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MENACES TRANSFRONTALIÈRES : La frontière sénégalo-malienne sous pression djihadiste




 
 
 
À l’échelle sahélienne, la frontière entre le Mali et le Sénégal est de plus en plus exposée à une double menace: une violence djihadiste qui cible les infrastructures et les populations, et une économie de guerre qui organise des flux illicites pour financer le conflit. Il y a quelques semaines, une attaque menée par le JNIM contre un chantier routier reliant Bamako à Kayes, aux portes du Sénégal, illustre à suffisance cette intrication entre terrorisme idéologique et sabotage économique. Mais alors que les groupes djihadistes prospèrent sur les trafics illicites et les rançons, la question de la vulnérabilité du Sénégal face à cette instabilité croissante devient urgente.
 
 
 
Depuis plusieurs années, les regards se tournent avec inquiétude vers la frontière que partagent le Sénégal et le Mali, dans cette vaste région sahélienne devenue l’épicentre des violences djihadistes. L’attaque perpétrée il y a quelques semaines par le Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (Jnim), un groupe affilié à Al-Qaïda, sur le chantier de reconstruction de la route reliant Bamako à Kayes, en est une illustration saisissante. Les assaillants n’ont pas tué. Ils n’ont pas ouvert le feu au hasard sur les ouvriers ni semé le chaos parmi les populations civiles. Leur cible était plus calculée : les machines, le matériel, tout ce qui permettait de bâtir une route devant relier le Mali à ses voisins sénégalais et mauritanien. Tout a été méthodiquement détruit. Le message est clair : ce sont les perspectives économiques et d’intégration régionale qui sont visées.
Une telle attaque relance un débat essentiel : s’agit-il simplement d’un acte de « terrorisme islamique », commis par des fanatiques qui rêvent d’un califat et d’imposer leur idéologie obscurantiste, ou bien faut-il y voir un sabotage économique réfléchi, visant à maintenir des États entiers dans la dépendance et la pauvreté ? Car la logique apparaît de plus en plus évidente : les routes, les écoles, les projets de développement sont régulièrement attaqués, alors que les corridors menant des mines d’or vers les ports, eux, semblent mystérieusement épargnés. Cette sélectivité dans la violence trahit une rationalité économique derrière l’idéologie affichée.
Le Jnim n’en est pas à ses débuts. Né en 2017 de la fusion de plusieurs groupes armés au Mali et en Algérie, il s’est imposé en quelques années comme l’un des acteurs les plus redoutés du Sahel. Classé par l’Onu comme affilié à Al-Qaïda dès 2018, il a su combiner l’usage de la violence la plus brutale et une certaine diplomatie locale pour gagner en influence et s’ancrer durablement dans les territoires où l’État recule. L’indice mondial du terrorisme de 2024 le place parmi les organisations les plus dangereuses au monde, ce qui traduit l’ampleur de son expansion.
Cette expansion repose sur une véritable économie de guerre. L’exploitation artisanale de l’or constitue la première manne financière du groupe. Dans les zones qu’il contrôle, cette activité génère des milliards de dollars chaque année, avec des flux qui s’orientent notamment vers les Émirats arabes unis, la Turquie et la Suisse. Le Jnim contrôle les sites miniers, taxe les orpailleurs et sécurise les voies de transport. Autour de l’or, il a bâti un empire économique clandestin. Mais ce n’est pas tout. Les enlèvements contre rançon lui assurent des revenus considérables. En 2020, la libération d’un otage français et de deux Italiens lui a rapporté pas moins de 30 millions de livres sterling. Entre 2017 et 2023, ce groupe et ses alliés ont été responsables de la majorité des enlèvements recensés au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Chaque otage libéré renforce son influence, chaque rançon payée finance de nouvelles armes et de nouvelles attaques.
