Le journaliste-écrivain Mamadou Seck, grand reporter au journal L’Observateur, revient avec son quatrième ouvrage, consacré à la pandémie de Covid-19, intitulé : «Face cachée de la lutte contre la Covid-19 au Sénégal : Science contre politique.» Dans cet essai incisif, le journaliste d’investigation lève le voile sur les coulisses de la gestion de la maladie au Sénégal, explorant les dimensions hospitalière, financière et organisationnelle de la crise, ainsi que des dossiers sensibles tels que les vaccins, l’oxygène, la mort de l’ancien président de l’Olympique de Marseille, Pape Diouf, et propose des pistes concrètes pour renforcer la souveraineté pharmaceutique de l’Afrique. Voici un avant-goût de cet ouvrage d’une centaine de pages, dont les bonnes feuilles révèlent un récit documenté, lucide et percutant, à l’intersection de la science, de la politique et de la santé publique. Cérémonie de dédicace vendredi prochain à 16 heures à Fleur de Lys Plateau.
La Chine rejette la paternité du virus
Certes, le virus a émergé à Wuhan, mais nul ne peut affirmer avec certitude qu’il s’est échappé des murs feutrés du laboratoire de virologie de la ville. Comme pour dissiper les brumes du soupçon, la virologue chinoise Shi Zhengli, surnommée parfois «Batwoman» pour son expertise sur les chauves-souris, a pris la parole le 28 juillet 2020. Face aux rumeurs persistantes accusant son laboratoire d’avoir laissé fuiter le Sars-CoV-2, elle a opposé une réponse ferme : un appel à davantage de coopération fondée sur la science, plutôt qu’à la calomnie, pour trouver traitements et vaccins. Depuis son bureau aux lumières blafardes, niché dans les couloirs feutrés de l’Institut de virologie de Wuhan, Shi Zhengli, surnommée la «Batwoman» pour son travail de pionnière sur les chauves-souris, s’est longuement confiée à Science Magazine dans une interview écrite. D’un ton ferme, elle balaye d’un revers scientifique les spéculations enfiévrées qui ont ciblé son laboratoire depuis l’apparition du virus. «Nous surveillons les virus des chauves-souris dans la Province du Hubei depuis de nombreuses années, mais nous n’avons pas découvert que les chauves-souris de Wuhan ou même de la Province du Hubei, au sens large, sont porteuses de coronavirus étroitement liés au Sars-Cov-2», déclare-t-elle. Dans un rapport rendu public le 24 juillet, la virologue réfute point par point les théories du complot concernant l’origine du virus et toute idée d’un accident de laboratoire au sein du WIV. Elle n’est pas seule : d’autres sommités scientifiques, selon la revue, soutiennent sa position.
Aux origines de la Covid-19 au Sénégal
C’est un vent froid venu des sommets alpins qui porte, à son insu, le germe du basculement. Le premier cas de Covid-19 au Sénégal est un voyageur de retour de vacances dans les Alpes, passé par l’Espagne pour une escale de 24 heures, avant de regagner Dakar. A son arrivée, son corps sonnait l’alerte muette d’un malaise sourd. Le 29 février 2020, miné par un mal diffus, il compose le numéro de Sos Médecins, appel de détresse lancé depuis les confins de la fièvre.
