La page Facebook du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a explosé, hier ! Et pour cause, Mary Teuw Niane ne s’est pas retrouvé dans le classement du Concours général. Tout en félicitant Diary Sow, il a clairement noté que son cœur va à Samba Khary Sylla et El Hadji Abdou Aziz Dabakh Kane. Car, précise-t-il, à moins qu’il ne soit «archaïque», il ne conçoit pas qu’une médaille d’or soit supplantée par des médailles d’argent ou de bronze. En réaction, beaucoup de ses amis et collègues enseignants ont partagé ses interrogations et ses choix. Et pour ceux qui ont vu dans son post de l’inélégance envers Serigne Mbaye Thiam, il souligne que «c’est un débat entre enseignants et pédagogues», qui n’a rien à voir avec le mérite de son collègue et ami Serigne Mbaye Thiam «qu’il apprécie».
Il ne faudra pas compter sur le ministre de l’Enseignement supérieur pour bénir les choix du Concours général 2018. Même s’il les respecte, Mary Teuw Niane aurait fait d’autres choix. «Je félicite toutes les lauréates et tous les lauréats. Je félicite la meilleure élève Mlle Diary Sow du lycée d’Excellence de Diourbel», souligne d’emblée sur sa page Facebook le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Qui, aussitôt, étale sa perplexité. «Je ne puis m’empêcher de m’interroger sur les critères de choix du meilleur élève du Concours et du meilleur élève scientifique», dit-il. En effet, le ministre de l’Enseignement supérieur a d’autres noms pour le titre de meilleur élève. «Mon choix de cœur va à deux élèves : Samba Khary Sylla qui a remporté deux premiers prix en Mathématiques et en Physique. Il est élève au lycée d’Excellence de Diourbel et El Hadj Abdoul Aziz Dabakh Kane qui aussi a remporté deux premiers prix en Philosophie et en Histoire et un troisième prix en Français», fait savoir le brillant Mathématicien.
«La boussole», selon Mary Teuw Niane
Ne comprenant pas pourquoi Sylla et Kane sont passé derrière Diary Sow, il se demande si ce n’est pas lui qui est dépassé. «Peut-être suis-je archaïque car je ne conçois pas qu’une médaille d’or puisse être supplantée par des médailles d’argent, de bronze ou de vermeil etc.». Il est d’autant plus surpris que le classement est en déphasage avec les nouvelles orientations dans le secteur de l’enseignement et de la formation. «De plus, nous avons une boussole, la première décision des Conseils présidentiels sur l’Enseignement supérieur et la Recherche et sur les Assises de l’Education et la Formation : réorienter l’éducation, la formation et l’enseignement supérieur vers les sciences, les technologies, les sciences de l’ingénieur, les mathématiques...», conclut-il.
Pr Aya Diop, ancienne lauréate du 1er prix de Philosophie : «C’est bien de mener une politique de promotion en faveur d’un nouvel établissement, mais il faut absolument éviter de créer de la frustration»
Ce texte du ministre de l’Enseignement a fait réagir beaucoup de ses amis sur Facebook. Et la quasi-totalité partage son analyse. C’est le cas d’Ibrahima Xalil Niang, sociologue, enseignant chercheur à l’Ucad, dont la réaction est à la fois pleine d’humour et de sens. «On est au Sénégal. On fête toujours le second en disant qu’il court bien, oubliant que c’est le premier qui a gagné. C’est l’empowerwoman qui est fêté», lâche-t-il. Pour Marième Ngom, «il est quand même étonnant que le premier en Maths et en Physique ne soit pas le meilleur élève scientifique!».
Le professeur Aya Diop va plus loin, en débusquant une volonté de promouvoir le nouveau lycée d’excellence de Diourbel. «Vous n'êtes pas le seul à vous interroger sur les critères de sélection adoptés, M. le Ministre. C'est bien en effet de mener une politique de promotion en faveur d'un nouvel établissement dont les acteurs ont besoin d'être accompagnés moralement et institutionnellement. Mais il faut absolument éviter de créer de la frustration chez les élèves dont le mérite est sans doute plus grand, car s'étant très bien distingués dans différentes disciplines», a déclaré l’ancienne lauréate du 1er prix de philosophie, qui se félicite qu’il soit décerné cette année après trois ans de «chaise vide».
