Les députés de Pastef n’ont pas fléchi après la controverse née de la loi portant interprétation de la loi d’amnistie et la tentative des députés de l’opposition à vouloir démonter le bien-fondé de la loi d'Amadou Ba. Selon Ayib Daffé, les détracteurs de cette loi sont les complices et les alliés abjects des crimes de sang.
C’est devant le portrait des victimes décédées des manifestations de 2021 à 2024 et en présence d’autres victimes blessés ou emprisonnés dans les gradins de l’hémicycle, que les députés ont débattu pendant dix tours d’horloge sur la loi portant interprétation de la loi d’amnistie du 13 mars 2024. « La question qui se pose, c’est est-ce que vous êtes pour ou contre l’impunité sur les crimes de sang, les assassinats, les meurtres, les tortures, les acte de barbarie, les traitements inhumains et dégradants, même si ces faits se rapportent à des manifestations quelle qu’en soit la motivation et indifféremment de leurs auteurs. Vous êtes venus faire un débat aérien, vous n’avez répondu à aucune question, vous êtes les complices et les alliés abjects de ces crimes de sang et grâce à la loi interprétative, nous allons la voter parce qu’elle est juste et équitable. Notre collègue Amadou Ba a pris l’initiative de dire qu’il est contre l’impunité sur les crimes de sang, c’est ce que Pastef et le groupe parlementaire de Yewwi d’alors avaient dit et n’avaient pas voté la loi d’amnistie en 2024 », fulmine le président du groupe parlementaire Pastef Les Patriotes qui accuse l’actuel président du groupe parlementaire Takku-Wallu et ancien ministre de la Justice d’être la promotrice de cette loi d’amnistie qui a entretenu l’ambiguïté et le flou à l’origine de cette loi interprétative. Poursuivant, il s’est attaqué à certaines organisations de la société civile qui dénonce l’absence de concertation et de dialogue. A l’en croire, les responsables de ces organisations n’ont jamais cherché à entrer en contact avec l’initiateur de la loi ou avec lui, président du groupe parlementaire de Pastef. « Quand ils ont besoin d’organiser des séminaires et des ateliers financés par des ambassades et des institutions internationales, ils nous invitent. Pourquoi ils ne sont pas venus nous voir depuis un mois pour dialoguer ou pour des concertations. C’est une fuite en avant, ils ont un agenda caché », charge le député.
Engager la réconciliation au terme de cette œuvre judicaire
Pour sa part, président de la Commission des lois, Me Abdoulaye Tall a rappelé que la meilleure façon de rendre justice aux Forces de défense et de sécurité, c’est d’apporter toute la lumière sur l'assassinat et la disparition de deux militaires, en l’occurrence Fulbert Sambou et Didier Badji. « Voici des hommes qui ont eu à rendre de bons et loyaux services et un jour dans la normalité, ils se voient enlever, tuer et jeter en haute mer », regrette l’avocat qui s’interroge sur le recrutement des nervis, ceux qui les ont armés, ceux qui ont donné l’ordre de tirer, etc. Face à ces questions, le député estime que c’est une occasion donnée aux familles des victimes de faire enfin leur deuil. « L'amnistie c'est le pardon, mais le pardon doit intervenir en dernier lieu. Il faut qu'on se livre à cet exercice de vérité et de justice ; c'est-à-dire prononcer les sanctions idoines appropriées aux auteurs de ces assassinats, de ces enlèvements et de ces tortures et au terme de cette œuvre judicaire, on peut engager la réconciliation avant de parler de pardon. Il n'est pas question de pardonner des faits qui ne sont pas amnistiables », rappelle l’avocat.
Maimouna Bousso : « ce n’est pas parce que nous manifestions que nous devions être abattus »
Maimouna Bousso a observé une minute de silence à l’endroit des 83 personnes tuées lors des manifestations. « Pour défendre la démocratie, des gens manifestent. Au Sénégal, en 2012, en 1988 et en 1993, les gens se sont toujours levés, se sont battus pour la démocratie sénégalaise. Certains ont dit que le Premier ministre, président de Pastef, a appelé à manifester. Oui, nous avons appelé à manifester comme la Constitution nous le permet en son article 8. Mais, ce n’est pas parce que nous manifestions que nous méritions la mort. Ce n’est pas parce que nous manifestions que nous devions être abattus. Aucune explication ne peut justifier la mort de nos jeunes, de nos enfants, de nos fils, de nos frères. La décence voudrait que ceux qui se sont tus, se sont terrés, se sont cachés pendant qu'on tuait nos frères, se taisent aujourd’hui. Mais, c'est la démocratie qui permet aux autres de parler de cette chère démocratie pour laquelle nos jeunes se sont battus », rapporte Mme Bousso, qui explique aussi que des jeunes sont morts en mer dans leur tentative de fuir la répression aveugle de l’ancien régime [...] « Ceux qui veulent mettre dos à dos des manifestations, des pillages, des casses de voitures, des casses de magasins avec le respect de la vie humaine, je leur dis honte à vous. Nous sommes là pour vous obliger à vous souvenir et nous sommes là pour que l'oubli ne guette pas notre peuple, parce que nous sommes un peuple digne et un peuple qui n'oubliera pas ce qui s'est passé de 2021 à 2024 », tranche Maimouna Bousso.
