
Après la mise en demeure adressée au Groupe futurs médias par le Cnra, assortie de menaces de suspension des programmes de Tfm, le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps) contre-attaque. Dans un communiqué d’une rare fermeté, l’organisation patronale dénonce un acharnement ciblé, une régulation instrumentalisée et une dérive autoritaire qui menace gravement la liberté d’expression au Sénégal.
Le Cdeps tire la sonnette d’alarme. Dans un communiqué rendu public ce 8 juillet 2025, le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal fustige avec vigueur la dernière décision du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra), qui a mis en demeure la Télévision futurs médias (Tfm), menaçant d’aller jusqu’à la suspension de ses programmes. Pour le Cdeps, cette mesure extrême marque une nouvelle étape dans la tentative de musellement des médias indépendants.
Déjà, en mars dernier, l’organe de régulation avait publié un communiqué similaire, alors même que son collège n’était pas encore en place. Cette récidive suscite la colère du Cdeps, qui dénonce un « acharnement intolérable » et une « logique partisane » visant particulièrement le Groupe futurs médias, pilier du paysage audiovisuel national.
« Une mise au pas orchestrée »
Au cœur de la discorde, l’émission Jakaarlo, connue pour ses débats animés et sa liberté de ton. Dans l’édition du 21 mars 2025, des propos tenus par un chroniqueur à l’encontre d’un invité politique ont été jugés « injurieux » par le Cnra. Une lecture que le Cdeps considère biaisée et orientée : « Il est inconcevable que le CNRA choisisse systématiquement un camp, au mépris du pluralisme qui fonde le débat démocratique », affirme l’organisation.
Le Cdeps accuse ouvertement l’organe de régulation d’être aux ordres d’un parti politique, dénonçant « une volonté persistante de mettre au pas la presse » sous couvert de régulation. « Le Cnra est en train de se transformer en une arme utilisée contre les groupes de presse privés », alerte-t-il.
Un climat d’intimidation généralisée
Cette mise en demeure contre la Tfm n’est, selon le Cdeps, qu’un élément d’un système plus large d’intimidation. L’organisation dénonce en parallèle une série de pressions exercées sur les médias privés, « convocations répétées de journalistes, instructions judiciaires abusives, contrôle fiscal ciblé, coupures arbitraires de signal, et surtout, le blocage depuis deux ans du Fonds d’appui et de développement de la presse (Fadp), pourtant vital pour le secteur », dénonce le patronat.
La dernière illustration de ce climat délétère est, selon le Cdeps, la convocation jugée « zélée » de Madiambal Diagne, autre figure emblématique des médias. « Nous assistons à une offensive concertée contre toute voix indépendante », déplore l’organisation patronale, qui refuse de se taire face à ce qu’elle considère comme une entreprise d’asphyxie méthodique du pluralisme médiatique.
Appel à la résistance démocratique
Face à ce qu’il qualifie de « police de la pensée », le Cdeps ne se contente pas de dénoncer, il appelle « à la mobilisation ». Dans son communiqué, il interpelle directement le président de la République, son gouvernement, mais aussi les citoyens, la société civile, les chefs religieux et coutumiers, les partis politiques, bref, toutes les forces vives du pays pour défendre les fondements démocratiques du Sénégal. « La liberté de la presse n’est pas négociable », martèle le Cdeps, réaffirmant son soutien « sans réserve » au Groupe futurs médias et exigeant une indépendance totale du Cnra. L’organisation conclut en appelant le régulateur à « la mesure, la retenue et l’impartialité » dans l’exercice de sa mission.
Une fracture institutionnelle inquiétante
Cette levée de boucliers traduit un malaise profond au sein du système démocratique sénégalais. Si un organe censé garantir l’équilibre et la liberté dans l’espace audiovisuel devient lui-même une source de censure, alors, s’alarment les professionnels du secteur, c’est tout l’édifice démocratique qui vacille.
La sortie du Cdeps sonne comme un avertissement : le pouvoir est prévenu, la presse ne compte pas se laisser bâillonner sans riposte. Quant au Cnra, il lui appartient désormais de démontrer, par des actes clairs, qu’il reste au service de l’intérêt général et non d’une logique de pouvoir.
Baye Modou SARR