XIVE LEGISLATURE: Un rééquilibrage dans la distribution des cartes



 
Un vent de renouveau souffle sur l’Assemblée nationale du Sénégal, au sortir de ces élections législatives du 31 juillet 2022. L’électorat sénégalais a décidé de renouveler les effectifs du parlement et de rééquilibrer leur distribution, peut-être pour exorciser les scandales à répétition qui ont marqué la XIIIe législature sortante.
 
Comme sortant d’une longue apnée, la démocratie sénégalaise reprend son souffle avec force, à travers ces élections législatives. Et au-delà des contentieux qui se profilent, avec «la fraude» dénoncée par l’opposition dans les contrées du Nord fidèles au président de la République, la configuration de la nouvelle Assemblée, à travers cette 14e législature, est des plus inédites. Pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, un président en fonction perd sa majorité en cours de mandat, face à une opposition qui va occuper en force les travées de l’hémicycle. Il va falloir donc négocier, marchander, afin de dégager une majorité qualifiée et de pouvoir gouverner.
 
La marque d’une maturité du peuple
 
Le peuple sénégalais, une fois encore, a donc démontré sa maturité et sa capacité à redonner un sens à la vie politique de la nation. Avant ces législatives, il avait déjà donné le la lors des locales de janvier dernier, en montrant au pouvoir du Président Macky Sall son besoin de renouveler ses mandants. Cela s’est confirmé avec ces élections législatives, démontrant que les centres urbains, de plus en plus, tournent le dos à la majorité et mettent en selle les tenants de ce nouveau discours incarné par Ousmane Sonko et ses alliés de Yewwi Askan Wi. Cette tendance a déteint également sur l’hinterland, faisant tomber des bastions jusque-là irréductibles du pouvoir en place. Donnant ces résultats où les protagonistes se tiennent dans un mouchoir. Ce, parce que l’opposition a tiré les leçons des locales et, avec le Plan Déthié Fall, a su factoriser ses voix quand il le fallait pour minoriser la coalition au pouvoir.
 
Les protagonistes se tiennent dans un mouchoir
 
Cette situation inédite, qui donne 82 sièges à la majorité présidentielle, 80 sièges à l’intercoalition Yaw-Wallu et les 3 sièges restants à Aar Sénégal, Les Serviteurs et Bokk Gis-Gis, permet d’augurer d’une Assemblée vivante, où la voix du peuple se fera souvent entendre. Mais, cet équilibre décidé par le peuple sénégalais dans la distribution des sièges tiendra-t-il longtemps ? Il est difficile de le croire, dans la mesure où les hommes politiques sénégalais nous ont habitués à plus jouer à la girouette qu’à rester fidèles à leurs engagements premiers. Aussi, attendons-nous à des revirements, des retournements de casaques. Et même si la transhumance est sanctionnée par la loi, qui dit que tout député qui quitte la formation sous la bannière de laquelle il a été élu perd son mandat, quand le vote est secret, tout peut arriver.
 
Qui sera le chainon manquant à Benno ?
 
Maintenant, à l’analyse concrète d’une situation concrète, Benno Bokk Yakaar a besoin d’une voix pour obtenir la majorité. D’aucuns pensent que Pape Diop, député de Bokk Gis-Gis, ne rechignera pas à être ce chainon manquant dans la majorité présidentielle, d’autant qu’il avait théorisé des retrouvailles avec Macky Sall. Et si Thierno Alassane Sall, élu d’Alternative pour une Assemblée de rupture (Aar), s’était toujours radicalisé dans son opposition au régime du Président Macky Sall dont il a été le ministre, ses bisbilles avec Ousmane Sonko dont il n’avait pas digéré les accusations le feront-ils changer d’avis ? Difficile de le croire, d’autant que lui et ses alliés n’ont eu cesse de clamer durant la campagne leur ancrage dans l’opposition. Quant au néophyte Pape Djibril Fall de Les Serviteurs/Mpr, il a longtemps été indexé comme un pion de son employeur Youssou Ndour, allié du Président Sall, ce qui peut présager son ralliement à la majorité au pouvoir. Pour dire que finalement, l’équilibre demeure précaire et pour un rien la majorité basculera d’un côté comme de l’autre.
 
Retour à l’initiative parlementaire
 
Mais ce n’est pas tout d’avoir la majorité à l’installation de la nouvelle Assemblée et le démarrage de cette XIVe législature. Car en cours de mandat et en direction de la présidentielle de 2024, des mouvements pourront être notés dans les alliances au sein de l’hémicycle. Certains peuvent penser que c’est seulement de l’opposition vers le pouvoir que peuvent se faire les déplacements, mais au sein même de la majorité, certaines adversités pour ne pas dire animosités, peuvent pousser à prendre des positions contraires aux désidératas du chef et ramer à contre-courant. En tout cas, le Sénégal peut se réjouir d’avoir fait bouger les lignes et de donner un nouveau visage à son Parlement, renouvelant aussi bien l’effectif que redistribuant les cartes entre majorité et opposition. Les Sénégalais espèrent que cela les changera des débats quelque peu stériles et de la mécanique d’une majorité très peu encline à l’initiative parlementaire.
Mansour KANE
LES ECHOS

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