«Nous allons voir dans quelle mesure on peut poursuivre le premier médecin sur l’affaire Idrissa Goudiaby ; les résultats du rapport sur feu François Mancabou sont incomplets, on a demandé au procureur une contre-expertise»
L’actualité judiciaire est émaillée aujourd’hui par les affaires François Mancabou, Idrissa Goudiaby et Alexis Diatta qui ont trouvé la mort après son interpellation et hospitalisation pour le premier cité et à la suite des manifestations du 17 juin dernier pour les deux autres. Pour ce qui est d’Alexis Goudiaby, les avocats n’ont pas encore dit leur dernier mot par rapport à l’autopsie. Cependant, les affaires François Mancabou et Idrissa Goudiaby font polémique. Hier, la contre-expertise sur le corps de Idrissa Goudiaby a conclu à une mort par balle contrairement aux conclusions du premier médecin. Les avocats peaufinent une stratégie pour engager la responsabilité du premier expert, si l’on en croit Me Amadou Diallo. S’agissant par ailleurs du rapport concernant François Mancabou, qui parle de fracture du rachis cervical, les robes noires estiment que c’est incomplet. Ils ont saisi le Procureur pour une contre-expertise.
Les Echos : L’actualité aujourd’hui c’est les affaires François Mancabou et Idrissa Goudiaby. Les résultats des expertises sont tombés, que disent les experts d’abord pour l’affaire Idrissa Goudiaby ?
Me Amadou Diallo : En ce qui concerne l’affaire Idrissa Goudiaby, il faut rappeler qu’il s’agit d’une contre-expertise qui a été pratiquée à la demande de sa famille; demande à laquelle le procureur de la République de Ziguinchor a accédé et il ne pouvait d’ailleurs en être autrement, puisque c’est un droit reconnu. Aujourd’hui, la famille peut s’estimer heureuse puisque les conclusions confortent les allégations qu’elle a eues depuis le départ qu’Idrissa Goudiaby a été tué par balle. Et nous espérons qu’au regard de cette nouvelle situation, le ministère public ne ménagera aucun effort pour que justice soit rendue à Idrissa Goudiaby. Pour cela, il ne devra ménager aucun effort pour identifier la ou les personne(s) à l’origine des tirs qui ont provoqué la mort d’Idrissa Goudiaby. Et dans le but de rassurer l’opinion publique ou en tout cas les populations de Ziguinchor, nous espérons que le procureur fera un communiqué pour, au moins, comme il l’a fait la première fois, lorsqu’il a reçu les premiers résultats de la première autopsie pratiquée, informer l’opinion. Aujourd’hui, il est indiscutable qu’Idrissa Goudiaby a été tué par balle.Espérons que ses services feront tout le nécessaire pour démasquer ces tueurs.
Quelle est la posture des avocats de la famille Goudiaby ? Qu’est-ce que vous comptez faire ?
Il y a une enquête qui a été ouverte. Bien évidemment la famille va se constituer partie civile, dans le cadre de cette procédure et elle envisage également de se concerter avec des médecins pour voir dans quelle mesure elle peut éventuellement engager la responsabilité du premier médecin légiste, puisque les résultats de la contre-expertise révèlent des conclusions diamétralement opposées à celles qu’il avait de façon péremptoire avancées.
Et pour l’affaire François Mancabou, c’est quoi les résultats de l’expertise ?
Nous avons le rapport, mais le rapport étant truffé d’expressions techniques, difficiles à déchiffrer à notre niveau, nous l’avons soumis à des experts en la matière pour qu’ils nous en fassent la traduction. Mais d’ores et déjà, on peut retenir que le rapport n’est pas complet. Il n’est pas allé jusqu’au bout des choses puisqu’il y avait des analyses toxicologiques qui n’ont pas été faites ou en tout cas si elles ont été faites, les résultats ne figurent pas dans les conclusions des rapports. C’est la raison pour laquelle nous avons saisi le procureur de la République d’une demande de contre-expertise pour éventuellement combler les lacunes décelées dans le rapport qui nous a été transmis aujourd’hui. Nous espérons que le procureur va réagir très rapidement à notre demande de contre-expertise. Mais, dans cette affaire, il y a plusieurs volets : il y a la responsabilité pénale des agents de la Sureté urbaine ensuite on est en train d’étudier sérieusement la question pour savoir dans quelle mesure engager des procédures pour faire retenir la responsabilité tout au moins civile des médecins qui ont traité ou qui ont été en contact avec François Mancabou lors son hospitalisation.
On parle de fracture du rachis cervical, soupçonnez-vous une négligence de leur part ?
Nous estimons, selon les avis recueillis de la part de certains médecins, que l’hôpital a beaucoup failli dans sa mission de sauvegarde et de protection de la vie de François Mancabou.
Et pour les agents de police, il y a une possibilité de les poursuivre ?
Nous attendons l’avis des experts sur le sens qu’il faut donner au rapport parce qu’il s’agit de termes techniques.L’avocat que je suis n’est pas en mesure de les interpréter correctement.
Pour le cas Mancabou, pourtant l’Observatoire national des lieux de privation des libertés a fait un communiqué….
C’est le moment d’interpeller, surtout en ce qui concerne le cas de François Mancabou, l’Observatoire national des lieux de privation des libertés. Parce qu’à la suite de la mort de François Mancabou, cet organisme a fait un communiqué.Cela me dérange personnellement en tant qu’avocat, parce qu’on ne peut pas comprendre, alors que la loi lui donne le pouvoir, le droit de visiter quand il le veut les lieux de privation des libertés, qu’il reste muet et inactif alors que la famille de François Mancabou, avant sa mort, a fait des allégations de torture, ses avocats sont montés au créneau pour dénoncer ce qui lui est arrivé, qu’il attende seulement après sa mort pour se rendre à la Sureté urbaine aux fins d’enquêter. C’est une réaction tardive, et à notre avis inefficace. Et nous espérons simplement que ce cas les amènera, à l’avenir, qu’à chaque fois que des allégations de ce genre sont invoquées, de se déplacer sur les lieux et de procéder à la mission que la loi lui a assignée. C’est un cri de cœur que je lance, puisqu’au moment où François Mancabou était à l’hôpital, aucune autorité judiciaire et aucun organisme mis en place pour assurer la sécurité des citoyens dans les lieux de privation des libertés ne s’est rendu à son chevet pour s’enquérir de son état. C’est une situation qui nous indigne et nous espérons qu’à l’avenir ils prendront toutes les dispositions pour faire rapidement les enquêtes afin de pouvoir déterminer si les allégations de tortures sont avérées ou pas. Et sur ce point il est important de noter que l’Observatoire national des lieux de privation des libertés a été mis en place par l’Etat du Sénégal, dans l’optique de se mettre en conformité avec la Convention des Nations-Unies contre la torture et autre peine ou traitement cruel inhumain ou dégradant, parce qu’on s’est rendu compte après la ratification de cette convention, qu’il restait encore au Sénégal des dispositions à prendre pour permettre aux citoyens en position de garde-à-vue de détention ou en position de condamnés de voir leur liberté ou en tout leur droit respecté dans ces lieux-là. Et malheureusement aujourd’hui, ce qui est arrivé montre que François Mancabou n’a manifestement pas bénéficié de ses dispositions-là ni de cet organisme-là qui devait être là pour le sauver.
Alassane DRAME