Outre le secteur du pétrole et du gaz et l’implication des communautés impactées, le secteur minier aussi a fait l’objet de discussions thématiques animés par des experts, à l’occasion de la 5e édition de la Table ronde sur la gouvernance des ressources minérales au Sénégal initiée par Osidea et son président, Cheikh Oumar Sy.
La 5e édition de la Table ronde sur la gouvernance des ressources minérales au Sénégal initiée par le président de l’Observatoire de suivi des indicateurs de développement économique en Afrique (Osidea) a été marquée par deux journées de panels de très haut niveau animés par des experts du secteur, autour du thème central : « Exploitation pétrolière, gazière et minière : passer de l’exploitation à la transformation des ressources naturelles pour faire du Sénégal un hub industriel africain ». Intervenant pour le compte de Petroleum Senegalese Industry sur le thème : «Écosystème des industries extractives : Quelles avancées techniques, économiques et stratégiques pour le Sénégal», Dr Boubacar Mbodj a déploré le changement de personnels techniques scientifiques à la survenance d’une alternance. « J’ai une grande préoccupation. A chaque fois qu’on a une alternance, les gens qui ont été en charge de tel ou tel secteur sont exclus des affaires. C’est un gros problème puisqu’en France ou en Allemagne ; quelqu’un qui a une maturité de 10, 20, 30 ans dans une industrie, au plus grand jamais, on ne s’en débarrasse parce qu’on peut l’utiliser d’une manière ou d’une autre. Nous perdons énormément de savoirs et de savoir-faire si à chaque fois qu’on a une alternance, tous les gens qui sont dans les directions techniques, qui sont directeurs, etc., sont exclus », fait remarquer M. Mbodj qui en veut pour preuve, le secteur du pétrole et du gaz. «Nous avons connu des gens qui ont quitté à l’Isc qui ont fait leur vie à Petrosen, qui ont été là au moment des découvertes et qui sont aujourd’hui écartés. Les politiques peuvent régler leurs problèmes mais il est important de maintenir l’ossature technique et technologique dans chaque secteur d’industrie», ajoute l’ancien conseiller technique du président Macky Sall qui explique, dans la foulée, les problèmes de transfert technologique du Sénégal par, dit-il, notre incapacité à construire des écosystèmes technologiques. «Quand vous prenez le secteur pétrole, vous pouvez en extraire beaucoup de produits. Pour ce faire, il nous faut créer des écosystèmes et utiliser les compétences pour la chimie par exemple. Nous avons des professeurs très aguerris disséminés à travers le monde entier. Il faut les organiser et que l'Etat essaie d'injecter de l'argent pour aider ces secteurs à se développer», déclare le patron de Afogex.
Sur 7,6 milliards de primes d’assurance sur le pétrole et le gaz, les compagnies d’assurance ne captent que 350 millions
Pour sa part, Momar Seck, vice-président de la Fédération sénégalaise des sociétés d’assurances intervenant sur le thème : «Quelles politiques publiques et incitations financières pour faire émerger un tissu industriel local», a mis le doigt sur la modicité des montants captés par les sociétés d’assurance dans le secteur du pétrole et du gaz. «Au Sénégal globalement, le pétrole et le gaz rapportent au marché autour de 7,6 milliards de chiffre d'affaires de primes d’assurance du fait de la faible capacité technique et financière des sociétés d'assurance. Ce n’est pas une spécificité du Sénégal. Les gens qui exploitent le pétrole et le gaz ont déjà leurs assureurs dans leur pays d'origine ou dans leur continent d'origine et demandent aux compagnies d'assurance locales d'être juste des sociétés qui émettent les polices d’assurance qu’ils rétrocèdent par le biais de la réassurance aux réassureurs désignés par les acteurs sur le pétrole et le gaz que sont généralement Woodside et Bp. Ainsi, sur 7,6 milliards, le Sénégal ne retient que 5% soit 350 millions à titre de fronting fees (Ndlr : frais facturés par un assureur de façade pour l'émission d'une police d'assurance au nom d'un assureur captif)», se désole de constater Mor Seck, qui révèle que les 350 millions sont redistribués à l’ensemble (26) des compagnies d’assurance qui exercent au Sénégal. Des montants jugés «modiques» alors que le Sénégal a voté une loi sur le Contenu local.
