La commissaire Khady Fall est la première Sénégalaise à diriger un contingent de police en République démocratique du Congo (RDC) dans le cadre de la mission de maintien de la paix de l'Onu dans ce pays. Ses proches la dépeignent comme une meneuse d’hommes alliant compétence professionnelle et compassion humaine. Mais des activistes ne sont pas de cet avis, et l’un d’eux l’accuse de « violence injustifiée » contre des civils.
Dans la police, « le commandement et la discipline sont des règles d’or. Personne ne doit les transgresser, même si celle qui commande est une femme », déclare Khady Fall. La femme avec laquelle nous nous sommes entretenus parle avec assurance et détermination.
Déterminée, elle le semblait également le 15 février 2024 à Thiès, chef-lieu de la région du même nom, à l’est de Dakar, lorsqu’elle a reçu le drapeau national du Sénégal, des mains du Commissaire Ndiaga Diop, directeur du Groupement mobile d’intervention (Gmi). Elle en imposait, dans sa tenue de commissaire de police, en endossant son ordre de mission : conduire un contingent de 170 policiers, dont 29 femmes, à la Mission de l’Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation en RDC (Monusco). Nous avons échangé avec elle pour les besoins de cet entretien alors qu’elle était déjà dans ce pays d’Afrique centrale.
Khady Fall est issue de la 42ème promotion des élèves-commissaires de la Police nationale du Sénégal. Aînée d’une fratrie de cinq enfants - deux filles et trois garçons -, elle a fait ses humanités à Saint-Louis, dans le Nord du Sénégal, jusqu'en classe de terminale. Après l’école primaire Alioune Babacar Sarr, elle entre au collège Dugay Clédor Ndiaye, avant d'atterrir au lycée des jeunes filles Ameth Fall de Saint-Louis. Après l’obtention du baccalauréat, elle est orientée à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad), à Dakar.
C’est en deuxième année de droit qu’elle passe le concours d’entrée au Centre de formation judiciaire (Cfj), dans la section Administration des greffes. Elle s’y forme deux ans, puis poursuit ses études à la Faculté des sciences juridiques, d’où elle sort avec une maîtrise en droit.
Avide de connaissances et de nouveaux défis, selon sa petite sœur, Seynabou Fall, elle décide de passer le concours de commissaire de police. Un nouveau défi qu’elle relève en 2015. Elle est tombée sous le charme de ce métier à la faveur de ses nombreuses visites à l’Ecole de police où sa mère travaillait à l’époque en tant que civile, raconte Seynabou Fall.
Après sa formation d’élève-commissaire, elle est d’abord passée en 2017 par le Gmi, qui a pour mission principale le maintien de l’ordre public. Puis elle est nommée commissaire adjointe de la Sûreté urbaine. En 2019, elle est désignée commissaire d’arrondissement de Dakar-Plateau, dans le centre-ville de la capitale.
Encore un défi, double cette fois : le quartier du Plateau est le centre administratif et des affaires de Dakar, et il abrite la présidence. Par ailleurs, 2019 est une année d’élection présidentielle, avec tout ce que cela suppose de bouillonnement politique, voire social.
En 2023, Khady Fall se voit affectée encore au Gmi, d’où elle a été appelée pour diriger le contingent de police de la Monusco.
Elle a appris sa nomination par ses supérieurs, dit-elle. « Je l’ai accueillie positivement, parce que c’est une marque de confiance de l’autorité, une sorte de reconnaissance », nous confie-t-elle.
Les statistiques disponibles concernant la police sénégalaise permettent de la croire. Au Sénégal, « le personnel féminin de la police recruté aux différents concours représente environ 9,35% de l’effectif total » en juillet 2019, selon un rapport du Centre des hautes études de défense et de sécurité (Cheds, public), dit d’évaluation des opportunités pour les femmes dans les opérations de paix – en anglais, Mowip, pour « Measuring Opportunities for Women In Peace Operations » - publié en 2022.
Ce taux de 9,35%, c’est un total de 882 femmes sur un effectif global de 9432 policiers, d’après le tableau de la « représentation des femmes aux différents grades de la police en juillet 2019 » en dehors des inspecteurs généraux et des contrôleurs généraux.
À la même date, le Sénégal comptait 198 commissaires de police, dont 27 femmes (13,6% du total), indique encore le rapport Mowip.