Le bétail constitue une autre ressource clé. Le groupe s’en empare de force, notamment auprès des éleveurs qui refusent de payer la zakat, l’impôt religieux imposé par son idéologie. Ce bétail volé circule ensuite dans les marchés de la région, y compris au Sénégal, brouillant la frontière entre économie criminelle et commerce légal. Le commerce du bétail devient alors à la fois un outil de financement et une arme de guerre économique : appauvrir les communautés locales tout en alimentant les caisses de l’organisation. Enfin, le Jnim investit dans le blanchiment d’argent. Ses cadres prêtent de l’argent à des commerçants, investissent dans des banques locales, financent de petits commerces. L’argent circule, fructifie et revient soutenir la machine de guerre.
Cette puissance financière explique en grande partie la résilience du Jnim. Malgré la présence de forces locales, régionales et internationales, malgré les opérations militaires qui se succèdent au Mali, au Burkina Faso et au Niger, le groupe survit, se réorganise, s’adapte. Il ferme des écoles, installe des check-points, impose ses règles, rendant chaque jour un peu plus fragile l’autorité des États dans ces zones.
Pour le Sénégal, cette réalité constitue une alerte. Jusqu’ici, le pays a réussi à se maintenir en dehors du cercle infernal des violences djihadistes. Mais la frontière orientale, longtemps perçue comme une périphérie tranquille, se retrouve aujourd’hui exposée. Kayes n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres de Kidira ou de Bakel. Les échanges humains, commerciaux et pastoraux entre les deux pays sont intenses, ce qui offre autant de canaux d’infiltration potentiels. L’épisode de la route Bamako-Kayes est révélateur : il touche directement le corridor Dakar-Bamako, axe vital pour l’économie sénégalaise, pourvoyeur de revenus et de circulation commerciale. Toute tentative de sabotage sur cette voie représente une menace directe pour le Sénégal.
Le risque est aussi économique. Les troupeaux volés par les djihadistes se retrouvent sur les marchés sénégalais. Les circuits d’or artisanal, incontrôlés, peuvent facilement impliquer des acteurs sénégalais, parfois à leur insu. Le blanchiment d’argent franchit les frontières, alimentant des commerces qui paraissent anodins mais servent de relais financiers aux groupes armés. Autant de signaux faibles qui rappellent que le Sénégal n’est pas immunisé.
La question qui se pose est désormais celle de la préparation. Dakar peut-il se contenter d’observer, ou doit-il anticiper une menace qui s’approche inexorablement ? Les réponses résident dans une combinaison d’actions. Le renforcement de la sécurité frontalière, notamment dans les zones de Kidira et Bakel, est une priorité. La coopération régionale avec le Mali, la Mauritanie et la Guinée s’impose pour traquer les flux financiers et sécuriser les corridors commerciaux. La protection des infrastructures stratégiques, à commencer par la route Dakar-Bamako, doit être érigée en enjeu de sécurité nationale. Enfin, une vigilance accrue sur les marchés locaux, du bétail comme de l’or, est nécessaire pour éviter que l’économie sénégalaise ne devienne une extension des circuits criminels sahéliens.
Car le véritable danger réside dans la capacité des groupes comme le Jnim à articuler idéologie et économie. Ils imposent un discours religieux radical, mais c’est en s’assurant des ressources financières qu’ils s’installent durablement et gagnent en influence. En sabotant les routes et en détruisant les projets de développement, ils condamnent des régions entières à l’isolement. En épargnant les circuits miniers et en s’y intégrant, ils s’assurent des rentes pérennes. En contrôlant le bétail et les marchés, ils infiltrent les économies locales. Cette mécanique, si elle n’est pas brisée, pourrait bien fragiliser à terme le Sénégal, présenté jusque-là comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest.
La frontière sénégalo-malienne n’est plus une ligne périphérique. Elle est devenue un front. Un front où se joue l’avenir du commerce régional, mais aussi la préservation du modèle sénégalais de stabilité. L’attaque contre le chantier routier de Kayes n’est pas un épisode isolé. C’est un avertissement. À Dakar d’en tirer toutes les leçons, avant que la menace ne franchisse définitivement la frontière.
 
 
 
 
 
 
 
Sidy Djimby NDAO
 
(Correspondant permanent en France)
 
 
 
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