7,6 milliards comptabilisés alors que cet argent n’est pas resté au Sénégal
Cependant, il est d’avis que ce n’est pas la faute des majors qui exploitent le pétrole et le gaz, mais du fait, dit-il, «de la faiblesse que nous avons au niveau de nos capacités de rétention des primes. Parce que retenir des primes veut également dire retenir des engagements. Ce que les capacités financières des sociétés d’assurance africaines généralement ne permettent pas, à l’exception de l’Afrique du Sud et les pays du Nord, notamment le Maroc». Revenant sur les 7,6 milliards de primes d’assurance, Mor Seck regrette que ce montant fasse partie du chiffre d’affaires de 292 milliards générés par le marché comptabilisés par l’Etat. «En 2024, le marché a généré environ 292 milliards de chiffre d’affaires, de primes d’assurance captés. Dans ces 292 milliards, 7,6 milliards sont relatifs au pool et près de 7,3 milliards sont partis à l’extérieur. A quoi cela sert de l’inscrire dans nos états financiers pour dire que le marché sénégalais a capté 7,6 milliards alors que cet argent n’est pas resté au Sénégal. Plus grave encore, les 7 milliards ne sont même pas passés par le Sénégal parce qu’il y a dans nos polices d’assurance des clauses qui permettent à l’assuré de payer directement l’assureur qui se trouve à l’étranger. On ne transfère au Sénégal que les 350 millions», s’indigne le patron des compagnies d’assurance.
Décaler le fait générateur
A la suite de l’assureur, le fiscaliste Blondin Sow du cabinet Mazars est revenu sur les contraintes liées à la Tva. «En matière fiscale, la principale recette fiscale au Sénégal, c’est la Tva. Si vous avez un marché pour une Pme de 100 millions, le fait générateur de la Tva c’est l’accomplissement du service ou la facturation. Ce qui signifie : si j’ai un marché aujourd’hui de 100 millions, le mois qui suit l'Etat me demande de verser 18% de Tva alors que je n'ai encore rien encaissé. Ça pose un problème de trésorerie. Certains pays miniers et pétroliers de l’Uemoa ont compris qu’il fallait décaler ce fait générateur au niveau de l’encaissement pour certains secteurs. Quand vous avez des Pme dont les principales difficultés sont liées à la trésorerie, il faut faire en sorte que le fait générateur pour reverser une Tva soit l'encaissement ou l'avance. L’Etat a enclenché une réforme du Code général des impôts et c’est un point sur lequel il faudrait réfléchir», indique M. Sow.
Le recouvrement n’est plus suspensif pour les Pme en cas de contentieux
Poursuivant, il est revenu sur le contentieux fiscal et c’est pour déplorer la suspension du recouvrement. « Il y avait une innovation qui avait été mise en 2012 qui était la Commission paritaire de conciliation. C'était une commission qui suspendait le recouvrement pour statuer sur le contentieux. Cette commission a été abrogée par la loi de finances de 2025. Aujourd’hui, quand on a un contentieux fiscal et qu’on décide de solliciter l’arbitrage du Directeur général ou du ministre des Finances, il n’est pas suspensif du recouvrement. Et, c’est un souci pour les Pme. Il faudrait voir dans la politique du contenu local que les entités Pme sénégalaises labellisées puissent bénéficier d’une suspension de recouvrement sur une durée plus ou moins longue 3 à 6 mois jusqu’à ce que le litige soit tranché. Parce que si vous avez un contentieux et que l'administration prend l'argent derrière, si le litige est tranché même en votre faveur, vous devez initier une autre procédure pour recouvrer cet argent», fulmine l’expert fiscaliste.
L’émission du récif artificiel prévu dans une zone de navigabilité
Sur un autre registre, Fama Sarr représentant les communautés impactés de Gta intervenant sur le thème : «Prévenir les risques dans les zones côtières et marines et dans les terroirs impactés», a fustigé les conséquences de l’implantation de BP Sur la communauté des pêcheurs. «A Saint-Louis, nos ancêtres ont découvert une zone de pêche poissonneuse : la roche de Diatara. Même si les puits gaziers ont été découverts sur 140 km, il y a des installations sur 40 km et sur 10 km et c’est là où se trouve la roche de Diatara. Il faut aussi prendre en compte le périmètre de sécurité de 500 mètres. En plus de l’installation du Fpso sur un autre périmètre pour la liquéfaction du gaz. Ce qui a entrainé une réduction de la zone de pêche. Une situation qui a contraint beaucoup de pêcheurs au chômage. Or, durant l’étude d’impact en 2018, des recommandations ont été formulées par les pêcheurs relatives à l’immersion de récifs artificiels. De 12 récifs convenus, la multinationale est passée à un seul récif qui tarde à être installé. Pire, l’emplacement du récif pour une enveloppe de 3,5 milliards sur 4 km, dans une zone de navigabilité, risque de ne pas avoir l’effet escompté», rapporte Mme Sarr.
