Devant le ministre des Forces armées, le ministre de la Culture et les autorités locales réunis au musée mémorial de Ziguinchor, Sira Gassama, porte-parole des familles des victimes du Joola, a livré un discours poignant. À l’occasion de la 23ᵉ commémoration de la tragédie, elle a exhorté l’État à sortir du silence et à honorer ses engagements pour la justice et la réparation.
Le 26 septembre 2025, le musée mémorial du Joola, à Ziguinchor, est devenu le théâtre d’une émotion collective. Autorités étatiques, élus locaux, dignitaires religieux et coutumiers, ainsi que de nombreux citoyens s’y sont rassemblés pour marquer le 23ᵉ anniversaire du naufrage du bateau Le Joola, la plus grande tragédie maritime civile du pays. À la tribune, Sira Gassama, porte-parole des familles des victimes, a livré un message ferme et empreint d’une profonde douleur : « nous ne sommes pas là pour oublier, mais pour faire mémoire. »
Dans son allocution, prononcée devant le ministre des Forces armées, Birame Diop, et Amadou Ba, le ministre de la Culture, Sira Gassama a d’abord rappelé l’ampleur du drame. « 1953 personnes ont été abandonnées à la merci de la houle agressive de l’Atlantique », a-t-elle martelé, soulignant que cette commémoration n’était pas qu’un rituel, mais « un combat universel contre le mal de ce siècle qui ronge les familles dans la profondeur de leurs chairs ». Les mots de la porte-parole ont résonné comme une accusation contre l’État. Depuis plus de deux décennies, a-t-elle dénoncé, « les familles et rescapés ressentent un véritable vertige nauséeux à penser que des Sénégalais aient pu commettre ce forfait ignoble et refuser des secours à des êtres humains avec une liberté déconcertante ». Elle a évoqué l’incompréhension persistante des proches des victimes face à ce qu’elle qualifie de « bourde du siècle » et à « l’indifférence, la lâcheté et l’incapacité d’agir » qui ont accompagné les heures tragiques du naufrage.
Dans un souffle mêlant colère et espoir, Sira Gassama a martelé à plusieurs reprises : « le moment est venu. » Le moment, dit-elle, de réaliser enfin les promesses faites aux familles. Le moment d’« émerger des vallées obscures et désolées du Joola pour fouler le sentier ensoleillé de la justice et de la vérité ». Le moment de « tirer les familles des sables mouvants pour les hisser sur le roc solide du deuil, de la justice et de la paix ». À travers ces formules, la représentante des victimes a dressé la feuille de route d’une réparation attendue. Elle appelle l’État à restituer l’honneur des disparus par la vérité judiciaire ; à mettre en place une prise en charge psychosociale adaptée aux familles « au bord de la rupture » ; et à procéder au renflouement du navire pour retirer les ossements, « non pas comme une exigence hostile, mais pour permettre aux familles de faire enfin leur deuil et pour le respect de la dignité humaine ».
Devant les ministres et les autorités présentes, Sira Gassama a prévenu. « Ce que nous demandons n’est pas une faveur, mais une reconnaissance. » Elle a insisté sur la responsabilité historique des pouvoirs publics et interpellé nommément le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, et son chef de gouvernement, Ousmane Sonko. « Votre silence ne sera pas autorisé dans ce contexte du “Jub Jubal Jubanti”. Il sacrifiera la dignité des familles et souillera la mémoire de nos morts. »
Le ton s’est fait plus grave encore lorsqu’elle a qualifié le Joola de « honte pour le Sénégal ». « La honte ne vient pas des personnes qui ont emprunté ce navire pour une vie meilleure. La honte appartient au système qui a permis qu’un tel désespoir et sacrifice deviennent normal. Un système qui a autorisé un tel massacre et refuse d’assumer ses responsabilités devant l’histoire. »
Au-delà du mémorial inauguré à Ziguinchor, Sira Gassama a exhorté l’État à « réhabiliter les noms des victimes, honorer les figures effacées, redonner la juste et légitime place des familles et rescapés dans ce temple mémoriel ». Pour elle, il ne s’agit pas seulement de bâtir un musée, mais de « réécrire l’histoire du Joola et briser le silence imposé sur cette tragédie ». Sa voix a également porté un message de réconciliation et de reconstruction. « La réparation n’est pas une menace mais une chance. Une chance de rebâtir des ponts sur les ruines du mépris, une chance de guérir ensemble plutôt que de perpétuer une fracture dolente héréditaire. » Elle a conclu son intervention par une image forte. « Que ce moment ne soit plus qu’un nième discours. Qu’il devienne une semence pour revisiter le comportement des Sénégalais et déboulonner les mentalités. Nous entendons battre le cœur de ceux qui tentent d’oublier, et que ce cœur batte si fort qu’il réveille la justice endormie, car l’heure est à l’action et à la reconnaissance. »
BMS












