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DEMOCRATIE ET JUSTICE ECONOMIQUE EN AFRIQUE : Le Sénégal, laboratoire d’une nouvelle alliance entre démocratie et souveraineté économique



DEMOCRATIE ET JUSTICE ECONOMIQUE EN AFRIQUE : Le Sénégal, laboratoire d’une nouvelle alliance entre démocratie et souveraineté économique

 
 
 
Dans son dernier rapport publié sous le titre « Analysis of the Nexus Between Democratic Governance and Economic Justice in Africa » (Analyse du lien entre gouvernance démocratique et justice économique en Afrique) fait par l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, le réseau de fondations Open Society Foundations plaide pour une refondation de la démocratie africaine autour de la justice économique et de la souveraineté populaire. Le Sénégal y apparaît comme un cas d’école : longtemps vitrine du libéralisme politique en Afrique de l’Ouest, il tente aujourd’hui de conjuguer liberté politique, indépendance économique et réhabilitation du pouvoir citoyen.
 
 
 
Depuis des décennies, le Sénégal est cité comme le modèle démocratique de l’Afrique de l’Ouest. Mais derrière cette réputation flatteuse, le pays peine à traduire sa stabilité politique en progrès économique et social. C’est précisément ce paradoxe que met en lumière le rapport de Ndongo Samba Sylla : la démocratie formelle, réduite à des élections régulières et à la liberté d’expression, ne garantit ni la justice économique ni la souveraineté populaire.
 
 
 
Quand la démocratie ne suffit plus
 
 
 
Sylla soutient que « la démocratie ne doit pas être un simple rituel électoral, mais un projet de libération ». Selon lui, l’Afrique — et le Sénégal en particulier — s’est enfermée dans une « démocratie sans choix », où les gouvernements élus ne disposent pas des leviers économiques nécessaires pour répondre aux besoins de la population. Cette idée d’« élections sans alternative » renvoie à ce que l’auteur appelle les choiceless democracies : des régimes où les urnes sont libres, mais les politiques économiques dictées de l’extérieur.
Le Sénégal illustre parfaitement cette impasse. Depuis les programmes d’ajustement structurel imposés dans les années 1980, l’État a perdu la maîtrise de ses outils économiques : politique monétaire sous tutelle de la Bceao, privatisations massives, dépendance à l’aide extérieure. Résultat : une croissance en trompe-l’œil, des inégalités persistantes, et une jeunesse en quête d’émigration.
 
 
 
Le coût social d’une démocratie sous contrainte
 
 
 
Le rapport rappelle une donnée troublante : entre 1961 et 2014, le Pib réel par habitant du Sénégal est resté quasi stagnant. En d’autres termes, six décennies de pluralisme n’ont pas suffi à améliorer sensiblement le niveau de vie moyen.
Sylla voit dans cette stagnation la conséquence directe d’un modèle politique où la démocratie a été dissociée de la question économique. « Le Sénégal, écrit-il, est souvent présenté comme un modèle de stabilité, mais cette stabilité s’est construite au prix d’une pauvreté persistante et d’une dépendance structurelle vis-à-vis des anciennes puissances coloniales. »
Les politiques économiques néolibérales ont certes ouvert le pays aux capitaux étrangers, mais elles ont aussi fragilisé la base productive nationale. L’auteur rappelle que le secteur informel occupe encore plus de 90% de la population active, un indicateur d’exclusion économique massive. Dans ces conditions, la démocratie risque de se réduire à un « spectacle institutionnel » : des élections compétitives mais sans véritable débat sur la répartition des richesses ou sur la souveraineté économique.
 
