Lors de son discours avant-hier, à la veille de la 64ème fête de l’indépendance, le Président Bassirou Diomaye Faye a mis l’accent sur sa volonté d’installer la paix et la cohésion sociale ; et cela repose essentiellement, selon lui, sur une justice indépendante. Conscient du fait qu’il faut donc redorer le blason de cette justice, le président de la République a proposé la tenue des assises avec la participation de tous les acteurs, notamment les magistrats, avocats, greffiers, huissiers, et justiciables afin de pouvoir réfléchir et trouver les bonnes réformes à apporter. Cette invite du successeur de Macky Sall est approuvée par quasiment tous les acteurs. Le journal « Les Echos » a pris les avis de magistrats, avocats et greffiers sur la question.
UN ANCIEN PRESIDENT DE L’UMS
« Il est évident qu’il faut réformer la justice, surtout dans le sens de supprimer l’emprise qu’a le pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire »
« Il est évident qu’il faut nécessairement réformer la justice, surtout dans le sens de supprimer l’emprise qu’a le pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire. Les problèmes de la justice sont identifiés depuis longtemps et ils sont connus de tous. Il suffit d’appliquer les différentes propositions qui ont déjà été faites dans les réunions comme les assises nationales, par exemple. La balle est dans le camp du pouvoir exécutif parce que nous avons malheureusement l’habitude de voir les hommes politiques changer de discours selon qu’ils sont dans l’opposition ou au pouvoir ».
UN MAGISTRAT DANS UNE HAUTE JURIDICITION
« L’Ums avait déjà réfléchi sur la question et proposé des réformes »
« Je crois que l’Union des magistrats sénégalais avait déjà réfléchi sur la question et proposé des réformes. Ce qu’il faudrait faire, c’est juste l’appel à candidature pour les postes vacants et limiter la durée de certaines fonctions. Faire comme en France, c’est-à-dire, si le ministre de la Justice veut donner des instructions au Procureur, que ce soit des instructions écrites, à verser dans le dossier. Il faut également supprimer les retours de Parquet et instituer un juge des libertés. S’agissant particulièrement de l’inclusion de la société civile au Conseil supérieur de la magistrature qui est soulevée, ce n’est pas une bonne idée. La société civile va parasiter le travail du Csm si on l’intègre. Il faut laisser aux magistrats la gestion de leurs problèmes et de leur carrière. A l’Ordre des avocats, il n’y a ni professeurs d’université ni membres de la société civile. Le Csm se prononce juste sur la nomination des juges. Pour les actions disciplinaires, il n’y a que les juges qui interviennent. Il faut que les gens soient prudents. Je ne vois pas la plus-value que ces gens peuvent apporter au Csm.
Me AMADOU ALY KANE AVOCAT ET RADDHO
« Pour connaitre une bonne justice, il y a des améliorations à apporter sur la compétence, l’indépendance et l’impartialité »
« Je pense que le président de la République a raison de proposer la tenue d’une concertation large sur la justice ; parce que la justice est un pilier important de l’Etat de droit, car dans un pays où il n’y a pas de justice, il ne peut pas y avoir de stabilité et il ne peut pas y avoir non plus d’investissements. Le Président a proposé d’y inclure les justiciables et je crois qu’il s’agit ici de personnes morales comme des personnes physiques qui ont été affectées par des décisions de la justice. Et je pense aussi qu’il ne s’agit pas simplement d’un Sénégalais lambda, mais plutôt de gens comme Aïda Ndiongue, Bocar Samba Dièye, Moustapha Tall, par exemple, qui ont eu à se confronter avec les rigueurs de la loi et parfois à tort. Il faut que ces justiciables puissent donner leur ressenti. Ils peuvent représenter le peuple et la justice est rendue au nom du peuple. Mais, il ne faut pas oublier les associations de défense des droits humains qui s’activent dans le monde du droit, qui viennent au secours des justiciables qui ont maille à partir avec la justice.
