Sans langue de bois, Victor Diagne a tiré les enseignements de la participation du Sénégal lors du Mondial 2018. Actuellement à Oman, l’ancien attaquant des Lions pointe le coaching d’Aliou Cissé, l’attitude de certains joueurs et surtout la prestation en demi-teinte de Sadio Mané en Russie. Extraits.
Bilan
«C’est un bilan mitige. Ca été positive dans la mesure où comme certains le disent, l’équipe a atteint ses objectifs en prenant part à cette coupe du Monde, mais aussi d’avoir eu à se battre jusqu’à la dernière minute pour se qualifier au second tour. Aussi sur le plan financier, le Sénégal a eu à collecter une somme conséquente pour avoir participé à ce tournoi, de la part de la Fifa. Cela peut permettre au football local de gravir des étapes dans sa progression. Maintenant, il y a eu beaucoup de couacs au sortir de notre élimination prématurée. Il faut mettre ça dans le cadre de l’inexpérience, mais aussi de l’apprentissage. Il faut le dire, on avait tous senti les prémices de cette situation avant le Mondial, on a préféré fermer les yeux. Donc, que ce soit la sortie de certains joueurs, ce sont des faits marquants. A un moment donne, il faut s’arrêter et se poser certaines questions».
Sortie Diafra et Kara
«Kara a nié avoir tenus ces propos. Donc c’est compliqué de s’y avancer, mais s’il s’avère, ça sera frustrant de voir un cadre se comporter de la sorte. Kara Mbodji doit se demander pourquoi il a été retenu ? On l’a appelé juste pour l’aider, donc il devait se taire, c’est tout. La sortie de Diafra ne m’a pas plu non plus. J’aurai compris qu’il boude, après avoir été sorti au cours d’un match. C’est tout à fait naturel pour un joueur, car ils avaient envie de montrer quelque chose. C’est un manque de respect vis-à-vis de l’entraineur, mais aussi des autres joueurs qui ont eu à essuyer le banc comme lui. Maintenant, j’espère qu’il va revenir sur sa décision, car il a beaucoup de choses à montrer. Mais, il doit se remettre en question concernant son comportement».
Erreur de coaching
«Le problème du sélectionneur est qu’il a voulu faire plaisir à des joueurs. Alors qu’une sélection doit se baser sur l’état de forme des joueurs. Cela dépend de la performance du joueur en club. Est-ce qu’il est régulier ? Est-ce qu’il peut nous aider en sélection ? Est-ce qu’il entre dans mes plans ? Ce que je ne peux pas comprendre est qu’un joueur qui n’a plus joué depuis décembre 2017 à cause d’une grosse blessure et des joueurs blessés puissent être retenus. Cela peut même créer de la frustration au sein du groupe. Sélectionner un joueur sachant qu’il ne sera pas utilisé, moi je trouve cela trop injuste. Un jour, Aliou Cissé a dit à un journaliste français qui lui posait la question à savoir ce qu’il pense de Kara avec sa blessure, il a répondu qu’il faut l’aider. Je trouve cette sortie désolante à la limite. Nous ne sommes pas là pour aider un joueur à retrouver sa forme à la veille d’une compétition aussi importante que la Coupe du monde. C’est un tournoi réservé aux meilleurs joueurs. Donc, des joueurs comme Kara ou Baldé Keita n’avaient pas leur place dans la liste des 23. Ce sont des erreurs qu’il faudra rectifier et j’espère qu’il le fera, car il y a une Can 2019 qui se profile à l’horizon. Avoir des joueurs comme Koulibaly, Kouyaté, Salif Sané, Mbaye Niang et avoir un problème dans les balles arrêtées est inexplicable. Aliou Cissé ose dire qu’il ne convoque pas un joueur pour les balles arrêtées. C’est tout à fait le contraire. Nous avons encaissé des buts sur coup franc et on en vendangé beaucoup. La préparation m’a semblé faire défaut aussi. Car les joueurs m’ont paru émoussés sur le plan physique dans les fins de matchs. L’équipe peinait lors des 30 voire 25 dernières minutes».
