Une vive inquiétude plane sur le marché du sucre. Selon plusieurs commerçants et acteurs de la distribution, le pays pourrait être confronté à une pénurie dans les prochains jours si la Compagnie sucrière sénégalaise (Css) décidait de ne plus approvisionner ses entrepôts de Dakar. En cause, un déséquilibre entre les coûts réels de production, de transport et le prix de vente réglementé par l'État.
La Css, unique producteur local de sucre, fixe actuellement le prix de la tonne à 558.000 F Cfa à la sortie de son usine de Richard-Toll. À cela s'ajoutent 7000 F Cfa de frais de transport par tonne pour acheminer la marchandise jusqu’à Dakar, portant le coût total à 565.000 F Cfa la tonne. Ce prix inclut uniquement le coût d’acheminement, sans marge ni frais supplémentaires.
Or, l'État a homologué le prix du sucre à 28.500 F Cfa le sac de 50 kg, soit 600 F Cfa le kilo au détail. À ce tarif, la marge bénéficiaire par kilo est estimée à seulement 30 F Cfa, une somme jugée insuffisante par les boutiquiers et détaillants, qui doivent également assumer des coûts logistiques, de manutention et de stockage. «Avec les charges que nous supportons, vendre à 600 francs le kilo revient à opérer à perte. Ce n’est pas viable», alerte un détaillant du marché Sam de Guédiawaye.
Une tension sur l’offre nationale
Jusqu’à présent, le sucre local permettait de stabiliser le marché en complétant les stocks d’importation. Mais ces stocks importés arrivent à leur terme, et c’est désormais sur la Css que repose l’essentiel de l’approvisionnement. D’où l’inquiétude croissante : si la compagnie décidait de ne plus transporter le sucre jusqu’à Dakar, le marché serait privé de plusieurs milliers de tonnes nécessaires à la consommation quotidienne. «À ce rythme, nous allons arrêter de vendre du sucre. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre de l’argent à chaque transaction», affirme un grossiste basé au marché Mame Diarra de Guédiawaye. Un client s’alarme : «si les détaillants ne s’approvisionnent plus, ce sont les consommateurs qui vont en pâtir. Et cela risque de créer une forte tension sociale, surtout en cette période où les ménages sont déjà éprouvés par la hausse du coût de la vie».
Une intervention attendue de l’État
Face à cette situation critique, les acteurs du secteur appellent à une révision des mécanismes de fixation des prix. Certains suggèrent que l’État prenne en charge une partie des frais de transport, ou qu’une nouvelle subvention soit mise en place pour maintenir l’équilibre entre producteurs, commerçants et consommateurs. D’autres qui détiennent l’agrément suggèrent à l'Etat de libéraliser la production du sucre détenue exclusivement au Sénégal par la Css depuis 50 ans.
De son côté, la Css se montre encore discrète sur ses intentions. Mais selon plusieurs sources concordantes, l’entreprise pourrait bientôt lancer la mise en marché de sa nouvelle production. Si aucune solution n’est trouvée d’ici là, le scénario redouté de la pénurie pourrait bien se concrétiser.
En attendant, l’ombre d’un manque de sucre plane sur les étals, tandis que les commerçants, grossistes et boutiquiers se disent pris au piège d’une équation économique devenue insoluble.
Nos nombreuses tentatives de joindre un des dirigeants de la boîte, Louis Lamotte, sont restées vaines.
Baye Modou SARR
La banlieue vit de plein fouet la pénurie, le ministère du Commerce dément
Dans un communiqué, le ministère de l'Industrie et du Commerce a contesté l’existence d’une pénurie de sucre. Le marché national, argue-t-il, ne connaît aucune pénurie de sucre. A l'en croire, les approvisionnements sont assurés de manière régulière, en lien avec les opérateurs du secteur et la Compagnie sucrière sénégalaise. Ce qui lui fait dire que les informations relayées faisant état d'une supposée rupture sont infondées et non confirmées par la disponibilité de plus 35.000 tonnes, suffisante pour approvisionner le marché jusqu'en fin juillet. Non sans inviter les commerçants à éviter toute spéculation sur les prix, sous peine de sanctions prévues par la réglementation en vigueur. Le ministre d’annoncer, dans la foulée, des contrôles en cours pour garantir l'accessibilité du sucre aux prix fixés. Seulement, contrairement aux assurances du ministre, la réalité sur le terrain est tout autre. Il y a bel et bien pénurie de sucre dans presque tous les quartiers de la capitale, notamment de la banlieue. Et, les rares boutiques qui ont encore le sucre, le pauvre Goorgoorlu est contraint de débourser 700 francs pour le kilo au lieu de de 600 francs, le prix homologué. Pire, le numéro vert mis à sa disposition pour dénoncer cette spéculation reste injoignable.