S’agissant des réformes, j’ai toujours dit que pour connaître une bonne justice, il y a trois améliorations à apporter. Il faut d’abord insister sur la compétence des acteurs, les juges et les avocats. C’est très important parce que nous sommes dans la matière du droit qui est très mobile, le droit n’est pas fixe ; actuellement, il y a ce qu’on appelle le droit numérique qui n’existait pas auparavant, parce que l’internet et les réseaux sociaux n’existaient pas ou n’avaient pas cette place dans la société et cette délinquance qui tourne autour de la technologie moderne n’existait pas non plus. Donc, il faut une formation continue des acteurs ; il faut également nous confronter à d’autres réalités, car si vous avez l’habitude de fréquenter la Cour pénale internationale, vous constaterez qu’il y a une différence avec la justice interne. Ce n’est pas la même chose. Cela permet de savoir quels sont les points à améliorer. L’autre aspect, c’est au niveau de l’indépendance des juges ; quand on dit indépendance, c’est par rapport à l’Etat, mais également aux lobbies. Il ne faudrait pas qu’on dicte aux juges les décisions à rendre. Dans notre justice interne, les juges ont tendance à valider les demandes du Procureur, c’est ce que l’on constate ; sur certaines questions, cela se comprend, parce que c’est la loi qui est ainsi faite. Vous savez aussi que pour garantir son indépendance, il y a deux mécanismes qui sont prévus, le premier, c’est l’inamovibilité, le juge ne peut pas être déplacé sans son consentement, mais à la condition qu’il soit titulaire, c’est-à-dire que si vous n’êtes pas titularisé vous ne pouvez pas en bénéficier. Ensuite, il y a la notion de nécessité de service qui permet de les déplacer et ces déplacements sont parfois une forme de sanction déguisée. Un autre aspect important portant sur l’indépendance, c’est au niveau du Conseil supérieur de la magistrature qui gère la carrière des magistrats. Là aussi, on constate qu’il y a plus de membres non élus que membres élus par leurs pairs, parce que tous les chefs de Parquet sont généralement membres du Csm alors que les membres élus par leurs pairs sont un petit nombre. Cela fait partie des revendications des magistrats. Il y a également le recours récurrent aux consultations à domicile qui est déploré. Il y a aussi la retraite à 68 ans qui est le privilège d’un nombre restreint de magistrats, les autres partent à 65 ans. Le dernier point d’amélioration c’est par rapport à l’impartialité qui est l’acte du juge par rapport aux parties au procès. Il faudrait qu’il y ait une attitude équitable entre les parties ».
Me El HADJI AYA BOUN MALICK DIOP DU SYTJUST
« Le principal problème des magistrats, c’est l’occupation de certains postes ; l’Etat doit œuvrer à ce que les différences salariales ne soient pas énormes »
Il est toujours bien de réfléchir sur la justice, mais il faut savoir que la justice a été le fonds de commerce des politiques pendant des années. Lorsque des politiques dans l’opposition veulent convaincre les masses, leur démarche, la plupart du temps, consiste à faire le procès de la justice, à tort ou à raison. Mais, ce qui est constant, c’est que les citoyens sénégalais voudraient une justice parfaite. Dans ce sens, je dis qu’il est toujours bon de réfléchir sur la justice. Mais dans cette réflexion, il faudrait qu’on prenne l’avis des pratiquants de la justice à savoir, les magistrats, les greffiers, les avocats, parce que dans sa réalité la justice est loin de ce qui se dit dans les livres et dans les fascicules à l’Université. La réalité judiciaire est tout autre. En ce qui concerne les réformes à apporter, je dirais que l’indépendance de la justice ou du pouvoir judiciaire, tant recherchée ou tant chantée par une certaine classe politique devrait passer par l’amélioration des conditions d’existence des acteurs de la justice que sont les magistrats, les greffiers et les travailleurs de la justice. Ça c’est l’avis du syndicaliste. Au Sénégal, il faut reconnaître que le principal problème des juges, par exemple, c’est l’occupation de certains postes parce que simplement à ces postes, il y a des privilèges. Donc l’Etat doit œuvrer de telle sorte qu’un juge garde ces privilèges qu’il occupe un certain ou pas. Cela contribuerait à ce que les gens ne s’attachent pas à certains postes. L’amplitude salariale des juges, celui qui occupe un poste et un autre qui ne l’occupe pas ne doit pas être énorme. Mais il faut bien rémunérer les greffiers et les travailleurs de la justice. Je crois qu’il ne s’agit que de cela, parce que sur le plan textuel on critique beaucoup le Conseil supérieur de la magistrature, mais à tort.













