Dans la semaine, l’Assemblée nationale se prononcera sur le projet de loi n°18/2025 modifiant la Redevance sur l’accès ou l’utilisation du réseau des télécommunications publiques (Rutel). Derrière ce texte technique, c’est une hausse significative de la fiscalité qui attend les ménages et les entreprises, avec un impact direct sur le prix des communications, des transferts d’argent et des paiements électroniques.
Une taxe relancée et élargie
Créée en 2008, la Rutel avait pour vocation de prélever une redevance sur les factures de téléphone et d’internet. Elle a généré plusieurs dizaines de milliards de francs Cfa avant d’être suspendue partiellement en 2012. La réforme soumise demain au vote relance ce prélèvement et l’étend à de nouveaux secteurs. Les téléphones importés mais surtout les transactions numériques, notamment le mobile money, seront désormais intégrés dans l’assiette de la taxe.
L’État vise 200 milliards de recettes annuelles
Le gouvernement justifie cette mesure par la nécessité de mobiliser davantage de ressources internes afin de financer le Plan de redressement économique et social. Il met également en avant une volonté d’alignement sur le tarif extérieur commun de la Cedeao qui prévoit l’application de droits d’importation sur les appareils de téléphonie. Avec un marché du numérique estimé à plus de 15.300 milliards de francs Cfa en 2025 et une croissance annuelle du secteur télécom comprise entre 10 et 15%, les autorités estiment que la nouvelle Rutel pourrait rapporter environ 200 milliards de francs Cfa par an.
Ce que les Sénégalais vont payer
Le projet de loi fixe un prélèvement de 0,5% sur les transactions des particuliers, à l’exception des dépôts et retraits, et de 1,5% sur les paiements marchands effectués par commerçants, petites et moyennes entreprises. Concrètement, un transfert de 10.000 francs Cfa coûtera 50 francs Cfa de plus qu’aujourd’hui. Pour une entreprise qui rémunère des centaines de salariés via mobile money, la facture des frais financiers pourrait rapidement s’alourdir et réduire ses marges de manœuvre.
Des risques pour l’inclusion financière
Les économistes et les acteurs du numérique soulignent plusieurs effets collatéraux. Dans les pays de la sous-région qui ont appliqué des mesures similaires, on a constaté une baisse des volumes de transactions comprise entre 10 et 20%, en particulier chez les ménages modestes. Le commerce électronique, les fintech et les petites entreprises pourraient voir leur modèle économique fragilisé par la hausse des coûts, qui finirait par être répercutée sur les consommateurs. Cette orientation apparaît paradoxale alors même que la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest met en place une plateforme d’interopérabilité censée stimuler l’usage du mobile money.
Un risque de retour vers le cash
Le Sénégal avait pourtant adopté ces dernières années plusieurs textes visant à décourager l’usage du cash, notamment le droit de timbre de 1% sur les paiements en espèces supérieurs à 100.000 francs Cfa. La nouvelle taxation de la Rutel pourrait avoir l’effet inverse et pousser une partie de la population à revenir vers l’informel. Cette incohérence politique est d’autant plus problématique que la majorité des Sénégalais disposent de moins de 125.000 francs Cfa sur leur compte mobile money. Dans un contexte de vie chère et de forte inflation, l’adoption de cette loi pourrait donc fragiliser les efforts d’inclusion financière.
Les appareils de téléphones taxés
Pour les appareils de téléphones fixe et mobile, c’est l’article 7 de la loi n°2008-46 du 3 septembre 2008 instituant la Rutel qui est modifié. Désormais, les appareils de téléphones fixe et mobile destinés aux personnes physiques ou morales sont recherchés en paiement des droits et taxes à l’importation et de la taxe sur la valeur ajoutée.
Samba THIAM
ENCADRE
Evolution des recettes de la Rutel
Lors de son introduction en 2009, la Rutel a rapporté entre 2 et 3 milliards de francs Cfa avec un taux de 2%. Dès 2010, son rendement s’est accru pour atteindre 5,8 milliards grâce à un taux relevé à 5%. En 2011, les recettes se sont établies à 15,9 milliards. Entre 2012 et 2015, malgré une suspension partielle, l’État a continué d’encaisser en moyenne entre 20 et 30 milliards de francs Cfa par an. La période 2016-2020 a marqué une montée en puissance avec 40 à 50 milliards de recettes annuelles. De 2021 à 2024, le produit de la Rutel oscillait entre 50 et 60 milliards par an. Avec la réforme de 2025 et l’extension aux transactions numériques, les projections du gouvernement atteignent désormais 200 milliards de francs Cfa par an.
Une réforme risquée
Si les objectifs budgétaires de l’État sont clairs, les effets attendus sur la société le sont beaucoup moins. La taxation des transactions numériques pourrait réduire l’accessibilité aux services financiers pour les plus modestes, alourdir les charges des petites entreprises et affaiblir un secteur des télécoms qui contribue déjà à plus de cinq pour cent du produit intérieur brut. En cherchant à maximiser les recettes fiscales, le risque est de ralentir l’innovation numérique, de fragiliser l’inclusion financière et de creuser la fracture sociale. L’Assemblée nationale aura donc à arbitrer entre l’impératif de financement de l’État et la protection du pouvoir d’achat des citoyens.