Dr Massamba Sassoum Diop, Directeur général de Sos Médecins : «Le fait de résider en Afrique Subsaharienne semble protecteur, et pas le fait d’être africain»
Le premier cas de Covid-19 a été diagnostiqué par Sos Médecins. Son Directeur général, le Dr Massamba Sassoum Diop, fils du regretté professeur Cheikh Anta Diop, a combattu le virus sur deux fronts : en France, où il a servi durant la première vague, et au Sénégal, son port d’attache. Il se souvient de la violence de la marée : «Les Africains représentaient 60% des hospitalisations en réanimation en région parisienne.» Mais sur le continent noir, l’écho de la pandémie a résonné autrement. Moins ravageur, le souffle viral n’a pas eu les mêmes prises. L’Afrique, bien que peu équipée médicalement, s’en est sortie avec une étonnante résilience. Un paradoxe apparent, que les médecins s’efforcent de comprendre. «La gravité des patients résidant en Afrique ne semble pas être la même. Le fait de résider en Afrique Subsaharienne semble protecteur, et pas le fait d’être africain. Car, en Afrique, les patients semblaient moins graves », explique Dr Diop. En cause, selon lui, l’âge jeune de la population, mais 10 aussi une immunité construite au fil des saisons contre des virus circulants, notamment les quatre coronavirus “gentils” responsables de rhumes communs. Pour appuyer son propos, il évoque une étude menée en Tanzanie. «Des chercheurs tanzaniens et américains avaient prélevé du sérum de Tanzaniens et d’Américains avant la Covid-19. Et dans leur conclusion, ils ont constaté qu’il y avait 10 fois plus d’anticorps capables de tuer le virus dans les sérums prélevés dans les patients tanzaniens, comparativement aux patients américains. Ce qui démontre que les anticorps des “coronavirus gentils” africains étaient 10 fois plus immunisants que ceux des “coronavirus gentils” de l’Amérique du Nord», argumente-t-il.
Abdoulaye Diouf Sarr, ancien ministre de la Santé
«Concernant le rapatriement des étudiants de Chine, le chef de l’Etat s’en est ouvert à moi. On a beaucoup discuté pour savoir s’il fallait les rapatrier ou non. Mon point de vue, à l’époque, par rapport au rapatriement : c’était non. Il ne fallait pas les rapatrier. Parce que le système de santé de la Chine était un système robuste. Nous faisons confiance au système chinois et à sa capacité à gérer des situations de cette nature. D’abord nous disions qu’ils connaissaient la maladie mieux que nous. Ensuite, il ne fallait pas propager le risque. Avec toutes ces considérations, on a finalement pris la décision de les laisser sur place et de les gérer à distance. J’ai mis en place une cellule psychologique de suivi à distance qui les appelait souvent. Et, toute la machine s’est mise en branle. Dieu merci, il n’y a eu aucune victime parmi les étudiants», souligne l’ex-ministre.
Thierno Seydi Agent de joueurs et ami de feu Pape Diouf, première victime de la Covid-19 au Sénégal
Sa disparition, le 31 mars 2020, a été un moment douloureux. Je pense que la perte brutale de Pape a été le moment le plus dur de ma vie. J’aurais bientôt 60 ans, mais je pense que ça fait partie des choses qui m’ont le plus fait mal, même si ma foi fait que j’essaie de le surmonter, de l’accepter. Parce que pour moi, c’est une décision divine qui était écrite. Il est évident que j’ai perdu mon père qui était une personne importante dans ma vie. Juste que mon père, je l’ai vu prendre de l’âge et je m’étais préparé psychologiquement. Mais le décès de Pape était brutal et ça nous a tous surpris. J’ai eu des coups durs dans ma vie, j’ai été confronté à beaucoup de choses, mais le décès de Pape m’a le plus affecté. Parfois, quand j’entendais les gens dire qu’on était dépressif, je croyais que c’est une maladie qui n’arrivait qu’aux Européens. Parce que notre structure sociale faisait que pour nous, la dépression n’était qu’un mot. Mais avec le décès de Pape, j’ai senti ce que voulait dire dépressif. Car, pendant deux à trois mois, je n’arrivais pas à dormir. J’étais affecté au point de prendre des somnifères. Heureusement que j’ai pu me départir de ça, grâce à ma foi, d’autant plus que cela avait coïncidé avec le Ramadan. Ce qui m’a permis de m’en remettre à Dieu. J’étais tout le temps dans mes prières. J’ai compté aussi sur des amis, des imams, des maîtres coraniques avec qui j’étais tout le temps au téléphone, comme à l’époque, les gens ne bougeaient pas, du fait des mesures barrières. Cela a été la meilleure thérapie pour mes enfants, mon épouse et moi. Le décès de Pape m’a presque dévasté. J’ai senti un vide dans mon métier, au point que sans mon entourage, j’allais tout laisser tomber. J’étais présent à l’enterrement, bien vrai que les enterrements se faisaient avec un nombre très limité de personnes. Il était la première victime, il y avait la Croix rouge, les Sapeurs-pompiers. Mais, les autorités m’ont permis d’assister à l’enterrement avec un fils de Pape Diouf, Etienne Mendy, un des enfants spirituels de Pape, son frère et un de ses neveux. Nous étions cinq (5) proches avec des gens de la Croix rouge et d’autres que je ne connaissais pas.
