S’il y a un candidat qui se singularise parmi les cinq retenus pour la présidentielle du 24 février, c’est bien El Hadji Issa Sall. Quasiment en retrait de la mouvance de l’opposition, le leader du Parti de l’Unité et du Rassemblement (Pur), avec sa rigueur et son sens de l’organisation d’informaticien, sa discipline d’adepte des arts martiaux, sa probité morale, trace presque discrètement sa voie vers le palais, appuyé sur le solide rempart que constituent ses militants engagés et fidèles.
Issa Sall. En dehors des membres du Parti de l’Unité et du Rassemblement (Pur), de ses étudiants et des Moustarchidines, ce nom ne disait pas grand-chose aux Sénégalais, jusqu’aux élections législatives de juillet 2017. Presque anonyme, le leader et membre fondateur du Parti de l’unité et du rassemblement est un véritable «casanier», au plan politique. On ne le voit quasiment pas dans les manifestations et structures unitaires de l’opposition à laquelle il appartient. S’exprimant rarement dans la presse, contrairement aux autres opposants qui inondent quotidiennement les rédactions de déclarations, communiqués, conférences de presse, il fait aussi très rarement dans le langage virulent des opposants envers le régime.
«Il n’est pas dans les invectives, ni dans les attaques personnelles. Il n’est pas dans ça. C’est un homme pondéré. Il est dans l’échange et le débat d’idées et dans la critique constructive. Il ne parle jamais pour chercher du buzz, comme on dit», témoigne Mamadou Djité, permanant du Pur et un de ses plus proches collaborateurs.
Un as de l’informatique et un amoureux des arts martiaux, bercé par le socialisme, la religion et la probité morale
Docteur en informatique (1995), Issa Sall a fondé, trois ans après, l’Université du Sahel, qu’il dirige toujours. En tant que professionnel, l’homme maîtrise son sujet. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel faisait appel à lui lors des élections précédentes, où le parrainage était imposé aux candidats indépendants, notamment la présidentielle de 2012. Comme directeur d’université, il ne badine pas avec les règles, les principes et la discipline. Ce qui n’est point surprenant pour un adepte des arts martiaux. Ses étudiants, à qui il est interdit d’entrer à l’université avec un certain accoutrement (jeans déchirés et autres), des produits comme les boissons alcoolisées et même sucrées, en savent bien quelque chose.
Sur ses 63 ans, le candidat à la présidentielle du 24 février est un «socialiste» convaincu, qui a d’abord milité au Parti socialiste. Un parti qu’il a quitté, avant de fonder avec Serigne Moustapha Sy et autres le Pur, en 1998. Une appartenance religieuse qui n’a sans doute pas manqué de «conditionner» l’homme. «Il y a surtout sa probité morale. On ne peut pas lui reprocher un écart de langage ou de comportement. S’il a quelque chose à dire, il le fait avec des preuves à l’appui», note son collaborateur. Qui raconte que lorsque le débat sur l’existence de plusieurs fichiers a éclaté, «il a refusé de se prononcer sur la question», expliquant à ses camarades de parti qu’il n’avait pas de preuves et donc ne pouvait pas s’y prononcer.
«Il a l’amour du travail bien fait et vise l’excellence en toute chose. Pour lui, le travail est un acte de foi»
Son expertise et son expérience d’informaticien chevronné, sa discipline et sa sérénité d’adepte des arts martiaux ont sans doute forgé l’homme, connu pour son sens de la rigueur et de l’organisation, dans tout ce qu’il entreprend ou fait. «C’est quelqu’un de très méthodique, organisé, rigoureux et avec un sens de l’exaltation des résultats. Il a l’amour du travail bien fait et vise l’excellence en toute chose. Et c’est ça qui justifie les résultats honorables obtenus au parrainage. C’est lui qui a conduit de main de maître les opérations de parrainage. Il a la mystique du travail. Pour lui, le travail est un acte de foi», affirme Mamadou Djité. En effet, en une semaine, le Pur avait fini de faire le travail de collecte de parrainages, là où les autres formations politiques ont fait un mois ou plus. Et lors de la vérification des parrainages, il est sorti premier, devant même le Président Macky Sall et la toute puissante machine à mobiliser de la mouvance présidentielle.
Auparavant, lors des législatives, il a réalisé avec le Pur, une véritable prouesse lors des élections législatives, chamboulant le landernau politique. En effet, pour sa première participation à des joutes électorales, son parti, qui s’est présenté seul, est sorti 4ème, avec trois députés, derrière trois grandes coalitions. Ce qui lui a fait dire que «le Pur est le premier parti au Sénégal». Pour étayer ses propos, il souligne que seul le Pur a eu trois députés, alors que Benno Bokk Yakaar composée de 47 partis a eu 125 députés, soit 2,7 députés par parti ; la coalition gagnante Wattu Senegaal composée de 15 partis a eu 19 députés, soit 1,26 député par parti ; et la coalition Taxawu Senegaal avec 10 partis, a eu 7 députés, soit 1,16 député par parti.
Passé premier au parrainage, grâce à une base électorale large et des militants-talibés, engagés, fidèles et solidaires
Mais ce succès n’est guère surprenant. Le Pur est adossé à une solide base, constituée par le mouvement des «Moustarchidines wal moustarchidati», dirigé par Serigne Moustapha Sy. Ce dernier est d’ailleurs le président du parti. Or, en plus de leur nombre et de leur présence sur tout le territoire national et dans la diaspora, les Moustarchidines sont réputés pour leur sens de l’engagement, de la discipline, de l’organisation et de la mobilisation. C’est cela qui explique d’ailleurs le bouclage du parrainage du Pur en un temps record, mais aussi la mobilisation monstre, lors de l’investiture du candidat du parti, Issa Sall.
Des qualités et une posture qui risquent de le desservir dans le jeu des alliances
Mais dans une société et une scène politique comme les nôtres, certaines de ses qualités, comme son sens de la vérité, son attitude casanière, sa rigueur et sa fermeté risquent de devenir des défauts pour lui. Il s’y ajoute que du fait de ses relations limitées avec les leaders de l’opposition, il aura beaucoup de mal à se trouver des alliés parmi eux, en cas de besoin. Mais, pour Djité, on devrait plutôt se réjouir que son leader ait de telles qualités. «Si ses qualités doivent être sa faiblesse, je me demande dans quel pays nous sommes. Si incarner des valeurs de probité morale, être rigoureux, avoir le culte du travail et de l’excellence doivent être des faiblesses, tant mieux», assène-t-il.
Mbaye THIANDOUM