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CHANGEMENT DE PARADIGME AVEC LES PRATIQUES DES RÉGIMES PRÉCÉDENTS : Sénégal, l’ère des Pca jeunes ou le symbole d’un nouveau souffle générationnel




 
Un vent de rajeunissement souffle sur les hautes sphères de la gouvernance au Sénégal. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, un phénomène inédit s’installe : la nomination massive de jeunes à la tête de Conseils d’administration d’entreprises publiques et parapubliques. Loin d’être anecdotique, cette tendance semble incarner une volonté politique assumée de casser les codes établis et de promouvoir une nouvelle élite issue des mouvements citoyens, de la société civile ou des sphères alternatives. Mais cette poussée de jeunesse dans les nominations peut également s’expliquer par la sociologie du pouvoir actuel. Le parti au pouvoir, Pastef-Les Patriote fondé en 2014, s’est construit en dehors des appareils traditionnels, avec des profils majoritairement issus de la jeunesse citoyenne, universitaire, militante ou professionnelle.
 
 
 
Un président du Conseil d’administration (Pca) de surveillance (Pcs) est la personne qui dirige les travaux du Conseil d’administration d’une entreprise publique ou privée. Il ne gère pas l’entreprise au quotidien — cette tâche revient au Directeur général (Dg) — mais il joue un rôle stratégique, institutionnel et parfois symbolique. Le rôle du Président du Conseil d’administration consiste à présider les réunions du Conseil d’administration, à veiller à la bonne gouvernance de l’entreprise ou de l’organisme, à orienter les grandes décisions stratégiques (budgets, investissements, nominations, partenariats…), à assurer le lien entre le conseil et la direction exécutive. Dans certains cas, le Pca peut représenter l’entreprise dans des actes officiels ou diplomatiques. Il s’agit donc d’un poste de supervision, d’influence et de stratégie, plus que d’un poste opérationnel.
Le Pca étant souvent chargé d’encadrer, conseiller ou superviser des directions exécutives, on suppose qu’il doit avoir un vécu professionnel dense, une hauteur de vue et une capacité à arbitrer des dossiers complexes. Cela alimente l’idée qu’il faut avoir “fait ses preuves” avant de mériter ce poste. Dans de nombreuses cultures, surtout africaines, la sagesse est associée à l’âge. On valorise les «anciens» pour leur pondération, leur connaissance des systèmes et leur capital relationnel. La direction d’un Conseil est ainsi vue comme le «couronnement» d’une carrière. Aussi, historiquement, les Pca étaient d’anciens ministres, ambassadeurs, hauts fonctionnaires ou Pdg. L’État nommait souvent des personnalités en fin de parcours, comme une récompense politique ou un poste honorifique, ce qui a cristallisé l’idée d’un poste réservé à des «notables».
À contrario, dans certaines mentalités, la jeunesse est encore perçue comme synonyme d’inexpérience, d’impulsivité, voire d’amateurisme. Confier à des jeunes des postes de pouvoir suscite encore des crispations, car cela casse un modèle ancien fondé sur la patience et l’ancienneté. C’est donc à cause de tout cela que l’imaginaire collectif associe ce poste à l’expérience et à l’âge.
 
