Après le tollé provoqué par la proposition de loi portant interprétation de la loi du 13 mars portant amnistie, c’est au tour de l’amendement sur ce texte de faire l’objet d’analyses et de commentaires. Thierno Alassane Sall, qui est au cœur de l’affaire depuis le début, a démonté un à un les arguments de l’auteur de l’amendement.
C’est à un véritable cours de droit que le député Thierno Alassane Sall s’est livré hier. Il commentait l’amendement introduit par Amadou Ba. Selon lui, on peut remarquer, d’emblée avec surprise, que le texte a été entièrement réécrit au moyen d’un amendement déposé par le porteur même de la proposition de loi, le député Amadou Ba. En d’autres termes, dit-il, le texte à l’égard duquel le Président Bassirou Diomaye Faye avait donné un avis (favorable) a complètement disparu dans le fond au profit d’une nouvelle version. «En réalité, il s’agit d’une nouvelle proposition de loi portant ‘’interprétation’’ de la loi d’amnistie», affirme M. Sall.
D’après Thierno Alassane Sall, en lisant le texte issu de l’amendement, on est frappé par deux choses : «l’exposé des motifs relève de l’enfumage, alors que l’interprétation proposée constitue de l’embobinage». Mieux, soutient-il, «leur faux débat sémantique sur l’abrogation montre aussi qu’ils ignorent le sens de ce terme en droit constitutionnel, qui est différent de son contenu en droit administratif».
«L’exposé des motifs relève de l’enfumage, alors que l’interprétation proposée constitue de l’embobinage»
Rappelant l’importance que revêt un exposé des motifs, le député Sall relève l’ambiguïté notée dans cette partie de l’amendement et craint que la proposition de loi de Pastef ne connaisse le même sort que l’article 2 de la loi Ezzan qui avait été déclaré inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel. Evoquant la mention de jurisprudence étrangère dans l’exposé des motifs, le leader de Rv soutient que le Pastef cherche à donner du sens à sa loi interprétative. «Le plus amusant est que les décisions citées ne nous apprennent absolument rien sur la loi interprétative (…). C’est à croire que nos juristes Gondwanais confondent exposé des motifs d’une loi et note explicative d’une loi. Ils devraient penser à prendre des cours de légistique», ironise Thierno Alassane Sall.
Ce dernier de démonter l’argumentaire de Amadou Ba pour justifier sa proposition de loi. «Le régime Pastef entretient sciemment une confusion entre son souhait et le contenu exact et clair de la loi d’amnistie. Il faut être malhonnête pour soutenir que la loi d’amnistie de 2024 est l’objet de controverses quant à son champ d’application exact (…) Le texte est écrit dans un français clair et dans un style simple qui n’est sujet à aucune équivoque».
Le leader de Rv faisant référence au débat entre l’ancien président du groupe parlementaire Yewwi, Birama Soulèye Diop et le ministre de la Justice Aïssata Tall Sall qui défendait la loi portant amnistie, promet que la loi n’a jamais souffert d’ambiguïté. « Le député pastéfien avait posé la question suivante : « est-ce que les crimes de sang sont couverts par la loi d’amnistie » ? La réponse de la ministre de la Justice, Aïssata Tall Sall était la suivante : « toutes les infractions criminelles, délictuelles font partie du champ d’intervention de l’article 1er de la loi d’amnistie ; c’est clair, c’est net, c’est du français, ce n’est même pas du droit, on peut lire et comprendre. Cet échange montre encore, s’il en était besoin, que le sens de la loi d’amnistie n’a jamais été ambigu», renseigne-t-il avant d’affirmer que c’est la nouvelle interprétation qui introduit de l’ambiguïté dans la loi d’amnistie. «Ce qui est clair dans cette nouvelle mouture, c’est ce qui n’a jamais embêté le Pastef : d’une part, les éléments des forces de l’ordre seront jugés ; d’autre part, les militants politiques seront épargnés. En effet, il suffira, par exemple aux personnes qui ont incendié l’Ucad, détruit massivement des biens de Sénégalais, incendié les magasins Auchan et les stations-services, de soutenir que les faits commis l’ont été par mégarde lors de l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique pour bénéficier de la loi d’amnistie». Pour lui, l’interprétation de Pastef complique davantage la loi d’amnistie.
