Alors que les mutations technologiques redessinent les contours de la création artistique et de sa protection juridique, Aly Bathily, Directeur général de la Société sénégalaise de gestion collective des droits d’auteur et droits voisins (Sodav), a livré une analyse sans concession du cadre judiciaire actuel en matière de propriété intellectuelle. C’était à l’occasion de l’atelier sous-régional de Formation des magistrats et personnels judiciaires de l’Uemoa, organisé en partenariat avec l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi).
Une justice encore peu adaptée aux réalités du droit d’auteur
Selon Aly Bathily, les défis liés à la protection du droit d’auteur ne relèvent plus seulement de la législation en vigueur, mais surtout de sa mise en œuvre judiciaire. « Nous avons des magistrats compétents dans plusieurs branches du droit, mais une faiblesse réelle subsiste dans le traitement des affaires de propriété intellectuelle », a-t-il déclaré. Cette lacune structurelle freine, selon lui, l’exploitation optimale des œuvres et la reconnaissance des droits des créateurs à l’ère numérique. Bathily insiste sur le fait que la qualité des décisions de justice rendues en matière de propriété intellectuelle joue un rôle déterminant dans la consolidation d’un environnement juridique stable et prévisible pour les acteurs culturels. Il plaide pour que ces décisions ne soient pas uniquement répressives, mais également constructives, équilibrées et créatrices de jurisprudence pertinente.
Vers une spécialisation des juridictions
Pour répondre aux défis spécifiques du droit d’auteur, notamment l’extraterritorialité des infractions numériques et la complexité des chaînes de diffusion dématérialisées, le Directeur de la Sodav propose la création de chambres judiciaires spécialisées. Une telle réforme permettrait, selon lui, de mieux faire face à la sophistication croissante des contentieux liés à la propriété intellectuelle. «La mutation du modèle économique des œuvres vers le numérique exige une adaptation de nos structures judiciaires. Les plateformes de streaming, par exemple, transcendent les frontières et nécessitent une compréhension fine des enjeux transnationaux du droit d’auteur», a-t-il expliqué.
Une formation plus ciblée pour les magistrats
Autre point d’alerte : la formation insuffisante des magistrats sur les spécificités du droit d’auteur. «Le module de propriété intellectuelle enseigné au Centre de formation judiciaire semble encore trop orienté vers la propriété industrielle», a regretté Bathily, appelant à un recentrage vers les subtilités du droit d’auteur, qu’il qualifie de «plus immatériel, mais tout aussi stratégique». Pour Bathily, une telle mise à niveau est indispensable afin de garantir l’effectivité des règles de droit et d’assurer aux titulaires de droits une protection adaptée aux évolutions technologiques, notamment en lien avec l’intelligence artificielle.
Un plaidoyer pour l’État de droit culturel
Ce discours s’inscrit dans une vision plus large du droit d’auteur comme instrument de justice sociale et de développement économique. Car au-delà de la protection juridique des œuvres, il s’agit de créer les conditions d’une juste rémunération des créateurs, d’encourager l’innovation et de valoriser les patrimoines culturels africains. En réaffirmant la nécessité d’un droit d’auteur robuste et bien appliqué, Aly Bathily appelle les magistrats à se positionner comme garants de l’équité et de la sécurité juridique dans un domaine en pleine mutation. Une démarche qui, selon lui, est essentielle pour bâtir un écosystème culturel pérenne et dynamique dans l’espace Uemoa.
Sherine Gress, coordonnatrice principale du département de la coopération pour le développement à l’Ompi, a rappelé que les magistrats sont «des acteurs clés dans la structuration de l’industrie créative». Selon elle, «ce sont les décisions judiciaires qui guident les contours juridiques et économiques de ce secteur». Elle insiste sur l’importance d’une sensibilisation accrue autour du droit d’auteur, encore largement méconnu dans de nombreux pays africains. «Avant même de parler d’intelligence artificielle, nous devons d’abord renforcer la compréhension des droits fondamentaux des créateurs. Trop peu de personnes savent ce qu’est réellement le droit d’auteur, ou comment gérer et protéger leurs droits», a souligné Mme Gress, elle-même originaire d’Égypte.
L’atelier a mis l’accent sur trois leviers essentiels pour développer un écosystème créatif solide : la sensibilisation, un cadre juridique cohérent et la professionnalisation des différents acteurs de la chaîne de valeur. La plateforme WIPO Connect, récemment introduite au Sénégal par la Sodav, a été citée en exemple comme outil de gestion moderne des droits et de distribution équitable des redevances.
Samba THIAM