 
Les temps changent…
 
Avec la montée de nouveaux profils issus de l’engagement citoyen, de l’entrepreneuriat, de la tech ou des médias, cette vision est en train d’évoluer. Aujourd’hui, on valorise davantage les compétences, la capacité d’innovation, la connexion avec les réalités modernes… et non plus seulement l’ancienneté. L’arrivée des jeunes Pca au Sénégal est donc un choc symbolique : elle met en tension la culture du mérite traditionnel avec celle de l’audace et de l’ouverture générationnelle.
Parmi les nombreuses nominations survenues depuis l’installation du nouveau régime au Sénégal, celle de Sadikh Top à la tête du Conseil d’administration de l’Agence de presse sénégalaise (Sn-Aps) est sans doute la plus symbolique. Il a remplacé à ce poste un doyen, formateur connu et reconnu, Moustapha Samb. Ce choix a surpris plus d’un, tant Sadikh Top, jeune, engagé, qualifié, valable et formé aux métiers de l’information, était perçu par beaucoup comme un profil naturel pour un poste exécutif, tel que celui de Directeur général, conseiller technique à la Présidence ou à la Primature, ou même de responsable éditorial. Son parcours dans le journalisme, son aisance dans la prise de parole publique, sa connaissance du terrain et son engagement politique en faisaient un prétendant légitime à la direction opérationnelle d’un média ou d’une structure de communication publique.
Mais c’est l’inverse qui a été opéré. Tandis que Sadikh Top se voit confier la présidence du Conseil — une fonction plus stratégique, moins visible au quotidien — c’est Momar Ndiongue, un journaliste chevronné et figure respectée de la presse sénégalaise, qui est nommé Directeur général de la Sn-Aps. Un choix qui renverse les codes traditionnels : la jeunesse prend les commandes de la gouvernance, pendant que l’expérience assure la conduite opérationnelle. Ce duo intergénérationnel, inédit, semble répondre à une volonté d’équilibre entre renouvellement générationnel et crédibilité institutionnelle. Il interroge aussi sur la manière dont le régime actuel veut redistribuer les rôles : aux jeunes la vision et le pilotage stratégique ; aux aînés, la gestion de l’exécution et la transmission du savoir.
Othmane Diagne, figure des réseaux sociaux, a été bombardé président du Conseil d’administration du Fonds d'Entretien routier autonome (Fera) alors qu’avec ses réelles compétences, il pouvait pr&étendre à un poste exécutif. Alors que le rappeur engagé Landing Mbissane Seck alias Kilifeu se voit confier la présidence du Conseil d’administration du Grand Théâtre national Doudou Ndiaye Coumba Rose. La chanteuse Queen Biz, de son vrai nom Coumba Diallo, a été nommée Pca du Théâtre national Daniel Sorano. Dans la même dynamique, le journaliste Mame Birame Wathie est nommé président du Conseil d’administration de la Société Le Soleil. Il prend un poste vacant depuis la démission de Mody Niang (80 ans) pour des raisons de santé. Il y a aussi Ngouda Mboup Pca du Port Autonome de Dakar.
Une autre nomination qui n’est pas passée inaperçue est celle de Ndèye Fatou Fall, plus connue sous le pseudonyme de Falla Fleur, militante engagée et figure de l’activisme citoyen au Sénégal. Elle a été portée à la tête du Conseil d’administration de la Société Nationale de Recouvrement (Snr), en remplacement de Pape Diouf, ancien ministre de la Pêche. Ce choix symbolise à la fois une rupture générationnelle et un tournant idéologique : une militante issue des mobilisations sociales prend la place d’un baron de l’ancien régime dans une société stratégique de l’État.
La nomination de Falla Fleur a suscité de nombreux commentaires, entre encouragements enthousiastes et interrogations prudentes. Pour certains, elle incarne une légitimité nouvelle, forgée dans la rue, dans le débat public, sur les réseaux sociaux, et au cœur des luttes démocratiques récentes. Pour d’autres, son profil activiste semble éloigné des logiques technocratiques et financières que requiert une société comme la Snr.
Mais, à l’image des autres jeunes nommés à des postes de Pca, elle représente cette volonté du pouvoir actuel de faire confiance à une nouvelle génération — non pas forcément experte en gestion, mais proche des réalités sociales, investie dans le changement, et résolument tournée vers la reddition des comptes et la transparence. D’autres profils issus de la diaspora, de la tech ou de l’activisme numérique, ont été promus à des postes similaires. Ce changement de paradigme tranche radicalement avec les pratiques des régimes précédents, souvent accusés de recycler les mêmes figures politiques, parfois âgées ou jugées déconnectées des réalités sociales.
 
