Les députés qui sont en session extraordinaire depuis le 18 août ont examiné et voté, hier, dans la matinée, le troisième des quatre projets de lois déposés par le gouvernement. Il s’agit de celui portant sur le statut et la protection des lanceurs d’alerte. La séance a été marquée par beaucoup d’absences au sein de l’opposition parlementaire. La majorité a donc déroulé comme sur un tapis ; heureusement qu’il y avait Aïssata Tall Sall, Pape Djibril Fall et Barane Fofana pour imposer une position contraire dans les débats.
Contrairement aux séances plénières houleuses avec des piques lancées de part et d’autre par l’opposition et la majorité, l’examen de la loi sur les lanceurs d’alerte s’est déroulé dans le calme absolu, avec peu d’interventions dans l’opposition. La cause, beaucoup de députés opposants n’étaient pas présents et les pastefiens ont eu tout le temps et la latitude de chanter les louanges de Ousmane Sonko qu’ils désignent comme le premier lanceur d’alerte du pays.
Alla Kane : «Ousmane Sonko est le premier lanceur d’alerte de ce pays»
Pour Alla Kane, c’est le moment pour tous les Sénégalais de lancer un vibrant hommage à Ousmane Sonko, le premier lanceur d’alerte du pays. «Le 29 août 2016, le président Macky Sall a pris un décret pour radier Ousmane Sonko de la fonction publique, parce qu’il a osé dire que l’Assemblée nationale avait un retard de paiement des impôts à cette époque. Pourtant, le code de transparence adopté en 2009 demandait que l’on protège les fonctionnaires qui dénoncent les actes de corruption ou de mauvaises gestion. Sa position par rapport à l’affaire des 94 milliards aussi était un grief de l’ancien régime contre lui», a fait savoir le doyen de l’Assemblée nationale, qui profite de l’occasion pour demander au ministre de la Justice d’accélérer les dossiers.
Guy Marius Sagna demande aux Sénégalais de se poser la question de savoir pourquoi le régime de Macky Sall n’a jamais pensé à voter cette loi. «En 2014, quand j’ai cherché à dénoncer le bradage des ressources de l’hôpital de Sédhiou, on a essayé de me le faire payer avec trois affectations en l’espace de quelques mois. C’est une réalité, l’ancien régime cherchait toujours à bâillonner ceux qui osaient dénoncer la mauvaise gestion. Ousmane Sonko en est la preuve. Nous, nous cherchons à avoir 18 millions de Ousmane Sonko».
Fatou Ngom : «nous ne sommes pas loin d’abriter le plus grand nombre de lanceurs d’alerte au km2 dans le monde»
Fatou Ngom, elle, estime que nous ne sommes pas loin d’abriter le plus grand nombre de lanceurs d’alerte au km2 dans le monde. «Nous avons remarqué que n’importe quel individu réclame le statut de lanceur d’alerte. Certains vont même jusqu’à en faire une profession, échappant à tout contrôle et règle, avec ce que cela comporte comme menace sur la sécurité des citoyens et sur la cohésion sociale», fait-elle noter. Pour elle, le fait de tirer la sonnette d’alarme contre le pillage de notre patrimoine commun doit être une affaire trop noble et donc trop sérieuse pour être laissée entre les mains du premier venu. «Cela nécessite un encadrement qui ne signifie ni embrigadement ni instrumentalisation afin d’éviter d’ouvrir un boulevard aux dérives sous forme de diffamation, de règlement de comptes».
L’activité de lanceur d’alerte existe depuis longtemps au Sénégal, selon le président de la commission des lois. «Ceux qui ont l’habitude d’exploiter les procédures d’enquête judiciaire, voient souvent les termes ‘’à la suite d’une dénonciation anonyme’’. Le Sénégal a décidé maintenant de lui donner un cadre normatif», renseigne Abdoulaye Tall, qui demande au ministre de la Justice de se rattraper, pour tous les manquements de cette loi, dans le décret d’application. «J’ai des préoccupations concernant le référent interne auquel le lanceur d’alerte doit s’adresser. Qui doit être ce référent interne ? Et pourquoi pas un référent externe ? Et si le référent interne est un complice dans le détournement. L’autre préoccupation, c’est qu’on peut lancer une alerte et l’inertie du référent ou l’inaction des pouvoirs publics entraînent un problème de prescription de l’affaire», s’interroge-t-il avant d’inviter ses collègues à voter la loi.
