Le journaliste sportif Aboubacry Ba est plus que jamais confiant quant à la possibilité de voir le Sénégal une nouvelle fois sur le toit de l'Afrique. Dans cet entretien téléphonique qu’il nous a accordé, il analyse la liste des 55 joueurs présélectionnés pour la Coupe d'Afrique des nations 2023 et dévoile les chances de voir le Sénégal conserver son titre. Pour lui, Aliou Cissé a trouvé la bonne formule en créant une osmose entre la nouvelle génération et son équipe "naturelle". Quid des joueurs locaux non sélectionnés ? Le journaliste estime que les meilleurs joueurs du championnat sénégalais sont transférés en Europe à la fin de chaque saison.
Les Echos : Après la publication de la liste de 55 joueurs par Aliou Cissé, quel est votre analyse ?
Aboubacry Ba : Aliou Cissé est resté dans sa logique. Je ne suis pas surpris de voir ces joueurs. Il les surveille tous depuis un moment. J'ai presque envie de dire naturellement que ce sont des joueurs qu'il a envie d'intégrer dans la tanière, des joueurs qui étaient dans l'antichambre. Par exemple cette équipe qui a joué contre le Rwanda lors de la dernière journée des éliminatoires de la Can, c'est le groupe d'excellence et il y a une certaine logique dedans, parce que cette liste préfigure le prochain visage de l'équipe nationale. Les meilleurs Sénégalais du moment sont dans cette liste à quelques exceptions près. La relève est là quasiment à tous les postes. Donc je ne suis réellement pas surpris.
Cette liste ne compte pas un seul joueur local, est-ce normal pour vous ?
C'est vrai, mais pour moi, c'est logique ; parce qu'à la fin de chaque saison au Sénégal, les meilleurs joueurs du championnat sortent du pays. Ils sont transférés en Europe et maintenant de plus en plus en Afrique. On est tous d'accord que c'est vraiment les meilleurs qui sont partis ! Les meilleurs sont partis rejoindre les meilleurs et l'équipe nationale étant la sélection des meilleurs joueurs sénégalais du moment, il est logique qu'on trouve les meilleurs joueurs du Sénégal hors du championnat sénégalais. Déjà que le championnat sénégalais n'arrive pas à garder ses meilleurs joueurs, donc on est dans la continuité. La liste intervient après seulement 9 journées du championnat. Il n'y a pas de joueurs qui ont émergé au point de prétendre à une place parmi les meilleurs de la saison dernière et qui sont dans la liste. Ceux qui avaient gagné le Chan sont dans la liste. S'ils étaient restés dans le championnat sénégalais on les aurait pris. Alors le coach va les chercher là où ils sont. Pour moi, il n'y a rien de scandaleux. Cette liste serait intervenue en fin de saison on pourrait dire quelque chose, mais nous ne sommes qu'à la 9e journée d'un championnat qui a été dépouillé comme chaque année quasiment de ses meilleurs joueurs. Il faut du temps pour que les meilleurs joueurs soient remplacés. Moi, je trouve ça logique.
À quelques semaines de la Can, pensez-vous que le Sénégal est bien outillé pour conserver son titre ?
L'équipe du Sénégal a les moyens de conserver son titre ! J'ai envie de mettre un point d'exclamation après avoir dit ça. L'équipe du Sénégal a réellement les moyens de conserver son titre à Abidjan. On a une équipe équilibrée et plus forte. Ça peut vous paraître bizarre, mais j'ai l'impression que cette équipe du Sénégal est plus forte maintenant. Elle n'est peut-être pas plus flamboyante, mais elle est plus forte parce qu'elle est plus sereine. On sent de la maîtrise et il n'y a pas de bricolage. On est capable de sortir de gros matchs comme contre le Brésil et l'Algérie même si on a perdu. On a fait un gros match contre le Cameroun et à la Coupe du monde 2022, on n'était pas ridicule. L'équipe est moins dépendante d'une ou de deux individualités. Il y a une très belle alchimie, il y a beaucoup de complémentarités, avec ce que Krépin Diatta est devenu et aussi le rôle de Kouyaté. On a vu les différents postes que Illimane Ndiaye occupe avec cette variété que l'on peut amener sur le front de l'attaque avec Ismaila Sarr. L'équipe est beaucoup plus sereine et le coach a des certitudes. Pour moi, c'est important à noter dans l'évolution de cette équipe du Sénégal. Beaucoup de maturité, de confiance et beaucoup de détermination également. Et surtout cette pression, j'ai l'impression qu'elle est positive, cette pression qui pèse un peu sur les épaules du Sénégal en ce moment. Et dire qu'aujourd'hui, Aliou Cissé n'a plus le choix, une bonne Can c'est un titre. Mais il est évident qu'en deux ans l'équipe nationale du Sénégal a fait d'énormes progrès dans le jeu, dans la cohésion du groupe, dans l'animation collective, dans la maturité et dans cette envie de conquérir encore et encore. Ça je pense que c'est quelque chose de très positif. C'est là où réside réellement les forces du Sénégal et pour moi, c'est le levier sur lequel on doit s'appuyer pour aller conquérir cette deuxième étoile que les Sénégalais attendent.