Gestion du groupe
«Il veut faire de cette équipe une petite famille, c’est bien. Mais il n’y a pas de complaisance dans le football. Quand vous avez une obligation de résultat, il faut choisir les joueurs les plus performants. Maintenant, on a emmené des joueurs blessés, on se pose la question est-ce que l’entraineur est dans une logique de vouloir faire une participation honorable ? Quelque part, ça se comprend, car j’ai entendu l’un des vice-présidents de la Fsf dire que l’objectif premier était d’aller en Coupe du monde. Tout le monde le sait. Maintenant, il y a d’autres objectifs qu’il faut essayer d’atteindre. La France avait pour objectif les demi-finales. L’équipe du Sénégal ressemble un peu à celle de la France. Mbappé, Griezmann, un Giroud dont on dit qu’il ne marque pas beaucoup, mais qui est précieux dans la fixation des défenseurs centraux. Nous avons cela, mais Deschamps a su trouver la bonne formule pour mieux utiliser ses deux flèches, Griezmann et Mbappé. Nous avons deux flèches, Mané et Ismaila Sarr, mais on les a mal utilisées».
Prestations de Mané et Khadim Ndiaye
«Sadio Mané est victime de toute l’euphorie qu’il y a eu autour de lui après la finale perdue contre le Real Madrid. Durant toute la saison, il a montré des qualités extraordinaires. Encore une fois, les Sénégalais se trompent souvent d’objectif. Le but, ce n’était pas de le voir jouer comme il le fait à Liverpool, mais comment il va évoluer avec la sélection nationale. Jouer en sélection nationale demande des valeurs, le joueur doit s’arracher, doit défendre des vertus. Si tu es la star d’une équipe, il y a des obligations à remplir. Pour moi, Sadio Mané n’a pas joué sur ses qualités. Ses qualités, c’est la vivacité, l’accélération, mais dribbler, ralentir, faire des passes, ce n’est pas Sadio Mané. Je me demande si on l’utilise bien avec le Sénégal. Ou simplement qu’il n’a pas envie de jouer ? Quand on le voit s’arracher à Liverpool et quand on le voit trainer avec le Sénégal, on se pose des questions. On ne peut pas être tendre avec lui. Dans toutes les équipes, il y a une star. On parle de Messi, de Ronaldo ou Griezmann, on attend plus de ces gens que des autres. C’est très normal qu’on attende beaucoup de lui. C’est à lui de le comprendre et de faire la part des choses entre Liverpool et la sélection nationale. Quand on l’entend dire qu’il préfère remporter la Can plutôt que la Ligue des champions, c’est bien. Dans le sentiment, je dis oui, mais dans l’acte, c’est tout à fait le contraire. On se demande même s’il est parfois sur le terrain avec le Sénégal. Aussi, on l’utilise mal avec le Sénégal. Il est passé à côté de sa Coupe du monde. Pour Khadim Ndiaye, il faut comprendre qu’il n’a pas montré toutes ses qualités. Mais disons qu’il a joué à 50% de ses moyens».
Perspectives
«Pour moi, le match contre la Pologne doit servir de référence au coach. Cela doit nous aider pour les prochaines échéances. Il y a eu des erreurs, il doit donc se rectifier. Les mêmes erreurs qui nous ont valu une élimination en 2002 se sont répétées en Russie contre la Colombie. Tout le monde sait qu’on ne fait pas de changement quand il y a un corner. Il faut régler ces détails. En 2019, l’objectif est clair, aller en finale et, pourquoi pas, le remporter. C’est clair. Le Sénégal a les moyens de se qualifier et surtout réaliser un bon tournoi au Cameroun. Il faut aussi utiliser à bon escient les dividendes de cette Coupe du monde. Il ne faudrait pas que les dirigeants nous fassent croire que le Sénégal a empoché 7 milliards, non, c’est plutôt 11 milliards. Avec la préparation, il y a eu 7 milliards francs Cfa qui sont entrés dans les caisses de la fédération, et le premier tour, il y a eu trois à quatre milliards. Je ne suis pas d’accord avec le ministre des Sports qui dit que cet argent est pour toutes les disciplines sportives. Non. C’est pour le football. Cet argent doit être strictement réservé au football et essayer de mettre en place des infrastructures et miser sur la petite catégorie. Mayacine Mar, que j’ai entendu dire dans un débat télévisé qu’il faut des moyens pour la petite catégorie et pour Dakar seulement, il y a 90 clubs, mais ils sont là pour trouver des moyens. Si on se retrouve à 90 clubs à Dakar, c’est la faute à qui ? La fédération. Elle est responsable de tout. Les moyens, il faut aller les chercher. Il faut diminuer les clubs pour pouvoir les gérer, c’est tout».
Mansour SAMB
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