Un dosage entre renouveau générationnel et expérience administrative
 
Le nouveau régime, bien que fortement marqué par une volonté affichée de rajeunissement, n’a pas pour autant exclu les profils expérimentés de ses choix stratégiques. En effet, de nombreux présidents de Conseil d’administration (Pca) ou de surveillance (Pcs) récemment nommés sont des figures aguerries de l’administration, de l’ingénierie publique ou de la vie politique, certains ayant même occupé des postes ministériels ou de direction générale par le passé.
Parmi eux, on retrouve Habib Sy, ancien ministre d’Etat, plusieurs fois ministres, ancien Directeur de cabinet de Me Abdoulaye Wade, désormais Pca de la Senelec, ou encore Lansana Gagny Sakho, ancien DG de l’Onas qui préside aujourd’hui le Conseil d’administration de l’Apix. Doudou Gnagna Diop (Sapco), Ousseynou Faye (Sicap), Adama Diawara (Aser), Bassirou Mbacké (Banque Agricole), Mamadou Goudiaby (Dakar Dem Dikk), Cheikhna Bèye (Rts), Mamadou Aliou Diallo (Sirn), Babel Thiam (Fonds Microfinance), ou encore Mbaye Sylla Khouma (Isra) sont autant de profils dont le capital d’expérience, la connaissance du fonctionnement de l’État ou du secteur public a visiblement été jugé indispensable par les nouvelles autorités.
Ce dosage entre jeunesse militante et expérience administrative semble relever d’une stratégie d’équilibre : donner corps au renouvellement générationnel sans pour autant rompre brutalement avec les logiques d’expertise, de stabilité et de continuité technique. Cela traduit aussi un réalisme politique : pour faire fonctionner efficacement des structures parfois complexes ou sensibles, certains postes-clés nécessitent un certain vécu, des réseaux éprouvés, et une maîtrise des rouages institutionnels. Ce n’est donc pas une révolution brutale, mais plutôt une reconfiguration mesurée du personnel d’État.
 
Un phénomène pas totalement nouveau
 
Il est vrai que la nomination de jeunes aux postes de présidents de Conseils d’administration (Pca) n’est pas totalement nouvelle dans l’histoire politique du Sénégal. Wade aussi avait des Pca jeunes à l’image de Mamadou Lamine Massaly.
Sous Macky Sall également, des signaux allant dans ce sens avaient été observés. On peut notamment évoquer la nomination de Marieme Thiam Babou au poste de présidente du Conseil de surveillance de l’Agence sénégalaise de promotion des exportations (Asepex). À un autre niveau, des personnalités comme Moussa Sy, ancien maire des Parcelles Assainies, ont aussi été placées à la tête d’organes stratégiques, comme le Conseil d’administration du Port Autonome de Dakar, même si leur profil n’était pas exactement celui d’un jeune. Ces exemples montrent que le recours à des profils atypiques ou moins conventionnels pour des fonctions de gouvernance n’est pas propre au régime actuel, mais ce dernier semble l’avoir systématisé et assumé comme ligne politique claire, avec une fréquence et une audace inégalées jusqu’ici.
 
Une volonté politique de rupture générationnelle
 
Cette orientation s’inscrit dans la promesse de rupture portée par le Président Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko. L’idée de rétablir l’équité dans l’accès aux responsabilités d’État, de valoriser les compétences jeunes et de mettre fin à la gérontocratie administrative semble désormais trouver une application concrète. Les jeunes Pca nommés incarnent une nouvelle génération qui a grandi avec Internet, les réseaux sociaux, les luttes sociales et les formes d’engagement non conventionnelles. En les propulsant à des fonctions de gouvernance stratégique, le pouvoir actuel envoie un signal fort à la jeunesse sénégalaise : l’accès aux responsabilités n’est plus réservé à une élite technocratique ou politique issue des grandes écoles ou des partis traditionnels.
Toutefois, cette politique de rajeunissement suscite aussi des interrogations. Si l’intention de renouvellement est saluée, certains observateurs s’interrogent sur les critères de nomination. La plupart de ces jeunes Pca ne disposent pas nécessairement d’un background technique ou managérial dans les secteurs qu’ils sont appelés à superviser. D’aucuns craignent que ces nominations ne relèvent davantage de choix politiques ou symboliques que de critères de compétence ou de mérite. Des voix dans l’opposition ou dans les milieux économiques critiquent un « populisme de la jeunesse », dénonçant un risque de clientélisme inversé ou d’amateurisme à la tête de structures aux enjeux financiers et opérationnels importants.
En tout état de cause, si certains jeunes nommés ne viennent pas du sérail administratif, ils peuvent compenser par leur dynamisme, leur légitimité sociale, leur proximité avec les usagers ou leur connaissance des nouvelles technologies. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux ont annoncé vouloir s’entourer de comités techniques, de consultants ou de mentors pour mieux remplir leurs fonctions.
L’«ère des Pca jeunes» pourrait ainsi constituer un laboratoire politique intéressant : une tentative de concilier renouvellement générationnel, réinvention des élites et efficacité dans la gestion publique. Elle reflète aussi une transformation plus large de la société sénégalaise, où les jeunes refusent désormais d’attendre leur tour et veulent participer activement à la prise de décision. L’avenir dira si ce pari sera couronné de succès.
 
 
Sidy Djimby NDAO
 
 
 
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