À l’issue d’une semaine de discussions à huis clos entre acteurs politiques, société civile et institutions, le rapport général du Dialogue national 2025 sur le système politique vient d’être publié. Le document dresse un état des lieux sans détour des dysfonctionnements démocratiques du Sénégal, recense 36 sujets débattus, acte 24 consensus, et formule 27 recommandations pour réformer en profondeur le jeu politique. Refondation de la justice électorale, bulletin unique, vote des détenus, création d’une Cour constitutionnelle, encadrement du cumul des fonctions : les propositions sont nombreuses, mais parfois limitées par des désaccords profonds.
Convoqué hors de toute échéance électorale, dans un contexte politique pacifié, le Dialogue national 2025 a permis de réunir partis politiques, institutions, société civile et citoyens pour interroger en profondeur le fonctionnement du système politique sénégalais. Publié à l’issue des concertations tenues du 28 mai au 4 juin, le rapport général du Dialogue national 2025 consacré au système politique propose une batterie de recommandations ambitieuses, tout en mettant en lumière des désaccords persistants sur des questions clés. Le document, rendu public début juillet, fait la synthèse d’une semaine de discussions, d’accords, de divergences et de propositions concrètes. En tout, 36 points ont été débattus, 24 ont fait l’objet d’un consensus, et 27 recommandations ont été formulées.
Démocratie et libertés : des avancées mais des fractures
La Commission n°1, présidée par Thiaba Camara Sy, s’est penchée sur 15 points. Elle a débouché sur des consensus majeurs concernant l’interdiction du cumul entre la fonction de chef de l’État et celle de chef de parti; l’interdiction du cumul entre membre du gouvernement et chef d’exécutif local; la nécessité de réformer la loi sur les partis politiques; l’encadrement du financement public et privé des partis, y compris les fonds provenant de la diaspora; la rationalisation du calendrier électoral. Ces recommandations visent à moraliser la vie publique et à clarifier les rôles dans la gouvernance nationale.
Mais sur d’autres questions cruciales, la division reste frontale. Le statut du chef de l’opposition est rejeté par la majorité, qui préfère une reconnaissance globale de l’opposition. L’idée d’élargir la saisine du Conseil constitutionnel aux citoyens divise également : jugée urgente par l’opposition, elle est renvoyée par la majorité à une réforme globale de la Cour constitutionnelle.
Même fracture sur la publication des sondages, l’encadrement des réseaux sociaux, ou la création d’un Observatoire national de la démocratie. Si la société civile plaide pour un organe citoyen de veille démocratique, la majorité y voit une duplication d’institutions existantes.
Les débats ont aussi buté sur la réforme du cadre juridique des libertés publiques, notamment l’article 80 du Code pénal et l’arrêté Ousmane Ngom sur les manifestations. Malgré les appels à la modernisation, les représentants de l’État insistent sur le «maintien de l’ordre» et la «stabilité des institutions».
Processus électoral : des réformes de fond à l’étude
La Commission n°2, dirigée par l’expert électoral Mamadou Seck, a examiné 20 points relatifs à l’organisation des élections. Dix-sept ont été effectivement débattus. Parmi les consensus dégagés : Adoption du bulletin unique ; Vote des personnes détenues, sous réserve d’étude de faisabilité ; Vote électronique à moyen terme, dans le cadre d’un processus de dématérialisation progressive ; Maintien du parrainage, mais réforme de ses modalités pratiques ; Vote anticipé pour les journalistes, magistrats et forces de sécurité ; Institutionnalisation des débats programmatiques à la présidentielle ; Audit du fichier électoral par des experts indépendants ; Inscription automatique des primo-électeurs lors de l’obtention de la Cni ; Effectivité de la parité dans les instances électives ; Prise en compte des personnes en situation de handicap dans le processus électoral.
Un point de désaccord majeur subsiste toutefois : les modes de scrutin aux élections législatives et locales. L’opposition appelle à une réforme fondée sur des simulations des scrutins antérieurs, tandis que la majorité préfère conserver les dispositifs actuels pour garantir la stabilité institutionnelle. Autre sujet renvoyé à un dialogue ultérieur : le vote par procuration, que la commission juge prématuré à ce stade.
