Le professeur Ousseynou Samba ne comprend pas pourquoi le procureur a renvoyé Khalifa Sall en audience ordinaire. Invité hier de la Tfm la semaine dernière, il a aussi déploré le fait que Serigne Bassirou Guèye n’ait pas informé les avocats du maire de Dakar de la date et du lieu du procès de leur client, comme l’exige la loi. Déplorant la manière dont le dossier est traité, il ne comprend pas non plus qu’on ait refusé la liberté provisoire à l’édile de la capitale qui a cautionné plus que le 1,8 milliard qu’on lui réclame, alors que la loi parle de «valeur» et non d’argent liquide, comme l’exige l’Etat. Sur l’issue du procès, le pénaliste fait confiance au juge Maguette Diop qu’il connaît bien et qui, pour lui, donnera son verdict selon son intime conviction.
Le professeur Ousseynou Samba de l’Ucad n’est pas d’accord avec beaucoup d’aspects de la manière dont le dossier Khalifa Sall est traité. A commencer par le fait que le procureur n’ait pas pris le soin d’informer officiellement les avocats de la défense de la date et du lieu du procès. «Après que le juge d’instruction lui a transmis le dossier, le procureur doit l’enrôler. La loi lui donne deux mois pour le faire. Il a le droit de choisir la date du procès et la salle où il doit se tenir. Mais il doit en informer l’intéressé et ses avocats. On ne peut pas juger quelqu’un sans lui dire quand et où on va le juger. C’est la loi qui demande qu’on informe le prévenu et ses avocats. Par exemple, si on ne les informe pas et que les avocats partent en voyage, qui va plaider pour leur client ? C’est la loi qui lui impose d’informer le prévenu et ses avocats après avoir enrôlé l’affaire et pris une date. S’il ne l’a pas fait, il n’a pas respecté la loi», explique-t-il.Et le pénaliste d’ajouter que si la loi demande que le prévenu et ses avocats soient informés à temps de la date et du lieu de son jugement, c’est pour qu’ils soient prêts pour assurer leur défense. «Le droit à la défense offre à la personne la possibilité de se préparer à son procès et d’être prêt lui aussi. Car le procureur qui le poursuit est déjà prêt. Il a la prérogative de choisir dans un délai de deux mois, le jour et le lieu du procès. S’il le fait, c’est parce qu’il est déjà prêt. Et la loi veut que le prévenu et ses avocats soient eux aussi prêts, c’est pourquoi elle interdit qu’ils soient pris de court à propos de la date du jugement».
Audience ordinaire-audience spéciale
Le spécialiste du droit pénal ne comprend pas non plus pourquoi le procureur a choisi d’envoyer Khalifa Sall en audience ordinaire, dans la plus grande salle du tribunal, avec plusieurs dossiers par jour. Quand on y regarde de plus près, il y a quelque part parti-pris et volonté de rabaisser l’homme. On ne peut pas prendre Khalifa Sall comme un citoyen ordinaire. Mais on a enrôlé son dossier de manière ordinaire. On a mis ensemble son affaire avec d’autres affaires. Si vous étiez dans la salle, vous y verriez des gens jugées pour vol, pour coups et blessures, pour viol…», fait-il remarquer, avant de poursuivre : «Même si on considère que Khalifa Sall est un citoyen ordinaire, la réalité est qu’il est maire de Dakar, il est député. En demandant la levée de son immunité parlementaire, le procureur a reconnu que c’est un député. Il est député, il est maire de Dakar. Alors, je ne peux pas accepter qu’on le prenne pour un citoyen ordinaire. C’est pourquoi, quand on le juge, on doit pouvoir le faire en audience spéciale, en prenant un jour et une salle qui lui sont exclusivement consacrés. Mais l’enrôler de manière ordinaire, en faire un procès ordinaire, cela crée de la suspicion». D’ailleurs les faits lui donnent raison, car le procès renvoyé au 3 janvier se tiendra finalement en audience spéciale.