«Inélégant et maladroit» de la part du ministre ?
Mais il y a eu quelques réactions opposées. C’est le cas d’Ousseynou Thiam qui à la limite traite le ministre d’inélégant. «M. le Ministre, n'est-il pas maladroit et à la limite inélégant pour un ministre de la République de remettre en cause les critères de classement unanimement discutés et retenus par les acteurs en charge de l'organisation du Concours général ?», assène-t-il. Avant de poursuivre en faisant le leçon à l’enseignant : «Je vous rappelle qu'au Concours général, il n'existe pas de distinction entre les séries et qu'un élève de S1 peut, au même titre qu'un élève de L, être sélectionné par exemple pour le concours de philosophie ou de français. Par ailleurs, les critères de classement sont très clairs, c'est sur la base du cumul de toutes les notes obtenues par les lauréats qu'un classement est établi. Vous êtes cependant libre d'avoir votre coup de cœur pour tel ou tel autre lauréat». Mbaye Diouf, qui pourtant reconnaît la pertinence de la réflexion du ministre, lui reproche aussi la manière. «Tu as raison, mais Monsieur le ministre a tout le loisir et l’opportunité de le dire par d’autres voies. Sinon, c’est comme mettre du sable dans le couscous déjà préparé».
Mary Teuw Niane : «C’est un débat entre enseignants et pédagogues. Ce n’est pas une question de politique politicienne. Ça n’a rien à voir avec le mérite de mon collègue et ami (Serigne Mbaye Thiam) que j’apprécie»
Un second reproche contre lequel Mary Teuw Niane s’est défendu, mettant en avant l’importance du regard professionnel et pédagogique. «Cher ami, c’est un débat entre enseignants et pédagogues. Ce n’est pas une question de politique politicienne. Donc on peut en débattre. Ça n’a rien à voir avec le mérite de mon collègue et ami que j’apprécie», réplique-t-il. Une réponse appuyée par sa collègue Awa Diop. Professeur de Lettres, ancienne du Lycée Limamou Laye où elle a été très dynamique dans le syndicalisme et actuellement, chef de la division gestion des conflits au ministère de l’Enseignement supérieur. «Pourquoi ne faudrait-il pas en parler sur cet espace d'échanges entre intellectuels et professionnels ? Nul mal à cela, à mon sens. Je ne vois vraiment aucun mal à communiquer ici, à débattre, de façon rationnelle et professionnelle, d'une question qui interpelle tous les acteurs de l’éducation. Nous avons réagi uniquement en notre qualité d’enseignants, de gestionnaires ou parents, car la problématique des critères de sélection des meilleurs d'entre nos étudiants nous interpelle en premier chef», note-t-elle. Poursuivant, elle soutient que «tout système étant perfectible, par ailleurs, il faut soumettre cette question relative aux critères de sélection à l'appréciation de grands intellectuels». A en croire le Pr Diop, «cette option (de débattre entre professionnels) permet de disposer de solutions viables, durables car bien pensées».
De la pertinence de mettre en compétition des lycées d’excellence et des lycées traditionnels avec des tas de problèmes
En tout cas, dans la recherche de solution, il serait intéressant de prendre en compte le questionnement d’Ibrahima Fall. «Objectivement, est-il pertinent de mettre en compétition les élèves d'un lycée d'excellence qui regroupe les meilleurs apprenants du pays avec les meilleurs professeurs travaillant dans les meilleures conditions, et ceux des lycées traditionnels traînant tous les problèmes imaginables. Il n'y a plus seulement Gorée, mais progressivement d'autres lycées d'excellence verront le jour. Question à approfondir», dit-il.
Mbaye THIANDOUM
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