Dans un contexte régional marqué par les fractures géopolitiques, les coups d’État à répétition et les désillusions institutionnelles, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko incarne une parole singulière. À la fois lucide et offensive, critique et pragmatique, il dessine les contours d’un panafricanisme de rupture, fondé sur la souveraineté réelle des États, la justice entre les peuples, et la cohérence entre les actes et les discours. Qu’il s’agisse du débat sur le franc Cfa ou de la crise ouverte entre la Cedeao et les pays de l’Alliance des États du Sahel (Aes), sa ligne est constante : défendre la souveraineté, non comme slogan, mais comme boussole de l’action politique.
En déplacement officiel au Burkina Faso pour une visite de 48 heures, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a livré un message fort lors d’un entretien exclusif accordé à la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB). Dans cette entretien, le leader de Pastef déclare, entre autres, que l’Afrique doit sortir de la dépendance symbolique et matérielle vis-à-vis des anciennes puissances coloniales ; que la souveraineté s’exerce par des actes concrets, pas des slogans. Il aborde d’autres questions comme le retrait des bases militaires étrangères au Sénégal qui est en cours ; le franc Cfa qui est appelé à évoluer vers une monnaie pleinement africaine ; ou encore panafricanisme, oui, mais jamais au détriment des intérêts souverains.
La souveraineté, un impératif d’action
À ceux qui doutent encore de la pertinence des luttes souverainistes dans une Afrique prétendument « indépendante », Ousmane Sonko oppose un constat implacable : « dès que l’on nous a dit indépendants, cette indépendance nous a été enlevée, d’une manière ou d’une autre. » Pour lui, l’Afrique ne pourra s’émanciper réellement que si ses dirigeants acceptent de rompre avec les schémas de dépendance politique, économique et militaire qui ont structuré les relations avec les anciennes puissances coloniales depuis les années 1960.
Cette souveraineté ne se décrète pas dans les discours, elle se construit dans les actes. Le Premier ministre martèle : « nous avons lancé un processus de retrait des bases militaires étrangères. Une première base a été évacuée, et d’ici juillet, il n’y en aura plus aucune sur le sol sénégalais. » Loin d’un coup d’éclat symbolique, il s’agit pour lui d’un « acte ordinaire de souveraineté », qui consacre un principe simple : un pays souverain contrôle son territoire, son armée et sa sécurité.
Mais la question militaire n’est qu’un volet d’un combat plus large : celui de la maîtrise des ressources, des politiques économiques et monétaires. Et sur ce point, le franc Cfa reste un sujet brûlant.
Franc Cfa : entre rupture nécessaire et cohérence stratégique
La question monétaire occupe une place centrale dans la vision politique d’Ousmane Sonko. Et contrairement à ceux qui surfent sur les fantasmes ou les slogans, lui revendique une position construite, documentée, constante : « depuis ma candidature en 2018 jusqu’à notre programme de 2024, nous avons tenu la même ligne. » Cette ligne est claire : il ne s’agit pas seulement de sortir du franc Cfa, mais de construire une monnaie véritablement africaine, conçue par et pour les Africains.
Le problème du franc Cfa est double, explique-t-il. D’abord symbolique, car cette monnaie continue d’incarner un héritage colonial inacceptable à l’heure des discours sur la dignité africaine. Mais aussi technique : « arrimée à l’euro, cette monnaie est trop forte pour nos économies. Elle favorise l’importation et nous empêche de mener une véritable politique de substitution des importations. »
Pour autant, Sonko ne plaide pas pour un repli nationaliste. Bien au contraire. Il croit à l’intégration régionale, à un marché commun, à une monnaie commune. Mais à condition que cette intégration repose sur des bases équitables et transparentes. À ses yeux, la souveraineté ne doit pas être un obstacle à l’unité africaine, mais sa condition de possibilité. Et ce principe irrigue aussi sa lecture de la crise actuelle entre la Cedeao et l’Aes.
Cedeao-Aes : refus du manichéisme, plaidoyer pour une intégration réinventée
La rupture entre la Cedeao et les pays de l’Aes (Mali, Burkina Faso, Niger) a provoqué un séisme dans la géopolitique ouest-africaine. Mais, pour Ousmane Sonko, il ne s’agit ni d’un divorce irréversible, ni d’une crise sans causes. « Avec beaucoup de regret », dit-il, en soulignant que les organisations régionales doivent d’abord être « des rassemblements de peuples, avant d’être ceux des dirigeants ».
Selon lui, la fracture actuelle est le fruit d’une série d’erreurs politiques majeures commises par la Cedeao elle-même. Il dénonce l’embargo contre le Mali, les sanctions incohérentes, la menace d’intervention militaire contre le Niger. Et il pose une question qui résonne comme une accusation : « est-ce que si aujourd’hui la même situation se posait au Nigeria, la Cedeao allait menacer d’intervenir militairement ? »
C’est là tout le paradoxe d’une organisation qui se prétend fondée sur la solidarité, mais qui se montre prompte à punir certains régimes quand elle reste silencieuse face à des tripatouillages constitutionnels ou à des répressions politiques dans d’autres. « Tous les États de la Cedeao sont d’égale dignité », insiste Sonko, refusant les logiques de deux poids, deux mesures.
Et s’il critique la Cedeao, ce n’est pas pour la saborder, mais pour appeler à sa refondation. Fidèle à ses convictions d’opposant, il reste aujourd’hui, en tant que chef du gouvernement, un défenseur de l’intégration africaine — mais d’une intégration exigeante, fondée sur l’égalité, le respect mutuel et l’autocritique.
Entre les peuples, la coopération continue
Pour Ousmane Sonko, les ruptures institutionnelles ne doivent jamais signifier la fin des coopérations réelles entre les peuples. Et il en veut pour preuve la dynamique actuelle entre le Sénégal et le Burkina Faso : « nous avons 20 accords de coopération signés et ratifiés. Il y en a 23 autres en cours de discussion. » Le message est clair : ce n’est pas parce que le Burkina est sorti de la Cedeao que les relations doivent s’arrêter. Bien au contraire, elles doivent se renforcer.
Ce principe vaut pour tous les peuples de la sous-région. « Nous sommes liés par l’histoire, par la géographie. Nous n’avons pas de choix. » Ce constat, lucide, s’oppose à toutes les tentatives de division. Et il alimente une conviction forte : tôt ou tard, les retrouvailles auront lieu. Car l’Afrique, à l’image de l’Europe après les guerres mondiales, peut et doit surmonter ses conflits pour bâtir un espace intégré, solidaire, souverain.
Un cap clair : la souveraineté, l’égalité, et l’unité des peuples
En filigrane de son discours, Ousmane Sonko trace un horizon politique : celui d’une Afrique digne, debout, débarrassée de ses dépendances héritées et capable d’inventer un nouveau modèle de développement. Pour cela, il appelle à rompre avec les hypocrisies institutionnelles, à refuser les pressions extérieures, et à se doter d’outils propres pour maîtriser son destin.
Il ne s’agit pas d’un repli frileux sur la souveraineté nationale, mais d’un appel à une solidarité active entre nations égales. Un panafricanisme des actes, pas des slogans. Une intégration fondée sur la justice, pas sur les injonctions.
Le défi est immense. Mais le cap est posé. Et dans un continent en quête de repères, la voix du Premier ministre sénégalais se distingue, par sa cohérence, sa fermeté et son engagement en faveur d’une Afrique des peuples, non des intérêts dominants. Une Afrique qui ne quémande plus sa dignité, mais qui l’impose par ses choix, ses réformes, et ses partenariats. Une Afrique souveraine, enfin.
Sidy Djimby NDAO













