Lancée ce samedi sous la houlette du ministre de l’Intérieur Mouhamadou Bamba Cissé, en coordination avec le ministère de l’Urbanisme, l’opération de déguerpissement à Colobane marque la première action d’envergure du nouveau responsable de l’Intérieur, déterminé à réorganiser l’espace public et à rétablir l’ordre.
Colobane, samedi matin, sous un ciel chargé d’humidité, le quartier du Parc à Mazout est méconnaissable. Là où s’élevaient, il y a encore quelques heures, des baraques bricolées, des tentes en bâche et des abris précaires, s’affairent désormais policiers, gendarmes et agents du ministère de l’Intérieur. Les bulldozers avancent lentement, raclant le sol jonché de débris. La poussière mêlée aux cris des enfants et aux ordres secs des forces de l’ordre donne au lieu des allures de champ d’opération. Le nouveau ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Me Mouhamadou Bamba Cissé, est sur place. Costume clair, lunettes de soleil vissées sur le nez, il supervise personnellement ce qui est présenté comme la première étape d’un plan national pour reconquérir l’espace public. «Ce qui est anormal ne doit jamais devenir normal», martèle-t-il.
Un symbole de l’anarchie urbaine visé en premier
Le site de Colobane n’a pas été choisi au hasard. Connu sous le nom de Parc à Mazout, ce terrain relevant de la Sn-Hlm était devenu au fil des ans un condensé de tous les maux urbains, occupation anarchique, installations précaires, insalubrité chronique et sentiment d’insécurité. S’y côtoyaient commerçants informels, abris provisoires et mendiants en majorité étrangers. Le lieu était devenu un point noir aux portes de la capitale. «Cette opération ne vise à stigmatiser personne», insiste le ministre. «Elle s’inscrit dans une politique globale de lutte contre l’occupation anarchique, un phénomène que nous avons trop longtemps laissé prospérer.»
Pour appuyer ses propos, la Direction générale du Cadre de Vie et de l’Hygiène publique (Dgcvhp) publie, à chaud, le bilan de l’opération : «70 baraques démantelées ; 407 abris provisoires détruits ; 17 toilettes à ciel ouvert supprimées ; 28 branchements anarchiques d’électricité neutralisés ; 14 tentes retirées et 407 personnes interpellées par les forces de l’ordre», cite-t-il.
Ces chiffres impressionnants traduisent l’ampleur de la tâche entreprise par le ministère de l’Intérieur, épaulé par l’Urbanisme, la Police nationale, la Gendarmerie et la Sonaged.
Dans les ruelles, colère et résignation
Les bulldozers avancent. Autour, les habitants ramassent à la hâte leurs affaires. Des femmes plient des nattes sous le regard inquiet de leurs enfants. Des hommes discutent à voix basse, entre colère et fatalisme. La plupart disent comprendre l’opération, mais regrettent de ne pas avoir été relogés. «On nous chasse comme des animaux», lâche en wolof un vieil homme originaire du Niger, mendiant installé ici depuis des mois.
À quelques mètres, un commerçant sénégalais, vendeur de fripes, préfère relativiser. «C’est dur, mais il fallait que ça arrive. On ne pouvait plus vivre dans cette saleté.»
Dans son communiqué, le ministre se veut rassurant, des discussions seront engagées pour trouver «les bonnes formules afin que les préoccupations légitimes de chaque partie soient respectées.» Mais il prévient : «la mendicité exercée sur la voie publique est une infraction pénale. Et l’État entend bien faire respecter la loi». «Il s’agit de bâtir un nouveau type de Sénégalais, soucieux du bien commun et respectueux des règles», insiste Bamba Cissé. Cette stratégie a un double objectif : «montrer aux Sénégalais que l’État est de retour sur le terrain et envoyer un avertissement aux contrevenants. L’incivisme, l’insalubrité et l’occupation anarchique des rues ne seront plus tolérés», répète-t-il.
La difficile équation sociale
Reste que l’opération soulève des questions sensibles. La plupart des personnes touchées sont pauvres, souvent étrangères, parfois en situation irrégulière. Que deviendront-elles après ce déguerpissement ? Le ministère assure que des mesures d’accompagnement sont à l’étude, mais les détails manquent.
Le gouvernement semble conscient de cette tension. «Nous voulons restaurer l’ordre sans perdre notre humanité», confie un haut responsable de l’Intérieur. «Mais l’espace public appartient à tous.»
Un message pour tout le pays
Au-delà de Colobane et Soumbédioune, c’est tout le Sénégal qui est concerné. Les installations précaires, les marchés spontanés, les stationnements irréguliers prolifèrent dans de nombreuses villes. Le ministre annonce des mesures «hardies» qui seront appliquées avec rigueur pour «préserver l’ordre public et renforcer la sécurité routière».
Dans son esprit, ces opérations sont la première étape d’un processus plus large, «instaurer une nouvelle discipline collective. L’ordre, la sécurité et la tranquillité publics constituent des conditions essentielles au succès des politiques de développement», a-t-il rappelé.
En quittant Colobane ce samedi après-midi, le ministre Bamba Cissé a promis que l’opération n’était qu’un début. D’autres quartiers, d’autres villes suivront. La reconquête de l’espace public est lancée. Pour beaucoup, ce moment marque un tournant, celui d’un État qui affirme à nouveau son autorité, au risque de bousculer des habitudes ancrées depuis des années.
Baye Modou SARR













