REVELATIONS D'AL JAZEERA ET LA FONDATION PORCAUSA : Une force de sécurité financée par l’UE pour réprimer les manifestants




 
Le gouvernement sénégalais a déployé une unité spéciale de lutte contre le terrorisme, créée, équipée et formée grâce à un financement de l'Union Européenne, pour réprimer violemment les récentes manifestations en faveur de la démocratie, révèle une enquête conjointe d'Al Jazeera et de la Fondation porCausa. Ces derniers ont obtenu des preuves visuelles, des contrats du gouvernement espagnol, un rapport d'évaluation confidentiel et des témoignages provenant de plusieurs sources suggérant que le Groupe d'action rapide de surveillance et d'intervention financé par l'UE, également connu sous le nom de GAR-SI, a été utilisé pour écraser violemment ces manifestations.
 
Une investigation conjointe menée par Al Jazeera et la Fondation PorCausa a révélé que le gouvernement sénégalais a utilisé une unité spéciale de contre-terrorisme, formée, équipée et financée par l’Union Européenne, «pour réprimer violemment les manifestations pro-démocratie». Cette unité, connue sous le nom de GAR-SI était initialement destinée à lutter contre la criminalité transfrontalière. Cependant, des preuves visuelles, des contrats gouvernementaux espagnols, un rapport d’évaluation confidentiel et des témoignages de multiples sources suggèrent son emploi dans la répression des protestations.
Dans une vidéo, argumentent nos confrères, on voit des membres du personnel de sécurité à bord du même type de véhicules blindés que l'UE a achetés pour le GAR-SI Sénégal tirer des gaz lacrymogènes sur une caravane de protestation organisée par Sonko en mai dernier. Al Jazeera a confirmé que l'incident s'est produit dans le village de Mampatim, au sud du Sénégal, à environ 50 km de Kolda, dans la région de Casamance. "Une analyse des véhicules capturés dans la vidéo filmée à Mampatim montre qu'ils correspondent au SUV URO Vamtac ST5, un modèle espagnol fabriqué par le constructeur de poids lourds galicien Urovesa. Le même modèle de voiture a été livré en présence de l'ambassadeur de l'UE au Sénégal en avril 2019 dans le cadre d'un programme d'aide visant à accroître les capacités du GAR-SI Sénégal à lutter contre la criminalité transfrontalière. L’unité a également reçu des drones, seize pick-up Toyota 4×4, une ambulance, 12 motos et quatre camions, mais il n’est pas clair si ceux-ci ont également été déployés lors des manifestations" note l'enquête.
Le rapport d’évaluation final du projet GAR-SI de 2022 indique que l’unité au Sénégal est parfois déployée pour des missions de «sécurité intérieure» en collaboration avec d’autres unités de police, sans stratégie écrite ni communication formelle au sein de la hiérarchie policière.
Cependant, cette utilisation de l’unité GAR-SI a suscité des inquiétudes parmi les groupes de droits de l’homme. Ousmane Diallo, chercheur au bureau d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, a exprimé des préoccupations, indiquant que «ces unités semblent être utilisées pour réprimer les droits humains au lieu de lutter contre le terrorisme ou de surveiller la frontière».
L’enquête révèle également des cas de gestion inappropriée et de dépenses injustifiées liées au projet GAR-SI Sahel, notamment des erreurs dans le choix de l’équipement de protection et des dépenses totalisant au moins 12 millions d’euros identifiées dans un rapport d’évaluation commandé par la Commission européenne. Cette affaire s’inscrit dans un scandale de corruption plus large en Espagne, impliquant des traitements préférentiels et de l’extorsion dans l’attribution de contrats publics et l’accès aux fonds d’aide européens.
 
L’Espagne dément
 
 
Les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur de l'Espagne ont nié l’implication de l’unité dans les manifestations. "Le ministère de l'Intérieur et la Garde civile confirment qu'il n'existe aucune preuve de l'utilisation par les autorités sénégalaises d'unités constituées dans le cadre du projet GAR-SI dans les actions susvisées" déclarent les autorités compétentes espagnoles. Le communiqué ajoute qu'il n'a pas dispensé au GAR-SI de formation en matière de sécurité «dans le contexte de manifestations ou de protestations publiques de masse» et que l'accord de projet interdit au Sénégal de «faire toute utilisation de matériels et d'équipements d'une manière qui s'écarte de l'objectif du projet [GAR-SI]».
 
 
Omerta au ministère de l’Intérieur, l’Ue ne confirme rien
 
 
Al Jazeera et porCausa ont contacté le ministère sénégalais de l'Intérieur et de la Sécurité publique, mais n'ont pas reçu de réponse avant la publication. La Commission européenne a déclaré ne disposer d'aucune information sur les unités déployées par les autorités sénégalaises lors des manifestations. «L'UE a constamment appelé les autorités sénégalaises à enquêter sur tout recours disproportionné à la force contre des manifestations pacifiques et attend un suivi approprié», indique le texte. Le porte-parole de l'UE a également déclaré que le cadre du GAR-SI était «très spécifique et clairement défini dans sa portée et ses interventions».
 
Samba THIAM
 
LES ECHOS

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