Pape Djibril Fall : «le don de soi pour la patrie s’est curieusement transformé en don de soi pour les privilèges et les postes»
Selon Pape Djibril Fall , c’est parce que le gouvernement est incapable de trouver du travail pour les jeunes qui ont donné leur vie pour qu’ils accèdent au pouvoir qu’il essaie de leur trouver une occupation. Pour lui, le Sénégal devrait songer à renforcer le dispositif de contrôle que nous avons à travers l’Igf, l’Ige, l’Ofnac et toutes les autres qui existent au niveau des structures internes. «Le fait de promettre une récompense aux lanceurs d’alerte peut poser à l’avenir un énorme problème. Le don de soi pour la patrie s’est curieusement transformé en don de soi pour les privilèges et les postes», indique M. Fall.
Barane Fofana : «vous parlez comme si c’est un crime de devenir riche dans ce pays»
Se demandant la pertinence de tout ce tintamarre autour de la loi portant statut et protection des lanceurs d’alerte, le député de l’opposition rappelle les dossiers de l’Onas, l’Aser qui sont tous passés, selon lui, sous la table. «Ce sont des Sénégalais qui ont lancé des alertes dans les dossiers Onas et Aser mais le régime veut faire passer cela pour de la diffamation. Donc vous créez une loi pour protéger vos partisans», affirme M. Fofana qui demande le sort réservé aux lanceurs d’alerte qui osent accuser des gens sans fondement : «vous parlez comme si c’est un crime de devenir riche dans ce pays. Quand on travaille, on aspire à une évolution. C’est d’ailleurs votre cas, rien qu’à vous regarder, on sait nettement qu’il y a un grand changement entre votre vie d’avant et celle de maintenant».
Aïssata Tall Sall : «il n’y a qu’ici que le lanceur d’alerte est rétribué»
La présidente du groupe parlementaire Takku Wallu Sénégal signale que dans la loi portant statut et protection des lanceurs d’alerte, on a donné la signification d’un lanceur d’alerte sans donner celle de l’alerte en question. «Dans tous les pays qui ont consacré une loi sur les lanceurs d’alerte, l’alerte a été définie clairement. Je considère donc que l’on devrait consacrer un article entier à l’alerte pour le définir clairement», déclare Aïssata Tall Sall qui cite l’exemple de la France. « L’alerte concerne des faits précis dont on a connaissance, l’alerte doit être délictuelle, l’alerte doit porter atteinte à l’intérêt général or ici le lanceur d’alerte est rétribué. Dans tous les textes que j’ai étudiés, le lanceur d’alerte n’a jamais été rétribué sauf ici. Et enfin, il faut que l’alerte ait trait à des faits dissimulés», explique-t-elle.
Aïssata Tall Sall fait noter que si quelqu’un lance une fausse alerte de manière délibérée, ce n’est pas normal qu’on veuille lui faire subir les rigueurs de la loi ordinaire quand on sait l’indulgence des juges par rapport au délit de diffamation. «Je considère que l’on doit avoir une disposition pénale sévère, même s’il faut réformer le code de procédure pénale, pour que les gens ne s’amusent pas avec. Sinon les fausses alertes peuvent décrédibiliser le travail des vrais lanceurs d’alerte», souligne-t-elle.
Ayib Daffé : «depuis qu’elle est de l’opposition, elle a de belles idées qu’elle aurait pu concrétiser quand elle était ministre de la justice»
Le président du groupe parlementaire Pastef a ouvert sa prise de parole par une pique envers Aïssata Tall Sall : «je remarque que la collègue a de belles idées depuis qu’elle est devenue opposante. Des idées qu’elle aurait pu concrétiser quand elle était en charge du ministère de la Justice. Elle aurait pu aussi venir en commission et partager ces belles idées qui auraient pu déboucher sur des amendements», ironise-t-il.
Nd. Kh. D. F













