Les clichés du Président Bassirou Diomaye Faye jouant au Scrabble dans l’avion suscitent un vif débat. Entre légèreté malvenue et signe d’humanité, la communication présidentielle divise.
Une photo peut valoir plus qu’un discours politique. Les clichés publiés récemment sur internet, montrant le Président Bassirou Diomaye Faye en pleine partie de Scrabble avec Bentaleb Sow, membre de la cellule digitale de la Présidence, à bord de l’avion qui le conduisait à New York, en sont une parfaite illustration.
Derrière cette scène apparemment anodine se cache un débat de fond : faut-il y voir un symbole de désinvolture dans un contexte national tendu, ou au contraire une preuve bienvenue de simplicité et d’humanité ?
L’image d’un président joueur, donc pas sérieux
Pour nombre de Sénégalais, la publication tombe au plus mauvais moment. Le pays traverse une période éprouvante. Les pluies diluviennes de ces dernières semaines ont durement frappé plusieurs régions, notamment la ville sainte de Touba, laissant des familles entières sans abri et dans la détresse. Sur le plan économique, la situation reste tout aussi préoccupante : les prix des denrées alimentaires continuent de grimper, les ménages peinent à joindre les deux bouts, et l’horizon reste assombri par les séquelles d’une crise héritée de l’ancien régime.
Dans un tel contexte, les citoyens attendent de leur président des signaux d’action et de fermeté. Ils veulent voir un chef d’État en réunion avec ses ministres pour coordonner les secours, au chevet des sinistrés pour témoigner de sa solidarité, ou encore en conférence pour annoncer des mesures fortes contre la vie chère. Bref, ils veulent des gestes qui incarnent un leadership à l’écoute et au travail. Or, ce que renvoient ces photos de Scrabble, c’est l’image d’un dirigeant absorbé par un jeu de société alors que son peuple souffre.
La symbolique politique joue ici un rôle majeur : les gestes, les images, les mises en scène présidentielles ne sont jamais anodins. En affichant un moment de loisir au cœur d’une crise, le Président Faye risque de brouiller le message qu’il souhaite transmettre à ses concitoyens. À l’heure où l’opinion publique scrute le moindre signe de sa gouvernance, cette communication peut alimenter un sentiment de déconnexion, voire d’insouciance.
L’image d’un président humain, simple et accessible
À l’inverse, d’autres observateurs estiment qu’il faut relativiser. Montrer un président jouant au Scrabble, c’est aussi rompre avec l’austérité rigide et les mises en scène solennelles qui ont longtemps dominé la communication présidentielle. C’est accepter d’apparaître dans sa dimension la plus humaine, celle d’un homme qui, malgré les lourdes charges de sa fonction, prend quelques instants pour se détendre.
L’image renvoie à une conception plus moderne de la présidence : celle d’un chef d’État accessible, qui ne se cache pas derrière un protocole figé, mais qui assume sa simplicité. En choisissant un jeu aussi populaire et ancré dans les foyers sénégalais que le Scrabble, Bassirou Diomaye Faye envoie aussi un signal de proximité culturelle et sociale. Là où certains voient un signe de déconnexion, d’autres perçoivent au contraire une tentative de se montrer tel qu’il est, sans artifices.
Il faut également rappeler que l’avion présidentiel, loin d’être un lieu de loisirs permanents, est aussi un espace de travail. Les photos d’un moment de détente ne signifient pas que le président n’a pas consacré de temps aux dossiers brûlants de l’heure. Elles traduisent plutôt un équilibre : même un chef d’État, soumis à une pression constante, a besoin de moments pour souffler et garder sa lucidité.
Une communication ambivalente
Ces clichés mettent en lumière toute l’ambiguïté de la communication politique contemporaine. Entre l’exigence de sérieux qui pèse sur les épaules d’un président et la volonté de montrer un visage humain, la frontière est fine et les malentendus nombreux. Ce qui est perçu comme une preuve d’authenticité par les uns devient, pour les autres, un signe de légèreté malvenu.
La question de fond n’est donc pas tant le Scrabble lui-même que le message que renvoient les images présidentielles. Dans un pays où la symbolique et le ressenti pèsent lourd, chaque publication devient un acte politique. Et c’est là que se joue la réussite ou l’échec d’une stratégie de communication : parvenir à incarner la proximité sans renvoyer l’image de l’insouciance, afficher l’humanité sans perdre l’autorité.
Une rupture avec la tradition des présidents studieux en vol
Ce contraste est d’autant plus marqué que l’opinion sénégalaise est habituée à voir ses dirigeants, dans l’avion présidentiel, concentrés sur des dossiers officiels. Macky Sall, à plusieurs reprises, s’était fait photographier en pleine lecture de rapports ou en train de travailler avec ses collaborateurs à bord. Et la comparaison dépasse le cadre national : la présidence gabonaise a publié ce même jour des clichés du Président Brice Clotaire Oligui Nguéma plongé dans ses dossiers durant un déplacement. Ces images, valorisant l’idée d’un chef d’État studieux et absorbé par ses responsabilités, renforcent l’impression de décalage provoquée par la séquence Scrabble de Bassirou Diomaye Faye.
En définitive, le Scrabble présidentiel restera comme un épisode révélateur de cette tension permanente entre deux attentes contradictoires : celle d’un chef de l’État grave, concentré sur ses responsabilités, et celle d’un président humain, simple et accessible. Entre légèreté et humanité, Bassirou Diomaye Faye marche sur un fil étroit, où chaque image devient une pièce d’un Scrabble politique à très haut risque.
Sidy Djimby NDAO
(Correspondant permanent en France)
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