Moustapha Sané fait partie de ces personnes qui ont très vite compris que les réseaux sociaux ne sont pas faits simplement pour s’amuser et passer le temps ; il est tout à fait possible d'y joindre l'utile à l’agréable. Moustapha s’est donc défini sur Facebook une mission qu’il entretient depuis cinq ans maintenant : aider les gens à retrouver des personnes et objets perdus grâce à sa page « Trouvé Ou Perdu ». Par la recherche de sa pièce d’identité perdue, ce jeune comptable s’est retrouvé avec une communauté de plusieurs centaines d’abonnés pour aider les internautes à retrouver proches et objets perdus.
«Un bienfait n’est jamais perdu». Cette assertion, Moustapha Sané y croit de toutes ses forces. Propriétaire de la page Facebook «Trouvé Ou Perdu», cet homme d’une trentaine d’années a déjà une vie bien remplie, entre le traitement des déclarations de perte et la publication de ces dernières sur les différentes plateformes de «Trouvé Ou Perdu», en plus de son boulot et de sa vie de famille. Nous avons trouvé Moustapha au quartier de Golf ou il vit avec sa petite famille. Il vient tout juste de rentrer de son travail, fatigué, mais dès qu’il s’agit de sa communauté virtuelle, Sané est prêt à faire des sacrifices. C’est ainsi que l’initiateur de «Trouvé Ou Perdu» nous plonge dans son autre univers.
La page «Trouvé Ou Perdu» a vu le jour en janvier 2018 quand Sané a lui-même perdu sa pièce d’identité. Etant très actif sur les réseaux sociaux à l’époque, il décide d’aller interroger Facebook, histoire de voir si quelqu’un ne l’a pas ramassée et postée. C’est lors de ses recherches qu’il s’est rendu compte qu’il y avait certes des pages dédiées à cette cause, mais aucune d’elle n’était sénégalaise. C’est ainsi qu’il décida d’en créer une avec comme première publication sa pièce perdue.
De 3000 à presque 10.000 abonnés en un jour grâce à…
Le chemin fut long avant que la célèbre page «Trouvé Ou Perdu» ne gagne autant de visibilité. «C’était très compliqué au début. J’étais le seul abonné sur la page, il me fallait donc copier le lien pour partager dans d’autres pages et groupes de vente. C’est comme ça, de fil en aiguille, que les gens ont commencé à s’abonner et à partager les publications», confie Moustapha Sané. Le déclic qui vaut à la page «Trouvé Ou Perdu» cette notoriété est, se rappelle-t-il, une publication sur un enfant autiste de 5 ans qu’il avait trouvé à la gendarmerie de la Foire. Vu que le petit n’arrivait pas à parler pour donner le numéro ou l’adresse de ses parents, Moustapha a alors demandé la permission aux gendarmes de le prendre en photo pour le poster sur Facebook. Chose faite, Moustapha aura la surprise de sa vie : sa publication a eu près de 1500 partages et la page est passée de 3000 abonnés à presque 10.000, le même jour.
120 messages à traiter par jour, plusieurs heures consacrées à «Trouvé Ou Perdu» en plus de son travail
Le rapport cause à effet s’est vite établi, entraînant par la même occasion la multiplication des sollicitations de l’administrateur de la page. Moustapha est vite débordé. Plusieurs dizaines de messages à traiter chaque jour, soit à la pause au travail, soit après le travail. «Je n’avais presque plus de vie. Je restais scotché à la page à la descente jusqu’à 22 heures pour me lever à 5 heures du matin et continuer encore jusqu’à 7 heures avant d’aller au travail. Ma femme, qui ne comprenait pas au début, me faisait très souvent des reproches. Mais la gratitude que je ressentais à chaque fois que j’ai pu aider un internaute à retrouver une personne ou un objet était plus fort que tout. J’ai tenu bon», confesse-t-il.
Un rythme très soutenu, surtout qu’il était le seul administrateur de la page qui avoisinait près de 80.000 membres. Moustapha Sané recevait un minimum 120 messages par jour. Pour se décharger un peu, il a eu l’idée de créer deux groupes en parallèle avec la page pour mieux organiser son temps. Il avait ainsi demandé aux abonnés de publier toutes les déclarations de pertes dans les groupes et, lui, en retour, se chargeait de publier les objets retrouvés ou les personnes perdues dans la page. «J’étais tout le temps stressé. Imaginer qu’il y avait des messages non répondus me provoquait de l’insomnie. Il fallait que je traite tous les messages avant d’aller au lit. C’était devenu presque une obligation chez moi ; peu importe la fatigue ou la charge de travail», explique-t-il.
