Journaliste et célèbre consultant à la chaîne Canal Plus, Pierre Ménès est connu pour son franc-parler. Et c’est sans langue de bois qu’il a accepté dans cet entretien de donner son avis sur la dernière Coupe d’Afrique des nations en Egypte, non sans oublier de parler de l’équipe du Sénégal et de sa star Sadio Mané.
Les Echos : Comment avez-vous vécu la Can en Egypte ?
Pierre Mènès : Cette Can a été très décevante de mon point de vue. D’abord je considère que c’est une aberration de jouer une compétition internationale en Egypte au mois de juillet. Il fait très chaud à cette période. J’ai été très déçu aussi par le comportement de beaucoup d’équipes qui étaient toutes très solides et très bien organisées sur le plan défensif, mais très peu brillantes sur le plan offensif. Quand les équipes ne cherchent pas à attaquer, et sont toutes très défensives, cela laisse la porte ouverte à beaucoup de surprises. Les matchs se jouent sur un but. Les stades étaient quasiment vides. Il faut remédier à cela à l'avenir, il y va de la crédibilité du football africain. Cela s’est conclu par une triste finale en termes de football. L’Algérie a été de loin la meilleure équipe de ce tournoi, même si, par le passé, elle avait beaucoup déçu. Mais le Sénégal aussi a fait preuve de solidité. Le jeu collectif du Sénégal dans cette compétition n’a pas été très extraordinaire. Pour le Sénégal, la relation entre le milieu de terrain et l’attaque était inexistante. Il n'y avait pas assez d’imagination dans le jeu sénégalais.
Est-ce que ce groupe peut gagner quelque chose ?
Oui bien sûr, il y a de très bons joueurs qui sont toujours dans les limites de l’âge, sur lesquels le Sénégal peut compter sur les deux prochaines compétitions. L’arrivée d’Idrissa Gana Guèye au PSG va le faire progresser aussi, et lui faire augmenter de personnalité, plus qu’il en a eu dans cette Can.
Les deux coachs de la finale étaient des Africains, peut-on dire que le mythe du sorcier blanc s’est effondré ?
Je vais poser la question en sens inverse : est-ce qu’il y a suffisamment d'entraîneurs de haut niveau en Afrique pour entraîner toutes les sélections ? Le jour où l’Afrique arrivera à s’auto-suffire en termes d'entraîneurs, il y en aura peut-être plus. Je pense que ce n’est pas encore le cas. Il y a plein de joueurs africains qui pourraient devenir entraîneurs en Afrique. Je prends le parcours de Belmadi qui a été une grosse surprise. Je l’ai connu en tant que joueur, il était un garçon assez instable, assez nerveux. Ce qu’il a réussi à faire à la tête de la sélection algérienne est formidable. Aliou Cissé a été en finale, ce n’est pas aussi mal. Et puis critiquer un sélectionneur en Afrique, c’est un sport national. Le sélectionneur est nommé, et le lendemain, la presse réclame sa démission. Il y a un manque de patience qui est assez problématique pour avoir des résultats dans la durée. Le Maroc a échoué, beaucoup disent que c’est la faute à Hervé Renard, c’est un mauvais choix à mon avis.
Comment avez-vous trouvé la prestation de Sadio Mané ?
Je l’ai trouvé moins bon qu’avec Liverpool. Mais c’est normal, puisque le Sénégal est moins bon que Liverpool. C’est un peu comme Messi avec l’Argentine et Messi avec Barcelone. Il ne peut pas tout faire non plus, il faut un entourage pour l’aider. La complémentarité avec Niang et Sarr n’était pas forcément évidente. Il a eu le syndrome du joueur star qui veut tout faire et du coup, il n’a pas été au niveau où on l’attendait. Mais ça, c’est quelque chose qu'avaient connu Abedi Pelé, Samuel Eto’o etc. En sélection, les joueurs africains sont moins brillants qu’en club, parce qu’il leur manque ce jeu collectif. On a toujours l’impression de voir des individualités alignées ensemble. Si l’Algérie a été la meilleure équipe de la compétition, c’est parce qu’elle avait un milieu de terrain supérieur à celui des autres équipes.
Selon vous, qui succédera à Salah pour le prochain Ballon d’or ?
Je pense que comme Mohamed Salah et Sadio Mané ont gagné la Ligue des champions, ils ont une avance sur Mahrez, même si la Can va peser lourd sur le résultat final. Il faut rappeler que le meilleur joueur de la Can, ce n’était aucun des trois. Mais Sadio Mané a fait une très grande saison.
Quel regard portez-vous sur le vote du meilleur joueur Fifa de l’année ?
Malheureusement, tant que Messi et Ronaldo joueront, ils seront toujours nominés. Cela fait 10 ans que ces deux joueurs sont au top. Cela fait 10 ans que ces deux joueurs marquent plus de 50 buts par saison. Retrouver Sadio Mané au bas du podium pour ce titre, montre effectivement un certain mépris pour le football africain. Et c’est dommage. Ignorer Mohamed Salah et Sadio Mané pour le titre de meilleur joueur Fifa de l’année est une faute. Mané, c’est la saison passée qu’il a marqué les esprits, il faut qu’il confirme cette année. S’il le fait cette saison, il sera peut-être un candidat plus dangereux pour cette année. A mon avis, toutes ces distinctions individuelles n’ont pas trop d’importance. Demandez à Mané s’il échangerait sa Ligue des champions contre un Ballon d’or, ou à Mahrez s’il donnerait sa Coupe d’Afrique contre le titre de meilleur joueur Fifa de l’année. Les trophées individuels, pour moi, sont juste faits pour rendre le joueur plus égoïstes. Ce qu’il faut aux joueurs africains, c’est de continuer à gagner des Can, des Ligues de champions et peut-être la Coupe du monde.
La Can est moins considérée par rapport aux autres compétitions, telles que l’Euro ou la Copa America, quel est le problème selon vous ?
Pour moi, il n'y a pas de problème. Tous les Africains qui sont forts jouent en Europe, mais les Européens qui sont forts ne jouent pas en Afrique. Le football, c’est en Europe que cela se passe. C’est la même remarque que je fais aussi pour la Copa America. Les pays tels que l’Argentine, le Paraguay, la Bolivie, l'Uruguay n’ont pas la même aura, comparés à des nations comme l’Espagne, l’Allemagne, la France. Tous les meilleurs joueurs du monde jouent en Europe.
Etait-ce une bonne idée de faire passer les équipes de seize à 24 pour la Can ?
Je pense que c’est une erreur, tout comme le fait d’augmenter les équipes de 32 à 48 pour le Mondial. C’est une erreur et un non sens sportif.
Aguene & Diambogne
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