La commissaire Khady Fall nous a assuré qu’elle a effectué tous ses parcours jusque-là sans obstacles, et le fait d’être femme n’en est pas un. Elle ne trouve pas de grande différence entre une femme qui commande des hommes – parce que la majorité des agents sous ses ordres sont des hommes – et un homme qui commande des hommes. Parce que la police est organisée, le commandement et la discipline y sont des règles d’or, insiste-t-elle.
Selon elle, être la première Sénégalaise à conduire un contingent de police dans la mission de maintien de la paix en RDC est un sacerdoce. Et elle compte tout faire pour que tout le personnel féminin se rende compte que ce n’est pas un obstacle impossible à franchir. « Nous faisons tout pour que la confiance de l’autorité soit méritée », dit-elle.
D’après ses proches et collègues, elle n’a pas été choisie au hasard par sa hiérarchie. Sa compétence et son sérieux ont pesé dans la balance.
Le commissaire Babacar Mbengue est un camarade de promotion de Khady Fall. Selon lui, elle exerce son travail avec rigueur et les personnes sous ses ordres se soumettent sans réticence à son commandement.
Mère de deux enfants, ses amis et proches la décrivent comme une personne très sociable, d’une grande sensibilité et d’un grand soutien à sa famille.
La commissaire Bintou Guissé, l’une de ses amies, se réjouit qu’elle soit la première femme à diriger un contingent de la police pour une mission des Nations-Unies. Elle la décrit comme une personne très sociable, qui aime la Police nationale et les femmes qui y travaillent. Selon la commissaire Guissé, « elle s’intéresse beaucoup aux questions qui touchent au bien-être des femmes de la Police nationale ».
Dans la vie de tous les jours, la commissaire Khady Fall est aussi une personne sensible, d’après Ndèye Marième Ndiaye, une de ses anciennes collègues greffières et amie. « C'est une personne formidable, que je connais depuis 2008 à la Cour d’appel de Dakar où nous étions greffières ensemble », confie-t-elle, en précisant que la cheffe policière n’a pas changé. Elle est restée à cheval sur ses principes. « Khady Fall est une personne très intègre. Je peux témoigner qu’elle a toujours gardé son sens de l’honneur. Le Plateau est un secteur très sensible, mais elle est parvenue à imposer le respect » durant ses fonctions dans ce quartier.
Le message de Khady Fall à l’endroit de toutes les femmes, c’est qu’il n’y a rien d’insurmontable. Leur leadership doit transcender les barrières de genre, inspirant les générations futures.
Comme toute personne, Khady Fall a ses opinions philosophiques, politiques et religieuses, mais elle est tenue par le devoir de réserve.
En dehors de son métier de policier, Khady Fall a une vie bien remplie, comme toutes les mères de famille. Elle aime pratiquer du sport, des sorties avec sa petite famille, mais surtout passer du temps avec ses enfants.
Mais, au Sénégal, ses qualités ne font pas l’unanimité. Des opposants et activistes lui reprochent des violences à l’encontre de civils durant l’exercice de ses fonctions au commissariat du Plateau.
C’est le cas de Guy Marius Sagna, figure du mouvement Frapp-France Dégage et aujourd’hui député, qui soutient être une « victime directe » de la commissaire Khady Fall. Après l’annonce de la nomination de commissaire Khady Fall pour diriger le contigent sénégalais de police à la Monusco, il a saisi la cheffe de cette mission onusienne, Bintou Keïta, pour s’en plaindre. Il lui a adressé une lettre de « dénonciation pour actes de torture et traitements inhumains et dégradants », dont il a publié une copie sur sa page Facebook et dont des médias sénégalais se sont fait l’écho. Selon lui, elle a commis des « actes répétés de torture et de traitements inhumains et dégradants contre des citoyens sénégalais lorsqu’elle était en service au niveau du commissariat de police de Dakar-Plateau », peut-on lire dans le courrier de Guy Marius Sagna. « En tant que victime directe (de la) commissaire Khady Fall, en tant qu’élu du peuple sénégalais, mais aussi en tant que citoyen engagé envers les principes des droits de l'homme et de la justice, je suis profondément préoccupé par les implications graves » que sa nomination « pourrait avoir sur la Monusco et sur les populations locales. »
La concernée étant tenue par son devoir de réserve, nous avons sollicité la réaction de son entourage sur ces accusations. Sa famille a répondu qu’elle ne souhaite pas aborder le sujet.
Ndèye Khady D. FALL