11 administrateurs de plus pour la gestion de la page
Malgré cette nouvelle configuration du travail, Moustapha n’arrivait toujours pas à suivre le rythme. Et quand il mettait du temps pour répondre aux messages parce qu’occupé par son travail, certains abonnés se permettaient de l’attaquer. Dépassé par la tournure des évènements, Sané a alors fait des posts pour expliquer ce à quoi il est confronté tous les jours. C’est en ce moment que des volontaires, membres de la page se sont manifestés pour lui proposer leur aide afin de le suppléer de temps en temps.
Le rythme était tellement soutenu, selon Moustapha, que beaucoup de volontaires ont jeté l’éponge avant même de boucler 2 mois. Heureusement, en 2020, il a pu dégoter une équipe de 11 administrateurs, bien structurée et permanente. Désormais, dit-il, il peut rester tout une journée sans consulter la page où sa messagerie.
Des expériences douloureuses, Moustapha Sané en a vécu a cause de son engagement pour la page «Trouvé Ou Perdu». A côté des reproches de sa femme tout au début de l’aventure, la distance qui s’est installée entre lui et ses proches, les appels et messages tard la nuit, Sané a des «tonnes» d’anecdotes à raconter, beaucoup de sacrifices consentis pour que «Trouvé Ou Perdu» soit la page de référence pour les déclarations de perte et de découverte. L’expérience qui l’aura marqué le plus, c’est la disparition de son fils de 4 ans à la plage pendant qu’il répondait aux sollicitations des internautes. Pensif, Moustapha se remémore la scène. «J’étais concentré sur mon téléphone répondant aux messages, alors que j’étais à la plage avec mon fils de 4 ans qui s’amusait au bord de l’eau. Un moment d’inattention et il avait disparu, heureusement que je l’ai retrouvé après presque 2 heures de recherches sur la plage avec les maîtres-nageurs».
Toujours au chapitre des faits marquants qu’il a eu à vivre à cause de sa page, Moustapha Sané nous apprend qu’il a été menacé à deux reprises de poursuites judiciaires. S’il a été l’auteur de l’une de ces deux publications qui ont failli lui valoir des plaintes, le jeune comptable avoue que l’autre était le fait d’un autre administrateur de la page. «Il y a quelques mois, un phénomène s’était déclaré sur le net : des parents ou des adultes proches de la famille qui maquillaient des petites filles avec des tenues extravagantes puis les exposaient sur le net. Je m’en suis offusqué en partageant, pour le dénoncer, une vidéo d’une fille faite et postée par ses propres parents. Bien que j’eus pris la peine de masquer son visage, le papa de la fille m’a contacté pour me menacer de me poursuivre en justice, alors que c’est lui-même qui avait exposé sa fille», s’indigne-t-il. L’autre post pour lequel il a été menacé de prison est plus complexe. «Un des administrateurs avait été contacté par une personne qui était à la recherche de son père. Tout naturellement, ce dernier a posté la publication, mais il se trouve que le père était décédé depuis quelques années et c’était un officier de l’armée sénégalaise. La famille de ce dernier n’a pas du tout apprécié que l’on ait exposé la vie de leur défunt père. Ils nous ont alors accusé d’avoir sali l’honneur de leur père ; heureusement qu’il n’y a pas eu de plainte», se réjouit-il avant d’évoquer le phénomène des arnaqueurs qui usent de subterfuges pour gruger certaines victimes de perte, surtout de scooter.
Des personnes disparues depuis plusieurs années retrouvées grâce aux partages de la communauté «Trouvé Ou Perdu»
«Trouvé Ou Perdu» a aussi fait vivre à Moustapha d’intenses émotions. Des familles réunies après plusieurs années, des pièces retrouvées à temps pour décanter une situation complexe, tant de témoignages que l’on retrouve sur la page. Mais pour Moustapha, trois histoires parmi ces flots de bienfaits seront à jamais gravées dans sa mémoire. «Grâce aux partages de la communauté ‘’Trouvé Ou Perdu’’, des enfants ont pu retrouver leur mère après une trentaine d’années de séparation. Une histoire complexe, certes, mais les voir réunis et heureux, nous témoignant leur satisfaction, est tellement gratifiant», confie-t-il avec un large sourire. Poursuivant son récit, Sané nous relate deux autres retrouvailles : une femme ayant perdu de vue son mari pendant 5 ans l’a retrouvé grâce à la page ; le monsieur ne vivait qu’à 13 kilomètres de sa famille sans pouvoir «retrouver son chemin», nous a ton dit. La boucle des boucles, c’est cette vieille femme déclarée morte et dont les funérailles ont même été organisées par sa fille, mais qui a été retrouvée malade et errante.
A en croire Moustapha Sané, la page «Trouvé Ou Perdu» règle annuellement près de 700 cas. Pour les hommes disparus, on peut compter jusqu’à 1200. Quant aux femmes, c’est entre 200 et 300. Ces statistiques concernent uniquement la page, alors qu’il y a des abonnés qui publient directement sur la page.
Ndèye Khady DIOUF
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