Réformes institutionnelles : un consensus rare sur la Cour constitutionnelle
La Commission n°3, présidée par le professeur Ameth Ndiaye (Ucad), s’est distinguée par une large convergence de vues. Quatre grandes réformes ont fait l’objet d’un accord global : La première grande réforme c’est la création d’une Cour constitutionnelle, en remplacement du Conseil constitutionnel, dotée de compétences élargies (consultatives et juridictionnelles), d’une composition pluraliste, et d’une accessibilité accrue via une décentralisation fonctionnelle. Ensuite la refonte de la justice électorale, avec notamment la création de chambres spécialisées ; l’instauration d’un double degré de juridiction ; l’application immédiate des décisions et le renforcement de la proximité des juridictions.
La troisième grande réforme, c’est la mise en place d’un organe indépendant de gestion des élections, doté d’un ancrage constitutionnel, d’une autonomie budgétaire et d’une composition pluraliste (société civile, magistrats, experts). Alors que la quatrième grande réforme consiste en la création d’un nouvel organe de régulation des médias, garant de la liberté de la presse et du droit à l’information, à même de remplacer ou de renforcer les fonctions actuelles du Cnra.
Des recommandations pour baliser l’action future
Sur la base des discussions, le rapport formule 27 recommandations structurées, regroupées autour de trois axes majeurs. Il s’agit d’abord de la « consolidation des acquis démocratiques ». Cet axe préconise notamment l’interdiction formelle du cumul des fonctions politiques, l’encadrement rigoureux de la création et du financement des partis, la dépénalisation raisonnée de certaines formes d’expression publique, encadrement des manifestations publiques avec des délais de notification clairs ainsi la réforme de la loi de 1981 sur les partis et du code électoral.
Pour l’axe « réforme du processus électoral », le document invite à la dématérialisation progressive du système (bulletin unique, vote électronique), à la prise en compte du handicap et des primo-électeurs, à l’amélioration du dispositif de parrainage, à l’audit périodique du fichier électoral ou encore l’harmonisation de l’application de la loi sur la parité.
Ensuite il y a l’axe « renforcement institutionnel ». À ce propos, le rapport préconise : la mutation du Conseil constitutionnel en Cour constitutionnelle, la refonte complète de la justice électorale, la mise en place d’un organe électoral indépendant, avec une loi organique dédiée, la révision de la Constitution et du Code électoral et enfin la réforme de l’organe de régulation des médias.
Jubbanti : l’inclusion citoyenne à l’épreuve
Innovation majeure de ce dialogue, la plateforme Jubbanti a permis aux citoyens sénégalais – résidant au pays comme à l’étranger – de soumettre directement leurs propositions. Selon le rapport, plusieurs centaines de contributions ont été analysées, certaines étant reprises dans les Tdr ou directement dans les discussions en commission.
Cette démarche participative a permis d’introduire dans les débats des préoccupations souvent absentes des dialogues politiques classiques : transparence des fonds publics, accès aux débats électoraux, prise en compte des personnes en situation de handicap, ou encore accès à l’information pour les jeunes et les ruraux.
Ce que le rapport ne tranche pas
En dépit de ses avancées, le rapport reste prudent sur plusieurs fronts. Il renvoie à l’arbitrage du président de la République certains sujets délicats : «statut du chef de l’opposition reste non tranché» , des «modes de scrutin sont à discuter dans un cadre technique ultérieur», la «régulation des libertés publiques fait encore l’objet de clivages majeurs» et enfin le «vote par procuration est différé à une prochaine consultation.» Dans une certaine mesure, le rapport assume ce caractère transitoire : il fixe des balises, mais laisse la porte ouverte à des ajustements politiques.
Quelle suite institutionnelle ? Le rapport ne précise pas de calendrier pour la mise en œuvre des recommandations. Toutefois, il suggère : la création d’un comité technique restreint pour traduire les accords en textes législatifs ; une phase transitoire pour tester les innovations (vote électronique, organe électoral indépendant) ; une évaluation indépendante des effets des réformes engagées.
Sidy Djimby NDAO