Dans quel état d'esprit les Lions doivent-ils être pour éviter ce qui est arrivé à l'Algérie en 2022 ?
L'Algérie après son titre en 2019 est restée invaincu après 35 matchs. C'était devenu une obsession de battre ce record du monde avec cette série parce qu'ils n'étaient pas loin de le faire. Les Algériens n'avaient d'yeux que pour ça avec toute l'euphorie. On n'avait même oublié le titre, ce qui était important, c'est que l'Algérie batte le record du monde d'invincibilité.
Le Sénégal a déjà perdu son premier match après la Can. C'est au Caire et on a perdu par un but à zéro, donc on est plus dans cette logique de l'Algérie. Après on a perdu des matchs à la Coupe du monde. Ce n'est pas la même chose et on n'est pas dans la même tournure que l'Algérie. Nous sommes dans une autre configuration qui se lit dans le jeu et dans les différents matchs de Aliou Cissé dans les dernières sorties avec cette envie d'amener de la variété dans le jeu du Sénégal. Il ne faut pas laisser les choses ronronner comme l'a fait l'Algérie qui, à un moment donné, pensait qu'il suffisait de rentrer sur le terrain et gagner. Il n'y a pas eu cette remise en cause, comme c'est le cas au Sénégal, car il y a énormément de remises en question. Aliou Cissé tente énormément de choses. Il bouscule beaucoup de certitudes dans le renouvellement de l'effectif ; par exemple, Abdou Diallo a perdu sa place de titulaire, ce qui montre son envie d'améliorer cette équipe du Sénégal. Donc l'Algérie était arrivée avec des certitudes, contrairement à cette équipe du Sénégal qui s'est remise en cause. Ça va être la force de cette équipe.
Quels sont les changements majeurs que doivent apporter Aliou Cissé et son staff pour gagner la prochaine Coupe d’Afrique ?
N'oublions pas que l'on a fait une Coupe du monde sans Sadio Mané, donc c'était un moment de remise en question. C'était un moment de recherche de solutions et Aliou Cissé a eu cette occasion grandeur nature dans une haute compétition. On l'a vu avec des changements de système avec 3 défenseurs ou 5 défenseurs, des pistons...nous avons vu les changements de poste qui sont plus ou moins réussis avec Illimane Ndiaye, de même que Jacobs, Krépin Diatta, Sabaly, je l'espère et aussi Pape Guèye... Nous avons beaucoup de variétés dans le jeu du Sénégal et c’est ça qui est important, car l'adversaire du Sénégal ne peut pas savoir comment vas jouer le Sénégal. Nous avons expérimenté avec plus ou moins de bonheur beaucoup de systèmes, beaucoup de joueurs, de schémas tactiques qui font que le Sénégal a la possibilité de brouiller les cartes et rendre son jeu moins prévisible. Le Sénégal pourra avec ça faire une très bonne Can.
Quels sont vos favoris et vos outsiders pour cette Can ?
Les favoris ? Je dirais le Sénégal d'abord, ensuite le Maroc, la Côte d'Ivoire. Le pays hôte a une grosse équipe, en plus de la motivation à revendre, même s'il y a une grosse pression ; j'espère qu'ils la rendront positive. Maintenant, on ne sait pas le visage que présentera l'Égypte et l'Algérie à Abidjan. Il y a le premier trio Sénégal-Côte d'ivoire-Maroc et un deuxième trio Algérie-Égypte-Nigéria. Pour le deuxième trio je suis moins affirmatif.
Samba THIAM
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