 
 
Bassirou Diomaye Faye : une rupture historique
 
 
 
L’élection de Bassirou Diomaye Faye en mars 2024 marque, selon Ndongo Samba Sylla, un tournant dans cette trajectoire. Pour la première fois dans l’histoire de la zone-franc, un candidat civil, ouvertement critique de la domination française et du franc Cfa, a accédé au pouvoir à l’issue d’un scrutin libre et pacifique.
Ce fait, note l’auteur, rompt avec une longue tradition où « les rares dirigeants anti-impérialistes étaient issus des rangs militaires ». Contrairement à Thomas Sankara ou Marien Ngouabi, le nouveau président sénégalais incarne une rupture démocratique et civile avec la Françafrique.
Mais la question reste entière : comment transformer cette rupture symbolique en refondation économique ? Pour Sylla, le défi est immense. Le Sénégal hérite d’une architecture financière verrouillée, où les principales décisions économiques restent encadrées par les institutions de Bretton Woods et la Bceao. La souveraineté monétaire demeure un horizon, non une réalité.
 
 
La jeunesse sénégalaise, moteur de la réinvention démocratique
 
 
 
L’auteur accorde une place centrale à la jeunesse africaine, qu’il décrit comme « majoritaire dans la population mais minoritaire dans la décision ». Avec un âge médian de 19 ans, le continent est gouverné par des dirigeants dont la moyenne dépasse 70 ans.
Le Sénégal fait figure d’exception relative : l’arrivée au pouvoir d’un président de 44 ans, entouré d’une équipe rajeunie, traduit une transition générationnelle rare dans la région. Cette évolution, souligne Sylla, est le fruit d’une décennie de mobilisation citoyenne — de Y’en a marre aux collectifs de jeunes économistes et activistes panafricanistes.
Le rapport insiste sur le rôle de ces mouvements comme vecteurs d’éducation politique populaire. Ils ont permis de redonner à la jeunesse le sentiment que le vote peut être un acte de transformation et non un rituel sans effet. Cependant, l’auteur prévient : sans redistribution réelle et sans inclusion économique, cet espoir risque de s’éteindre rapidement.
 
 
 
Démocratie, souveraineté et justice économique : un triangle vital
 
 
 
Le cœur du rapport réside dans l’idée d’un nexus entre démocratie et justice économique. Sylla y formule une équation simple :
« Démocratie = égalité politique × justice économique. »
Dans cette perspective, la démocratie ne peut être authentique que si elle garantit à chacun non seulement le droit de vote, mais aussi le droit de vivre dignement du fruit de son travail. L’auteur s’appuie sur les travaux de Hahnel et de la théorie de la « justice distributive » pour rappeler que la liberté politique sans égalité économique n’est qu’un leurre.
Le Sénégal, avec ses inégalités croissantes et son chômage endémique des jeunes, représente un test grandeur nature. Si le nouveau pouvoir parvient à concilier gouvernance démocratique et réformes économiques souveraines, le pays pourrait devenir le premier exemple d’une « démocratie substantielle » en Afrique de l’Ouest : une démocratie où le peuple ne se contente pas d’élire, mais participe réellement aux décisions qui façonnent son destin.
 
 
 
Réinventer la démocratie par la participation populaire
 
 
 
L’un des apports majeurs du rapport réside dans sa proposition d’élargir la démocratie au-delà des élections. Sylla plaide pour la création d’espaces institutionnalisés de participation populaire — conseils citoyens, assemblées tirées au sort, budgets participatifs — afin de redonner du pouvoir décisionnel aux citoyens ordinaires.
Cette approche trouve un écho au Sénégal, où plusieurs initiatives locales expérimentent déjà ces pratiques, notamment dans certaines communes rurales soutenues par des Ong. L’idée est de dépasser la simple consultation pour instaurer une codécision.
Le rapport propose aussi de moderniser l’état civil pour garantir à chaque citoyen une existence légale et un accès équitable aux droits, ainsi que de promouvoir une éducation civique et financière pour renforcer l’autonomie politique et économique des populations. Ces deux axes sont cruciaux dans un pays où l’exclusion administrative et la méconnaissance du système financier entretiennent la marginalisation.
 
