attendons d’eux pour redresser le pays ; ce que l’État va consentir comme sacrifice en procédant à une diminution de son train de vie ou encore comment nous allons faire pour convaincre les partenaires», a poursuivi Ousmane Sonko à propos du plan de redressement.
«Les principaux responsables de cette situation économique catastrophique répondront de leurs actes»
Mais déjà, prévient le patron de Pastef, «une telle opération ne saurait se faire sans que les principaux responsables de cette situation catastrophique que traverse le pays ne répondent de leurs actes». «Parce que tant que les Sénégalais ne verront pas les responsables de l’ancien régime devant la justice pour s’expliquer sur leurs actes, il sera impossible de leur faire croire à ce que nous disons. Mais le plus important, c’est que les peines qui seront prononcées soient d’une sévérité que personne dans ce pays ne puisse une seule seconde penser à poser de tels actes. Parce que ce qu’ils ont fait, c’est ni plus ni moins qu’une hypothèque du pays et des générations futures», explique encore le Premier ministre.
Ce plan de redressement, s’il tient ses promesses, pourrait devenir le marqueur fort de la première année du quinquennat. D’autant que Sonko y rattache une vision à long terme : «nous allons réussir au point où tout le monde sera étonné de voir les résultats.»
Un aveu d’impuissance partielle : ‘’le changement systémique est très difficile’’
Mais ce plan arrive dans un contexte marqué par la résistance du système administratif et judiciaire. Et Sonko n’a pas fait mystère de sa frustration. En effet, le ton est grave, presque désabusé, il souligne ce que de nombreux observateurs avaient déjà noté : la transition politique ne s’est pas encore traduite par une transformation en profondeur de l’appareil d’État.
L’administration centrale reste dirigée, pour l’essentiel, par les mêmes hauts fonctionnaires que sous le régime précédent. «Ce n’est pas parce qu’on a élu Bassirou Diomaye Faye le 24 mars 2024 que tout allait changer du jour au lendemain. Le changement systémique est très difficile. Les mêmes fonctionnaires sont toujours là, la même justice est toujours présente, que ce soit le bon ou le mauvais côté», explique le chef du gouvernement, laissant entendre que le fonctionnement des institutions judiciaires, souvent accusées d’être politisées, demeure inchangé.
Selon lui, le poids de l’héritage bureaucratique continue de freiner les élans réformateurs du nouveau pouvoir. «Chaque jour est un combat dans ce processus de transformation», confie Sonko. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la phrase sonne comme une alerte, adressée à ceux qui, dans le peuple comme dans la coalition au pouvoir, pensaient que l’alternance suffirait à renverser l’ordre établi. Elle est aussi un appel à la patience.
Le dilemme de la réforme judiciaire
Dans ce contexte, la justice apparaît comme un nœud stratégique. D’un côté, elle incarne l’État de droit que le nouveau pouvoir dit vouloir renforcer ; de l’autre, elle reste perçue comme l’un des bastions du système hérité. Dans cette situation, Ousmane Sonko tente de tenir une ligne de crête. «Concernant la Cour suprême, j’ai moi-même écrit au ministre de la Justice le 5 mars. Je lui ai dit que, quel que soit le dossier me concernant, la justice devait faire son travail», dira-t-il, cherchant à déjouer les accusations de manipulation politique, tout en affirmant sa confiance dans les magistrats honnêtes. Mais il ajoute aussitôt : «il y a dans la magistrature des hommes et des femmes intègres, qui font honneur à leur fonction. Mais il y en a aussi qui se laissent malheureusement instrumentaliser par des intérêts politiques.»
Une promesse de rigueur, mais quelle méthode ?
Le discours de Sonko repose donc sur une tension permanente : d’un côté, un diagnostic implacable sur les tares du système ; de l’autre, une promesse de transformation rapide, méthodique, irrésistible. Mais entre ces deux pôles, il manque encore un élément : la méthode.
Comment réformer un appareil d’État rétif sans provoquer de rupture institutionnelle brutale ? Comment réconcilier le discours de rupture avec les exigences de gouvernance ? Comment transformer la justice sans créer de guerre ouverte avec le Conseil supérieur de la magistrature ? Autant de questions auxquelles le futur plan de redressement devra répondre.
En attendant, Sonko tente aussi de projeter une image dynamique à l’international. Il cite l’intérêt de la marque Mercedes-Benz pour implanter une usine d’assemblage au Sénégal : «Aujourd’hui, le Sénégal intéresse le monde entier. D’ailleurs, même Mercedes Benz veut mettre son usine d’installation de véhicules dans notre pays.» L’exemple est destiné à prouver que le pays attire les investisseurs, que les lignes bougent, que l’espoir renaît. C’est aussi un signal lancé aux partenaires internationaux : le Sénégal n’est pas un pays bloqué, mais une démocratie en transition, en quête de modernisation économique.
«Moi, Ousmane Sonko, je continue de mener les mêmes combats, avec la même détermination»
Enfin, dans un passage où il s’adresse directement à son électorat, Sonko rappelle son engagement inébranlable : «Moi, Ousmane Sonko, je continue de mener les mêmes combats, avec la même détermination. Mon objectif reste inchangé : remettre ce pays sur les rails. C’est notre responsabilité collective, en tant que dirigeants, devant l’histoire et devant le peuple. »
En définitive, cette sortie post-Cour suprême a été plus un acte politique qu’une réponse judiciaire. En effet, elle vise à reprendre le narratif, à occuper l’espace public, à devancer les critiques. En choisissant le terrain du redressement national et de la transformation systémique, Sonko replace le débat sur le temps long, celui de la construction d’un nouveau Sénégal.
Mais il sait aussi qu’il sera jugé non pas sur ses discours, mais sur les actes. Le futur plan de redressement devra convaincre, non par ses intentions, mais par son exécution. Dans un contexte d’attente sociale élevée, de tensions administratives internes et de vigilances politiques multiples, le Premier ministre joue désormais une partie cruciale. Celle qui distinguera le tribun de l’homme d’État.
Sidy Djimby NDAO
Correspondant permanent en France