Le 21 janvier 2019, la presse sénégalaise a fait état de l’arrestation à Dakar du dangereux gangster indien Ravi Pujari par la Division des investigations criminelles (Dic). A l’époque, certains n’avaient pas manqué de saluer le professionnalisme de la police sénégalaise qui mettait ainsi la main sur l'un chefs mafieux les plus recherchés en Inde. En réalité, ce n’était que l’aboutissement d’une longue opération de filature des forces du renseignement indien qui a connu son épilogue dans notre pays.
Le 24 février 2020 à 3h30mn, Ravi Sulya Pujari est arrivé en Inde à bord d’un vol spécial en provenance du Sénégal, qui a décidé de l’extrader après une procédure qui a duré un an. Le rapatriement a été opéré par la police du Karnataka, un État du sud-ouest de l'Inde, spécialisée dans le domaine. Ce rapatriement n’est que l’aboutissement d’une longue opération de filature suivie de l’arrestation de Pujari par le renseignement indien.
En effet, c’est depuis 2018 que la police indienne a commencé à suivre les mouvements du gangster. Lorsqu’elle l’a localisé, la police a découvert qu'il se cachait sous un faux nom : Anthony Fernandes. C’est d’ailleurs de là que tout est parti. En effet, en menant son enquête sur Pujari, les policiers ont découvert que l'un de ses films hindis préférés était «Amar Akbar Anthony». Les policiers indiens ont alors décidé de creuser la piste.
C’est ainsi qu’une équipe dirigée par l’un des gradés de la police indienne Amar Kumar Pandey a commencé à construire un réseau d'informateurs pour retrouver Pujari. L'équipe a rapidement été informée que le fugitif dirigeait une chaîne de restaurants - Namaste India - avec neuf points de vente dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest. Un officier supérieur de police qui suivait Pujari depuis plus d'un an a déclaré dans la presse indienne que la police l'avait d'abord retrouvé au Burkina Faso, puis au Sénégal.
Il a été vendu par un de ses anciens collaborateurs et retrouvé au Burkina
L'officier a soutenu qu'en mars 2018, ils avaient reçu des informations crédibles selon lesquelles le gangster avait déménagé de Dubaï en Ouganda, puis au Kenya. Il s'est finalement installé au Burkina Faso. «Un ancien associé de Pujari à Mangaluru est devenu collaborateur et nous avons réussi à extraire plus d'informations. L'associé nous a dit que Pujari avait changé son nom pour Fernandes et qu'il avait été rejoint par sa femme qui a fui l'Inde», a déclaré l'officier qui a ajouté : «nous avons des photos du mariage de la fille de Pujari à Londres et de son fils en Australie». Celui-ci assure qu’il a même pris quelques photographies de Pujari près de son domicile au Burkina Faso. «Nous avons retracé son adresse personnelle dans un bâtiment à côté d'une école locale, Cambodia International English School, et avons commencé la surveillance avec l'aide de la police locale», a-t-il ajouté.
Après le Burkina, il mène des activités au Sénégal
Mais quelque temps plus tard, Pujari s’est déplacé au Sénégal. C’était dans la seconde moitié de l'année 2018. Les policiers plient bagages et suivent le gangster au Sénégal. Sur place, la filature continue jusqu’au jour de la Navratri - une fête hindoue qui célèbre la Shakti, une divinité féminine - en octobre 2018. Pour l’occasion, la chaîne hôtelière de Pujari a parrainé une des fêtes connexes. «On nous a dit qu'il participerait également à ce programme. Nous avons une vidéo de lui dansant et serrant la main de jeunes garçons là-bas. Ce fut l'une de nos premières confirmations du nouvel emplacement de Pujari», a déclaré le policier.
Venkatesh Prasanna, un autre officier supérieur de police, a déclaré qu'il avait également été informé d'un match de cricket organisé par la chaîne hôtelière de Pujari, Namaste India, au Sénégal. Une carte d'invitation avec le nom des organisateurs a été envoyée à la police, portant les noms et numéros de téléphone des organisateurs dont celui d'un Anthony Fernandes. «Nous l'avons recoupé avec le numéro que notre informateur nous a donné, il correspondait. Nous avons également eu une photographie de Pujari avec quelques personnes regardant le match», a déclaré Prasanna qui note que pour confirmer la présence de Pujari au match de cricket, la police a dû utiliser les reflets sur les lunettes de soleil d'un des hommes assis à côté de lui. «Nous avons utilisé des techniques d'édition haut de gamme et amélioré l'image pour avoir un aperçu», dit-il. «Nous avons regardé le maillot d'un homme que Pujari félicitait. Il portait un maillot sur lequel était imprimé le Indian Cricketers Club, Sénégal. C'était une autre confirmation pour nous que Pujari était au Sénégal», ajoute-t-il.
Le film rocambolesque de l’arrestation : 3 bus pleins de policiers armés ont entouré le caïd, il se coiffait dans un salon
La confirmation effective, les policiers pouvaient alors procéder à son arrestation. Pour le moment fatidique, une équipe de police a suivi Pujari pendant des mois, jusqu'à ce qu'elle trouve le moment opportun pour informer la police sénégalaise de sa présence dans le pays. Nous étions alors en janvier 2019. Ainsi, après avoir prévenu les autorités sénégalaises et l'ambassadeur indien au Sénégal, le Sénégal a pris le relais. Pour assurer les Indiens de leur pleine collaboration, les autorités sénégalaises ont fait savoir qu’elles ne sont pas désireuses d'accueillir des fugitifs. La police sénégalaise a ainsi reçu l’ordre de passer à l’acte. Les limiers commencent par une phase d’observation pendant laquelle ils ont tracé les mouvements de Pujari pendant trois jours. Le 19 janvier 2019, trois bus pleins de policiers armés ont entouré le caïd et l'ont arrêté, juste au moment où il se faisait couper les cheveux dans un salon.
Il monte un dossier pour échapper à l’extradition
L’Inde espérait depuis lors mettre enfin la main sur ce gangster aux 200 plaintes, mais le processus d'extradition ne s'est pas déroulé aussi bien. Juste au moment où le Sénégal se préparait à le remettre à la police indienne, Pujari est venu avec un stratagème pour faire échouer le processus. Le gangster avait un faux dossier de fraude déposé contre lui au Sénégal. Selon les lois sénégalaises, une personne faisant face à des accusations dans le pays ne peut pas être expulsée avant d'avoir fait face à toutes les accusations devant un tribunal.
Bénéficiant d’une liberté provisoire, Pujari file à l’anglaise en Afrique du Sud où il a été cueilli
Le tribunal sénégalais lui a accordé une libération sous caution tout en lui ordonnant de ne pas quitter le pays tant que l'affaire n'était pas réglée. Au grand dam des agences d'enquête indiennes, Pujari en a profité pour entrer dans la clandestinité. Les autorités sénégalaises sont toutefois intervenues à nouveau. Ils ont repris la trace du caïd et l'ont arrêté en Afrique du Sud. Il a été ramené au Sénégal et transporté par la suite en Inde par l'équipe de police du Karnataka. Pujari, qui avait réussi à échapper à la justice indienne pendant plus de 20 ans, compte plus de 200 affaires pendantes en Inde, dont celles de meurtre, d'extorsion et d'autres délits connexes. Il devra désormais répondre de ses actes devant la justice de son pays.
Sidy Djimby NDAO
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