
A propos des élections qui ont mis l’institution judiciaire à rude épreuve, le Premier président de la Cour suprême a dédouané la haute hiérarchie judiciaire, qui, dit-il, n’a pas les coudées franches pour agir à cause des textes. Il s’est aussi interrogé sur la nécessité de conférer au serment du magistrat un caractère religieux pour créer, dit-il, un impact plus important sur sa conscience.
Le Premier président de la Cour suprême, Mahamadou Mansour Mbaye, est revenu, dans son discours, sur les Assises de la Justice conviées par le Président Bassirou Diomaye Faye au lendemain de son élection. Des élections qui ont mis à rude épreuve l’institution judiciaire, de l’avis de l’ancien Procureur général près la Cour suprême. Ces assises, dit-il, ont été un grand moment pour les citoyens, dans leur diversité, d’apprécier le fonctionnement de l’institution judiciaire.
L’impuissance de la haute hiérarchie judiciaire
«La haute hiérarchie judiciaire y a été appelée in extremis mais pas pour y jouer un rôle de premier plan, à juste titre peut-être. Il faudrait néanmoins admettre que certaines imperfections ne peuvent être perçues qu’à l’intérieur du système judiciaire, par les hommes du métier. La haute hiérarchie aurait pu avouer, à ces assises, son impuissance, lors des périodes troubles, à pallier les dysfonctionnements qui peuvent affecter fortement la marche régulière de la Justice ; son impuissance à redresser la barre. Nous pouvons en juger par les réalités des textes d’hier comme d’aujourd’hui : la hiérarchie judiciaire n’a, en effet, aucun pouvoir juridique de proposition de nomination aux emplois judiciaires établis par le statut spécial des magistrats ; elle ne peut pas, en matière pénale, poursuivre un magistrat sans y être autorisée par le ministre de la Justice ; la saisine du conseil de discipline des magistrats appartient exclusivement au ministre de la Justice. Il s’avère ainsi qu’aucun levier important, ni aucune initiative permettant de mettre fin à un dysfonctionnement du système judiciaire n’est confié au pouvoir judiciaire, aux magistrats. Dans ces conditions, en cas de difficultés majeures, les regards doivent se tourner vers le ou les maître(s) du jeu pour situer les responsabilités», explique le Premier président de la Cour suprême pour dédouaner la haute hiérarchie judiciaire. Néanmoins, il n’a pas manqué de préciser qu’en toute circonstance, le magistrat ne doit obéir qu’à la loi et à sa conscience, en conformité avec les termes de son serment.
Conférer au serment un caractère religieux
Pourtant, de l’avis du Premier président de la Cour suprême, la formule de la prestation de serment contient toutes les dispositions nécessaires pour que le juge, qui est le gardien de la loi, soit également gardée par celle-ci. «Il me semble donc peut-être vain de s’interroger sur la question de savoir si, d’un point de vue culturel, il ne serait pas plus judicieux de conférer au serment du magistrat un caractère religieux, en l’exprimant dans les formes requises par nos religions pour créer ainsi un impact plus important sur sa conscience. Cette réflexion cache peut-être l’idée plus globale que le fonctionnement de l’institution judiciaire devrait s’inscrire dans nos valeurs sociétales pour permettre au peuple sénégalais, au nom duquel le magistrat rend ses décisions, de mieux se reconnaître dans son juge», fait-il remarquer.
Une meilleure position sur le plan protocolaire
Poursuivant, M. Mbaye a abordé une question absente des assises sur la justice, celle du protocole au niveau de l’État pour mieux situer la représentation du pouvoir judiciaire. «Si, celui-ci n’y est pas absent, comme l’est l’Assemblée nationale en ce qui concerne l’adoption des actes uniformes, jusqu’à récemment, il n’était cependant pas visible en raison du rang qu’il occupait sur ce plan, en total déphasage avec sa qualité de troisième pouvoir. La suppression récente de deux institutions consultatives a ramené le pouvoir judiciaire à une meilleure position même si, de notre point de vue, la déclinaison de l’article 6 de la Constitution sur le plan protocolaire pourrait être mieux aménagée», plaide le premier magistrat de la Cour suprême.
On est en droit de se demander si nos lois sont bien pensées …
Il poursuit pour appeler à une relecture de plusieurs textes afin de leur procurer ‘’une meilleure cohérence’’. Il en veut pour preuve les nombreuses demandes d’avis au Conseil constitutionnel. « On est en droit de se demander si nos lois sont bien pensées et si elles ont été énoncées clairement. Il revient certes au juge d’interpréter la loi, il importe cependant, notamment dans certaines matières, comme le droit électoral et le droit pénal, que la loi soit suffisamment claire, tout au moins dans son esprit. Il faut pour cela avoir une approche systémique et éviter les modifications partielles voire parcellaires qui n’ont d’autres effets que de rendre nos textes nébuleux voire contradictoires», renchérit-il.
M. CISS