Les employés des collectivités territoriales haussent le ton et dressent une ligne rouge face aux autorités. Lors d’un point de presse tenu hier vendredi, l’Intersyndicale des travailleurs des collectivités territoriales du Sénégal a clairement affiché son opposition à toute initiative visant à engager un acte 4 de la décentralisation sans une évaluation rigoureuse et préalable de l’acte 3. Une position ferme, assumée et argumentée, portée par des responsables syndicaux qui estiment que le Sénégal paie encore les lourdes conséquences d’une réforme mal préparée et jamais évaluée.
Prenant la parole, Daouda Badiane, président de l’Intersyndicale, a rappelé leur position lors du débat l’acte 3 de la décentralisation. «Vu la situation, on estime que les collectivités territoriales ne sont pas viables», a-t-il déploré, en s’appuyant sur les dispositions du Code des collectivités territoriales. Daouda Badiane a notamment invoqué l’article 74, qu’il juge explicite : «lorsqu’une collectivité territoriale rencontre, durant plusieurs années financières, des difficultés à régler ses problèmes financiers, elle doit être supprimée». Une disposition qui, dit-il, pose avec acuité la question de la survie de certaines communes.
Pour lui, la tare congénitale en matière de décentralisation au Sénégal est justement ce déficit d’évaluation. Il a pris pour exemple les 19 communes de la ville de Dakar, dont la viabilité financière pose un réel problème. «Le redéploiement des agents municipaux, opéré après l’acte 3, s’est fait sur la base du seul critère géographique, sans tenir compte des capacités financières des communes d’arrondissement à supporter la masse salariale». Une erreur originelle qui continue, selon lui, de produire ses effets négatifs.
C’est dans ce contexte que l’Intersyndicale tire la sonnette d’alarme face à toute projection d’un acte 4 de la décentralisation. «La collectivité locale est une entité qui donne des services. Or, pour donner des services publics, il faut être viable», a rappelé Daouda Badiane, soulignant que la ville, «est avant tout un cadre de mutualisation». D’où son appel pressant à la prudence. «L’État doit faire très attention avant d’engager une nouvelle réforme sans tirer les leçons des précédentes», dit-il.
Dans la même veine, Moussa Sissoko, chargé de communication de l’Intersyndicale, est revenu sur l’opposition de principe des syndicats à l’acte 3 dès son lancement. «L’intersyndicale s’était opposée à la réforme de l’acte 3 de la décentralisation, considérée comme improvisée et précipitée», a-t-il rappelé. À l’époque déjà, les syndicats avaient alerté sur le fait que ce seraient les travailleurs qui subiraient de plein fouet les conséquences de cette réforme.
Selon Moussa Sissoko, les communes d’arrondissement érigées en communes de plein exercice peinent aujourd’hui à décoller. Pire, «elles ont perdu les avantages dont elles bénéficiaient lorsqu’elles faisaient partie intégrante des villes. Il n’y avait pas d’étude d’impact environnementale et financière sérieuse pour juger de l’opportunité de cette réforme», a-t-il dénoncé, soulignant que «toutes les communes ne disposent pas des mêmes capacités financières». Il a cité le cas de certaines communes de la ville de Dakar, comme Cambérène, qui éprouvent de sérieuses difficultés à payer régulièrement les salaires de leurs agents.
Pour l’Intersyndicale, l’acte 3 est une «malédiction» pour de nombreuses collectivités et pour les travailleurs qui y exercent. «Ce qui est évident, c’est que cette réforme doit être évaluée», a insisté Moussa Sissoko, rappelant que les syndicats n’ont cessé d’écrire à l’État pour exiger cette évaluation, sans réponse concrète à ce jour. Parmi les revendications majeures, l’Intersyndicale annonce son intention de demander à l’État de revoir la prise en charge des agents de santé gérés par les collectivités territoriales, en la transférant au niveau des villes. Une mesure jugée nécessaire pour soulager les communes les plus fragiles, incapables de supporter le poids d’une masse salariale jugée excessive au regard de leurs ressources.
En opposant un véto syndical à l’acte 4 de la décentralisation, l’Intersyndicale des travailleurs des collectivités territoriales entend ainsi rappeler à l’État que «la décentralisation ne peut être un simple empilement de réformes, mais un processus cohérent, évalué et adapté aux réalités économiques et sociales des territoires». Sans cela, préviennent les syndicats, ce sont encore les collectivités locales et leurs travailleurs qui continueront de payer le prix fort.
BMS