 
 
Sortir du piège du franc Cfa : une exigence de justice
 
 
 
L’analyse consacre plusieurs pages au lien entre domination monétaire et déficit démocratique. Pour Sylla, tant que les pays de la zone franc ne contrôleront pas leur politique monétaire, leurs démocraties resteront sous tutelle.
Il rappelle que huit des neuf coups d’État survenus depuis 2020 en Afrique ont eu lieu dans d’anciennes colonies françaises, membres ou ex-membres de la zone Cfa. Ce n’est pas un hasard, selon lui : « le franc Cfa est la manifestation la plus durable de la souveraineté limitée des États africains. »
Dans ce contexte, le Sénégal, par sa stabilité politique, pourrait jouer un rôle de pionnier dans la refondation monétaire régionale. La création annoncée de la monnaie « Eco » n’a de sens, écrit-il, que si elle s’accompagne d’une véritable rupture institutionnelle avec le Trésor français et d’un contrôle démocratique sur les banques centrales nationales.
 
 
 
La démocratie économique, nouvelle frontière du Sénégal
 
 
 
Le rapport invite à repenser le développement économique non pas en termes de croissance mais de justice : répartition équitable des ressources, accès universel aux services publics, et protection des travailleurs.
Sylla défend l’idée d’un programme universel de services publics — santé, éducation, emploi, logement — financé par une fiscalité progressive et la lutte contre l’évasion fiscale. Pour le Sénégal, où l’informalité et les exonérations fiscales affaiblissent l’État, une telle orientation pourrait transformer la nature du contrat social.
L’auteur évoque aussi la possibilité d’un programme de garantie d’emploi (« job guarantee »), inspiré des politiques keynésiennes, où l’État s’engagerait à fournir un emploi rémunéré à chaque citoyen désireux de travailler. Ce modèle, selon lui, serait plus efficace que les programmes d’assistance ponctuels et renforcerait la cohésion sociale.
 
 
 
Un projet de libération plutôt qu’un simple modèle de gouvernance
 
 
 
Le fil conducteur du rapport est clair : la démocratie africaine ne doit pas être imitée, mais inventée. Elle ne peut être durable que si elle est le prolongement d’un projet de libération, rompant avec l’héritage colonial et les dépendances contemporaines.
En ce sens, Sylla s’inscrit dans la lignée intellectuelle de Cheikh Anta Diop et de Kwasi Wiredu, qu’il cite abondamment. Comme eux, il plaide pour une réinvention de la démocratie africaine à partir de ses propres traditions : le consensus, la reddition des comptes, le lien communautaire.
Le Sénégal, avec sa longue tradition confrérique et son tissu associatif dynamique, dispose, selon lui, d’un terreau culturel propice à cette redéfinition. La démocratie sénégalaise, conclut-il, pourrait devenir le laboratoire d’un modèle où la participation populaire ne se limite pas à l’isoloir, mais s’étend à l’économie, à la fiscalité, et à la gestion des ressources naturelles.
 
 
 
Vers une souveraineté démocratique
 
 
 
Le rapport se clôt sur une série de recommandations concrètes qui résonnent avec les priorités du nouveau pouvoir sénégalais. Le document invite ainsi à : instaurer un registre civil universel et numérique pour renforcer la citoyenneté ; garantir l’inclusion financière via les fintechs locales et la bancarisation des zones rurales ; créer des institutions de délibération citoyenne à tous les niveaux ; élaborer une fiscalité progressive et écologique et, surtout, redéfinir la souveraineté économique comme une composante essentielle de la démocratie.
L’enjeu n’est pas seulement politique, mais existentiel. Pour Ndongo Samba Sylla, l’Afrique — et le Sénégal en premier lieu — doit sortir de la dépendance intellectuelle et institutionnelle qui l’empêche d’être maître de son destin.
 
 
 
 
 
 
 
 
Sidy Djimby NDAO
Correspondant permanent en France
 
 
 
 
 
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