Le Professeur Moussa Seydi raconte l’hospitalisation de Pape Diouf : «Même si une évacuation avait été envisagée, celle-ci n’aurait pas changé le sort de l’ancien président de l’Olympique de Marseille»
Le 31 mars 2020, le décès de Pape Diouf, premier Sénégalais victime de la Covid-19, marque un tournant tragique pour le pays. Ce décès, survenu à l’hôpital Fann, révèle des défis logistiques et médicaux auxquels les autorités sanitaires doivent faire face en pleine pandémie. Le professeur Moussa Seydi, alors responsable du service des maladies infectieuses et tropicales (Smit), se retrouve confronté à une situation inédite. Au début, Pape Diouf avait été admis dans l’ancien Smit, un service en état de délabrement avancé, en raison de l’occupation du tout nouveau Centre de traitement des épidémies (Cte). Ce dernier n’avait aucune cabine libre pour l’accueillir. Les médecins, réanimateurs et infectiologues ont dû improviser pour transformer une salle de réanimation destinée aux malades opérés du cœur en un espace adapté aux soins intensifs pour patients Covid-19. Ce professionnalisme et cette réactivité ont permis une prise en charge rapide de Pape Diouf, qui avait vu son état de santé se détériorer rapidement. L’hospitalisation de Pape Diouf dans des conditions aussi précaires a été un véritable défi. Il avait à plusieurs reprises appelé sa femme, exprimant son désir de quitter l’hôpital en raison du manque de confort. Mais l’évolution rapide de sa maladie l’a obligé à rester. Ses appels montrent un homme pris 19 au piège de la situation sanitaire, ne sachant pas que sa bataille contre la maladie se terminerait tragiquement en quelques heures. Le professeur Moussa Seydi, qui a supervisé son traitement, raconte que, même si une évacuation avait été envisagée, celle-ci n’aurait pas changé le sort de l’ancien président de l’Olympique de Marseille. Le décès de Pape Diouf, survenu à 19 heures, plonge non seulement la famille, mais également tout le monde sportif, dans une profonde tristesse. Sa disparition est d’autant plus poignante qu’à l’époque, la maladie était encore mal comprise et le mode de transmission incertain. Les morts étaient perçus comme des vecteurs potentiels du virus et les familles, tout comme les proches, se retrouvaient isolés, empêchés de rendre hommage comme ils l’auraient souhaité.
Les vaccins de Bill Gates
Durant la Covid-19, des informations ont circulé pour faire croire que le multimilliardaire et philanthrope Bill Gates serait derrière la production des vaccins anti-Covid-19 dans le but de réduire la population africaine. Et les auteurs de ces informations ont réussi à convaincre une bonne partie de la population au Sénégal de ne pas se vacciner. Mais en réalité, il n’y a pas de vaccins Bill Gates. La Fondation Bill et Melinda Gates s’active même dans d’autres domaines en Afrique pour lutter contre la pauvreté. Pour preuve, elle a engagé six(6) millions de dollars auprès de la Facilité africaine de l’eau pour soutenir l’Initiative d’investissement pour l’assainissement urbain en Afrique sans oublier l’intelligence artificielle dans le domaine de l’éducation, de l’agriculture, de la santé...Gavi est une alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination. C’est une alliance mondiale pour faciliter l’accès aux vaccins aux populations des pays sous-développés. Avant la création de Gavi en 2000, un vaccin découvert ou créé faisait 20 ans avant d’arriver en Afrique. Gavi travaille avec le Sénégal depuis 2004. «Gavi nous a aidé à introduire plus de sept (7) vaccins dans notre programme, en plus de ceux payés par l’Etat. Bill Gates n’est qu’un donateur, parmi d’autres, comme la France, les Etats-unis, la Grande Bretagne…des pays arabes. Si Gavi retire sa main des vaccins, le Sénégal aura des problèmes pour les f inancer immédiatement. Il y a des vaccins extrêmement chers pour lesquels on ne donne que 0,35 FCFA dans la dose», soutient Dr Mamadou Ndiaye.