Ce n’est pas un récif artificiel mais un village récifal
Cependant, les précisions de Sanou Dokono, Hse Compliance Advisor – BP n’ont pas tardé. «Initialement, l'étude avait identifié 12 sites potentiels mais ces sites avaient fait l’objet d’une étude technique beaucoup plus détaillée pour voir les fonds marins parce que compte tenu de la dimension des récifs que BP prévoit de mettre en place, il y avait des critères d’éligibilité, notamment sur les caractéristiques environnementales du fond marin. Malheureusement, pour la plupart des sites qui ont été identifiés, les fonds sont argileux dans la zone nord. Deux sites ont rempli ces critères avec des fonds qui pourraient abriter des récifs d’une taille de la dimension d’un stade de football. C’est sur la base de cela que le site actuel dénommé 5A été choisi, de concert avec la direction chargée de la gestion et de l’exploitation des fonds marins avec qui nous travaillons pour pouvoir finaliser ce projet. C’est un projet qui avance très bien. Les blocs qui devront servir à mettre en place les récifs sont actuellement en phase finale. Au mois de septembre, on aura l'ensemble des blocs. 300 blocs et chaque bloc a un poids d'environ 5 tonnes. Ce n’est pas un récif artificiel mais le projet que nous comptons mettre en place est un village récifal avec 10 pyramides qui vont être interconnectés au niveau du site pour constituer ce qu’on appelle le village récifal. Cela a fait l’objet d’une étude technique et aussi d’une expérience qui a déjà été pratiquée ailleurs», précise le représentant de BP. Pape Samba Ba de Petrosen Holding d’ajouter : «la question du récif artificiel est un point qui est suivi trimestriellement sous la présidence du Gouverneur de Saint-Louis et qui permet, à chaque fois, de venir voir les compagnies Petrosen et Kosmos et BP afin de rendre compte de l’état d’avancement de ces projets», relève-t-il.
Quand Rse s'apparente à de la corruption
Le directeur de la Géologie, Ibrahima Gassama intervenant sur le thème : «Entre développement local et préservation des écosystèmes : trouver l’équilibre», s’est insurgé contre une certaine forme de responsabilité sociétale d’entreprise (Rse) qui, dit-il, s’apparente plus à de la corruption. «En parlant de Rse, la responsabilité est partagée entre l’administration, le Bureau de suivi, les exploitants, mais également les élus. Parfois, les entreprises adoptent une forme de Rse qui s’apparente à de la corruption. Les billets d’avion qui sont attribués aux maires ou à des guides religieux, c’est fermer la bouche à ceux qui doivent plaider en faveur des communautés», charge M. Gassama. Auparavant, dans son discours introductif sur la «Cartographie du secteur minier : Quels enjeux pour le développement économique du Sénégal», il a rappelé l’audit du secteur minier initié par le ministre de l'Energie, du Pétrole et des Mines. Les premières conclusions font état de nombreuses irrégularités. Sur 513 titres miniers sur l'étendue du territoire national, les 481, soit 94% ne sont pas en conformité avec la législation minière», déplore-t-il, d’emblée.
«60% des titres sont dormants et ne mènent pas d’activités»
«Nous nous sommes rendu compte, au-delà de ce qui est actif au niveau de la base cadastrale, qu’il y a énormément d'exploitations sans autorisation dument données par l’administration minière. Il faut impérativement répertorier, inventorier et procéder à la régularisation et tirer toutes les conclusions juridiques conformément à la réglementation minière. Ces manquements sont d’ordre administratif et technique à savoir : des demandes de dossiers non conformes, l’octroi irrégulier de titres miniers, l’absence pour certaines formes de titres d’étude d’impact environnemental et social pourtant cruciale et importante, défaut de contrôle, mais aussi la sous déclaration de la production, en conséquence de la redevance minière, le défaut de paiement après obtention d’un acte administratif des droits et titres et des redevances superficielles pour certaines formes d’exploitations, mais également une exploitation avec abandon de site exploité sans réhabilitation, des exploitations en dehors du périmètre octroyé par l’administration minière, des titres qui sont donnés aux acteurs et qui sont restés dormants pendant plusieurs années. Quand vous regardez la base cadastrale 60% des titres sont dormants et ne mènent pas d’activités. Nous nous sommes rendu compte qu’il y a la spéculation qu’il faut à tout prix arrêter», note le directeur de la Géologie. Devant ce constat, il annonce la réorganisation du secteur minier. «Il faut réorganiser impérativement ce secteur parce qu’il y a des investisseurs sérieux qui se trouvent à la porte. La réorganisation permettra d’affecter ces zones et ce projet est en cours.
M. CISS













