
Contrairement au gouvernement, Thierno Bocoum a une autre lecture des statistiques de l'Ansd sur le commerce extérieur du Sénégal en 2024. En effet, le responsable politique ne constate ni plus ni moins qu’une croissance extractive et une consommation bridée. Ce qui lui fait dire que le défi n’est pas de vendre plus mais de transformer mieux.
« Le gouvernement sénégalais a salué avec enthousiasme la progression des exportations, relayant les chiffres de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) en 2024 comme un signal fort d’un redressement économique en marche. Les exportations ont en effet bondi de 21,3%, atteignant 3909,1 milliards francs Cfa tandis que les importations reculaient légèrement de 0,6% à 7161,4 milliards. Le déficit commercial s’est ainsi réduit de manière notable. Derrière ce vernis statistique et cette narration triomphante se dessine une réalité plus inquiétante, bien éloignée des ambitions de transformation structurelle du pays », fait d’emblée remarquer le président du mouvement Agir. A l’en croire, ce sont avant tout les matières premières brutes qui portent cette dynamique. « Le pétrole brut, l’or non monétaire et les conserves de poisson concentrent l’essentiel des gains. Le pétrole a rapporté 464,6 milliards, l’or 588,5 milliards et les conserves de poisson 67,1 milliards. Des chiffres en hausse, certes, mais qui ne doivent pas faire oublier leur nature profondément extractive et peu industrialisée. Le pays ne transforme que marginalement ce qu’il produit. Même les produits pétroliers raffinés dont les exportations se sont élevées à près de 792 milliards, proviennent en partie d’importations ou d’un raffinage local encore trop limité. Le Sénégal exporte ce qu’il extrait plus qu’il ne transforme, exposant son économie aux chocs des marchés mondiaux et aux cycles de prix qu’il ne maîtrise pas », explique Thierno Bocoum.
La baisse des importations résulte d’une contraction préoccupante de la demande intérieure
Poursuivant, l’ancien parlementaire est d’avis que la baisse des importations ne peut sérieusement être interprétée comme une montée en autonomie productive. « Elle résulte d’une contraction préoccupante de la demande intérieure. Les produits finis destinés à la consommation ont chuté de 22,8%, ceux pour l’industrie de 32,3%. Derrière ces chiffres, il y a une pression fiscale qui étrangle les capacités d’importation, un pouvoir d’achat en berne et un climat économique morose qui bride la consommation et l’investissement. Moins d’importations ne veut pas dire plus de production locale mais plutôt une raréfaction des biens, une baisse de diversité sur les marchés et une économie en repli masqué », rectifie Thierno Bocoum.
Produire, créer de la valeur et structurer un tissu industriel
Selon le président de Agir, le double constat d’une croissance extractive et d’une consommation bridée devrait alerter. « Le Sénégal ne peut durablement construire sa prospérité sur la rente pétrolière et minière, ni se satisfaire d’un commerce extérieur dominé par des matières premières. Le défi n’est pas de vendre plus mais de transformer mieux. De produire localement, de créer de la valeur, de structurer un tissu industriel capable de répondre aux besoins internes tout en s’ouvrant à l’exportation », préconisée responsable politique persuadé que la récente entrée en production pétrolière n’aura de sens que si elle s’accompagne d’une montée en puissance rapide du raffinage national, d’une politique industrielle cohérente et d’un soutien actif aux filières à haute valeur ajoutée. En outre, il rappelle que seuls les pays capables de transformer leurs matières premières, d’investir dans l’industrie et de stimuler leur marché intérieur réussissent à se hisser durablement vers le développement. C’est à ce prix, dit-il, que les succès du commerce extérieur deviendront autre chose qu’un feu de paille.
M. CISS