«Nos juristes Gondwanais confondent le droit administratif et le droit constitutionnel quant au sens du terme ‘’abrogation’’»
Le député non-inscrit décèle aussi une confusion entretenue par le Pastef concernant le sens de l’abrogation. «Dans leur campagne de manipulation pour refuser l’abrogation totale de la loi d’amnistie de 2024, les partisans du Pastef se sont engouffrés dans une querelle sémantique ridicule», lance-t-il avant de poursuivre : «depuis quelques jours, leur discours consiste à dire que le terme ‘’abrogation’’ ne conviendrait pas ici, car l’abrogation ne rétroagit pas et ne vaut que pour l’avenir (…) Quand Ousmane Sonko, de formation juriste, promettait l’abrogation de la loi d’amnistie à Ziguinchor le 1ernovembre 2024 et devant l’Assemblée nationale le 27 décembre 2024, avait-il oublié alors ses cours de droit ? Quand le Président Bassirou Diomaye Faye, juriste de formation, promettait l’abrogation de l’amnistie dans son discours à la Nation le 31 décembre 2024, lui et ses éminents conseillers juridiques auraient-ils oublié le sens juridique du terme abrogation ? Où étaient nos ‘’juristes Gondwanais’’ pendant que toutes ces promesses d’abrogation de Pastef étaient faites aux Sénégalais ?», se demande t-il.
A en croire M. Sall, Pastef s’accroche en réalité à un débat sémantique qu’il ne maitrise absolument pas. «Il ne suffit pas d’avoir obtenu un diplôme de droit pour avoir la légitimité de décréter la Vérité juridique sur tous les sujets. Nos ‘’juristes Gondwanais’’ confondent le droit administratif et le droit constitutionnel quant au sens du terme ‘’abrogation’’», explique-t-il avant d’ajouter : «en droit administratif, on distingue entre ‘’retrait’’ et ‘’abrogation’’ d’un acte administratif. Le retrait supprime l’acte pour le passé et pour l’avenir. L’acte administratif est alors considéré comme n’ayant jamais existé, même ses effets antérieurs au retrait sont supprimés. Quant à l’abrogation, elle ne vaut que pour l’avenir. Elle ne concerne pas les effets antérieurs de l’acte administratif abrogé. Cette distinction reprise par Pastef pour rejeter le terme ‘’abrogation’’ au profit de l’interprétation relève sans doute de l’ignorance (…) nous sommes en droit constitutionnel, et non en droit administratif. Or, le droit constitutionnel ne connaît pas la distinction entre le retrait et l’abrogation concernant la loi».
«Une loi portant abrogation peut bien rétroagir»
D’après Thierno Alassane Sall, une loi portant abrogation peut bien retroagir. «Une loi portant abrogation peut donc bel et bien rétroagir si le législateur le précise. Il en résulte donc que, contrairement à ce que soutiennent nos ‘’juristes Gondwanais’’, l’abrogation n’a pas une signification en droit constitutionnel qui est soit rédhibitoire à la rétroactivité. La non-rétroactivité s’attache à la loi, non au contenu de la loi. Une loi d’abrogation peut techniquement rétroagir», précise t-il.
«Selon Pastef, les droits des bourreaux au regard de l’amnistie priment ceux des victimes»
Selon M. Sall, tous les obstacles juridiques invoqués pour rejeter l’abrogation reposent sur la nécessité de protéger les droits des personnes amnistiées. Quid des victimes et de leurs familles respectives?, s’interroge-t-il tout en se demandant «s’il est juridiquement admissible d’invoquer le respect des droits acquis en matière pénale pour dénier à d’autres personnes le droit d’obtenir justice ? La réponse est évidemment non(…)».
Pour lui, c’est pour échapper au principe de non-rétroactivité que Pastef a opté pour la loi d’interprétation, il s’est donc davantage fourvoyé. Un condensé de toutes ces remarques fait dire à Thierno Alassane Sall que le Pastef insiste dans sa volonté initiale d’une abrogation partielle de l’amnistie. Ils ont formulé ce souhait de plusieurs manières : abroger partiellement, rapporter, réécrire, interpréter etc. alors que les Sénégalais les rappellent à l’essentiel : la loi d’amnistie doit être abrogée totalement. Le droit international, le droit communautaire et le droit constitutionnel sénégalais ne s’y opposent absolument pas. Les principes du droit pénal protègent principalement les victimes au détriment des bourreaux. Le discours tenu par le Pastef pour écarter l’abrogation laisse entendre que les droits des bourreaux au regard de l’amnistie priment sur ceux des victimes qui doivent être restaurés conformément au droit en vigueur. Tout le reste n’est que tromperie et manipulation», conclut-il.
Ndèye Khady D.FALL












