Dans cette seconde partie de l’interview qu’il a accordée à « Les Echos », Mody Guiro, secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal, crie haro sur l’inaccessibilité des autorités ministérielles à qui il demande plus d’ouverture. Il s’indigne également du sort fait aux gens de mer sur les plateformes pétrolière et gazière, non sans mettre le curseur sur la question cruciale de l’emploi et de l’employabilité des jeûnes. Pour la fête du Travail, Guiro dit que les centrales se pencheront sur le format de cette année au sortir de l’AG de ce vendredi.
Y a-t-il au niveau du gouvernement des initiatives tendant à nouer le dialogue avec les syndicats, à entamer des négociations par rapport à la situation actuelle ?
Nous avons rencontré le ministre du Travail récemment. Il nous a reçus, à sa demande d’ailleurs, et il a échangé avec nous sur l’ensemble de la situation que nous venons de décliner. Le ministre Abass Fall a été très attentif et ouvert et la réunion s’est très bien passée. Maintenant, c’était une rencontre d’échanges, d’information et je pense qu’il a pris bonne note et qu’il devait rendre compte à l’autorité supérieure. C’est ce que nous avons fait également avec le président du Haut conseil du dialogue social, Mamadou Lamine Dianté, qui est un syndicaliste que nous connaissons bien. Sur l’ensemble des questions que ,nous avons traitées, il était en phase avec nous, mais il ne peut qu’en référer à qui de droit. Voilà et il faut dire tout cru que certaines autorités ne sont pas accessibles ; nous l’avons dit au ministre Abass Fall lors de notre rencontre. Les autorités actuelles, les ministres, ne sont pas accessibles, du tout ; impossible de les avoir pour discuter, en tout cas, certains, d’après les informations que nous avons. Le ministre du Travail a donc pris l’engagement de faire en sorte que les relations puissent être mieux huilées. Nous pensons qu’il faut que les gens s’ouvrent, que les autorités s’ouvrent, qu’elles puissent être plus accessibles. On a l’habitude de dire que là où il n’y a pas de dialogue, l’information ne circule pas, c’est la rumeur. Et quand la rumeur s’installe, c’est l’instabilité.
Quelles perspectives dans le monde du travail avec la découverte du pétrole et du gaz ?
Ces découvertes de pétrole et de gaz et leur exploitation constituent une réelle opportunité pour le pays. Mais ce que je ne comprends pas, c’est la situation des travailleurs offshore sénégalais, des gens de mer. Comment peut-on accepter que des Sénégalais qui gagnaient beaucoup d’argent, une fois qu’ils sont en mer, sur les plateformes, qu’on puisse leur dire : écoutez, vous gagnez trop. Alors que, comparativement à leurs collègues étrangers, ghanéens et autres travailleurs africains, ces derniers gagnent beaucoup plus. Ce devait être le contraire, car lorsque vous êtes en mer, vous êtes tous expatriés, vous n’êtes plus sous régime sénégalais, du tout. Ce sont donc des travailleurs, recrutés et emmenés sur ces plateformes qui travaillent au même titre que tout le monde ; ils doivent gagner autant que les autres, pas moins. Voilà des questions qu’on devrait également régler. Je pense que ce sont des préoccupations que nous avons et qu’il faut prendre en compte.
Quelle appréciation faites-vous de ce projet d’exporter des travailleurs sénégalais vers les champs espagnols ?
Je pense qu’il faut développer l’agriculture au Sénégal. L’agriculture peut donner des milliers d’emplois à nos jeunes et je crois que les autorités en ont bien conscience et l’ont dit tout haut. Maintenant, je pense que la migration a toujours existé et ces jeunes qui vont en Espagne, c’est une goutte d’eau par rapport au nombre de chômeurs que nous avons. La meilleure solution, c’est de maintenir nos enfants ici, dans leur pays, de les former pour que chacun ait un métier, qu’ils puissent gagner leur vie ici. Que ce soit dans l’agriculture ou dans d’autres secteurs, c’est un défi majeur, l’emploi et l’employabilité des jeunes. Je crois que c’est un des axes majeurs sur lesquels travaille l’actuel gouvernement, car la prochaine conférence sociale convoquée par le gouvernement aura comme thème l’emploi et l’employabilité des jeunes. Le comité préparatoire est à pied d’œuvre et les documents de travail sont en train d’être préparés. Pour dire simplement que l’emploi est aujourd’hui la préoccupation de tout le monde et qu’il y a des niches à explorer. Mais, cette question de l’exportation de travailleurs, il vaut mieux l’organiser, avec l’encadrement de l’Etat, qui n’a pas vocation à envoyer des cohortes de travailleurs, mais plutôt de se décharger sur d’autres structures, publiques ou privées, des agences de placement…
Pourquoi pas les syndicats ?
Oui, dans d’autres pays, les syndicats le font. Par exemple, les gens de mer, dans beaucoup de pays, les placements sont faits par les syndicats. Ici au Sénégal, ce n’est pas encore le cas, mais si vous prenez les pays anglophones, jusqu’en Australie, les agences de placement sont contrôlées par les syndicats. C’est le cas au Kenya et un peu partout ailleurs.
La fête du Travail n’est pas loin, que préparez-vous dans ce sens en direction du traditionnel cahier des doléances ?
On est en train de réfléchir, toutes les centrales, pour qu’au sortir de l’assemblée générale de ce 14, l’on se penche sur le format. En tout cas, les revendications sont là et nous devons ensemble les porter.
Aucune perspective d’augmentation de salaire à l’horizon ?
On n’en a pas encore discuté. Mais dans certains secteurs, dans le secteur privé, les gens n’attendent pas. Ils négocient à l’interne des augmentations avec l’employeur. Dans d’autres, cependant, c’est la dèche totale. Par exemple, la Saed, où jusqu’à la semaine dernière les salaires n’étaient pas tombés.
Et à La Poste, cela ne se décante pas toujours ?
Il faut saluer les avancées à La Poste, avec l’accompagnement de l’Etat. L’Etat a payé les deux mois de salaire. Maintenant, ce qu’il faut, c’est régler définitivement cette question. Je crois qu’il faut mettre sur la table les propositions, la restructuration nécessaire et voir comment il faut dépasser cette situation. Des propositions avaient été faites et je crois que les autorités devraient engager les négociations avec les syndicats de La Poste et essayer de prendre les meilleures décisions. S’il y a des départs, voir comment les accompagner au mieux et voilà.
Ne va-t-on pas aller vers des départs négociés tous azimuts dans les établissements publics ?
Peut-être bien, parce que cela a commencé. Ce que nous constatons, c’est que dans certaines sociétés publiques et parapubliques, les nouveaux DG qui viennent disent : nous on licencie, même si les gens ont des CDI. Quand même, il faut respecter les droits des gens. Le Sénégal est un pays de droit et le dialogue doit primer sur tout.
Recueillis par Mansour KANE
« Le ministre du Travail a donc pris l’engagement de faire en sorte que les relations puissent être mieux huilées »
« La prochaine conférence sociale convoquée par le gouvernement aura comme thème l’emploi et l’employabilité des jeunes »
« Des propositions avaient été faites et je crois que les autorités devraient engager les négociations avec les syndicats de La Poste et essayer de prendre les meilleures décisions »
« Dans certaines sociétés publiques et parapubliques, les nouveaux DG qui viennent disent : nous on licencie, même si les gens ont des CDI. Quand même, il faut respecter les droits des gens. Le Sénégal est un pays de droit et le dialogue doit primer sur tout »