Oumar Sy : « cette loi interprétative ne protège personne, ne cible personne ; mais ceux qui sont coupables de crimes graves devront répondre de leurs actes »
« Je me tenais ici sur cette même place s'adressant à ma sœur ministre de la Justice venue défendre le projet de loi et je disais ceci : ‘’Madame la ministre est-ce que les crimes de sang sont dans le champ d'application de cette loi d'amnistie ?’’ Je m'étais empressé d’ajouter : ‘’vous ne pouvez pas nous renvoyer à l'appréciation du juge même si on peut me rétorquer que la terminologie crime de sang n'est pas consacrée par le droit pénal’’. La réponse à ma question avait tout son pesant d'or. Elle avait guidé notre décision de voter contre cette loi d'amnistie fourre-tout. En plus, s'agissant des cas de torture, je dois encore rappeler qu'en commission, il était bien dit et bien écrit sur le rapport de la commission que les tortures n'étaient pas hors de portée de la loi d'amnistie. Mais cela n'a pas été matérialisé dans le corpus de la loi que nous avions votée ici dans cet hémicycle. Aujourd'hui, il nous appartient, en tant que législateurs, de rappeler aux juges qui jugent selon leur intime conviction quel est le sens et la portée de cette loi d'amnistie. Il nous appartient en tant que législateurs de le rappeler que les droits fondamentaux tels que le droit à la vie, la préservation de son intégrité physique violée par des actes de torture et de barbarie ne pourront pas être passés par pertes et profits sous le fallacieux prétexte d'une loi d'amnistie au contraire des conventions signées par le Sénégal. On nous accuse à tort d'avoir la vengeance jubilatoire en bandoulière, mais nous l'avons suffisamment dit, cette proposition de loi interprétative ne protège personne, ne cible personne ; mais ceux qui sont coupables de crimes graves devront répondre de leurs actes conformément aux conventions signées par le Sénégal », fait remarquer le député Oumar Sy, persuadé que cette loi interprétative soumise au vote des députés n'est pas une loi de plus. « Elle rétroagira et fera corps avec la loi d’amnistie qui a déjà été votée », dit-il.
Babacar Ndiaye : « notre seul problème, c’est Macky Sall »
Le député de Pastef Pikine est d’avis, pour sa part, que l’ancien président Macky Sall est à l’origine de tous les maux du Sénégal : les crimes économiques avec la dette cachée et les morts dont le département de Pikine, en un jour, a perdu 9 de ses enfants. « Notre seul problème, c’est Macky Sall et non les Fds. Un mandat d’arrêt international doit être décerné au président Macky Sall pour réponde devant la justice, dit-il. S’agissant d’une partie de la société civile qui, dit-il, est en train de manipuler pour nous accuser de vouloir instaurer une justice des vainqueurs, le député Babacar Ndiaye précise que les manifestants n’ont pas besoin de loi d’amnistie. « Ils ont été amnistiés par le peuple en faisant d’eux les nouveaux dirigeants de ce pays ; le peuple a déjà jugé. Et ces responsables de la société civile qui crient aujourd’hui, étaient les pilleurs, les casseurs en 2011. Ils étaient devant pour mener le combat démocratique. Qu’est-ce qui a changé entre-temps ? Où était cette partie de la société civile lorsque cette loi d’amnistie était votée ? Pourquoi ils n’ont pas usé de ce tintamarre pour dénoncer en son temps le vote de cette loi ? On était certes en prison, mais on n'avait dit non. En revanche, ils étaient dehors et personne ne les a entendus », s’insurge le député qui rappelle que la loi interprétative est venue pour situer les responsabilités.
Anta Dia : « personne n’a le droit de pardonner à la place des victimes »
Toujours dans cette levée de boucliers contre les détracteurs de la loi interprétative, Anta Dia rappelle qu’il y a des faits qui ne pourraient être pardonnés. Elle en veut pour preuve les blessures atroces d’un jeune qui a perdu la vessie, contraint de se balader avec une sonde. Un autre, ajoute le député, a perdu une partie de sa motricité parce qu’une balle s’est logée dans sa boîte crânienne. Même s’il est allé au Maroc pour des soins, les médecins, dit-elle, estiment qu’il serait dangereux d’extraire la balle. « Comment on peut penser pardonner ces actes ? Je me demande même si ceux qui véhiculent cette position sont des Sénégalais. Ceux qui plaident pour la loi d’amnistie ou son abrogation totale ne sont pas des Sénégalais. Si leurs enfants, leurs frères ou s’ils avaient fait la prison, ils n’allaient jamais pardonner. Le Sénégal a ratifié des conventions internationales en tant que pays civilisé et en tant que tel doit faire la lumière sur ce qui s’est passé. De plus personne n’a le droit de pardonner à la place des victimes. Ils voulaient se protéger en premier lieu l’ancien président de la République. S’il a quitté le pays, c’est parce qu’il y avait cette loi, sinon il n’allait pas bouger. On va voter cette loi d’interprétation pour que la vérité jaillisse. Ce n’est pas une affaire de Pastef mais des Sénégalais », tranche Anta Dia.
Ami Dia conseille à ses bourreaux d’apprendre comment survivre en prison
Pour être allée en prison durant le régime de Macky Sall, Ami Dia s’est présentée comme une victime qui a chopé le diabète à 15 jours de sa libération. « Certains sont morts, d’autres blessés et parmi eux, certains portent toujours les séquelles des tortures », rappelle le député qui fait remarquer que si l’ancien régime était resté au pouvoir, elle n’allait pas sortir de sitôt avec les lourdes charges qui pesaient sur ses épaules : association de malfaiteurs, détention d’arme, attentat à la sûreté de l’Etat, etc. En dépit des charges, il leur était reproché leur compagnonnage avec le président de Pastef. Ce qui lui fait dire que cette loi d’interprétation est une exigence des Sénégalais. A l’endroit de leurs anciens bourreaux, elle conseille de se rapprocher des victimes et des ex détenus pour apprendre comment vivre et survivre en prison.
M. CISS