«On ne peut pas comprendre qu’on le poursuive pour 1,8 milliard et qu’on lui refuse la liberté provisoire après qu’il a déposé une valeur de 2 milliards».
Le professeur Samba ne comprend pas non plus qu’on ait rejeté le cautionnement du maire de Dakar, au motif que l’Etat veut du cash et pas des biens. «C’est injuste ! La loi dit que pour les cas de détournement de deniers public, l’accusé ne peut pas bénéficier de liberté provisoire tant qu’il n’a pas cautionné un montant égal à celui pour lequel on le poursuit. Quand on parle de cautionnement, on ne parle pas d’argent liquide, mais de valeur. Et cette valeur peut ne pas être de l’argent comptant. La preuve, au cas où il serait condamné, ce sont ces biens-là qu’ils refusent aujourd’hui que l’Etat va aller prendre pour les vendre et payer le montant de l’amende», explique le spécialiste. Pour lui, si Khalifa Sall cautionne une valeur égale à la somme pour laquelle il est poursuivi, «on doit pouvoir lui accorder la liberté provisoire. On l’a vu avec le cas Aïda Ndiongue. Et beaucoup d’autres ont eu leur liberté provisoire en cautionnant des biens. On ne peut pas comprendre qu’on le poursuive pour 1,8 milliard, et qu’on lui refuse la liberté provisoire après qu’il a déposé une valeur de 2 milliards. C’est incompréhensible».
Des soupçons de dessous politiques
Appréciant le traitement du dossier Khalifa Sall, le professeur Samba n’est pas loin de conclure à un acharnement politique. «Il semble bien qu’il y a de la politique derrière. Comment peut-on prendre une personnalité comme le député-maire de Dakar et le juger en audience ordinaire, tout en sachant que le tribunal sera bondé de monde ? Donc c’est fait à dessein. On peut voir ça comme une volonté de rabaisser la personne. En plus, il y a beaucoup de précipitation dans cette affaire», dit-il. Surtout que, pour lui, «le procès pouvait être judiciaire du début à la fin, car c’est un rapport de l’Ige qui a dit qu’il y a manquements dans la gestion de la mairie de Dakar». A en croire le juriste, «le procureur pouvait poursuivre Khalifa Sall de manière normale, en lui accordant tous ses droits». Mais, se désole-t-il, «si on constate qu’on lui refuse tout, on peut considérer que c’est à cause de sa qualité (maire de Dakar, député et surtout opposant). Si les gens pensent qu’il y a de la politique derrière, c’est à cause de cela. Mais la procédure pouvait être judiciaire du début à la fin, sans interférence de la politique». Au chapitre de ce qui pourrait être comme de l’ingérence politique, il évoque aussi la négation de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall, avant que le procureur ne revienne encore la reconnaître et demander sa levée. Pour lui, dès l’annonce des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel, le maire de Dakar devait être libéré. Et au cas où le procureur devrait le poursuivre, il devrait auparavant demander la levée de son immunité parlementaire.
«Le juge Magatte Diop est un promotionnaire et un ami. C’est une personne intègre. Je suis persuadé qu’il donnera son verdict selon son intime conviction»
Le professeur Ousseynou Samba fait entière confiance aux juges Magatte Diop et ses assesseurs. Il n’adhère pas du tout à la thèse selon laquelle la chose est pliée et que Khalifa Sall sera condamné par A ou B. «On ne peut pas présager d’une condamnation. Parce que, si l’on considère que le procureur a pris parti parce qu’il dépend du ministre de la Justice, les juges, eux, sont indépendants. C’est ce que j’ai appris et c’est ce en quoi je crois. Je suis convaincu qu’à la fin, le droit sera dit. Je connais bien le juge Magatte Diop, c’est mon promotionnaire et c’est un ami. On a aussi travaillé ensemble sur la réforme du Code pénal. Pendant trois ans, on a travaillé ensemble. Je considère que c’est une personne intègre. Et je suis persuadé qu’il donnera son verdict selon son intime conviction. Parce que c’est cela que le droit lui demande».
Mbaye THIANDOUM