Ousmane Sonko a connu un revers le 17 novembre dernier dans sa requête déposée devant la Cour de justice de la Cedeao. Une désillusion qu’il n’espérait peut-être pas, mais qui a fait le grand bonheur de son adversaire, en l’occurrence l’Agent judiciaire de l’Etat. Dans ses recours, celui en urgence comme celui portant sur le fond, le leader de l’ex Pastef Les Patriotes, à travers ses conseils, n’a rien négligé. Il a fait des demandes fortes en réparation à l’Etat du Sénégal qui s’élèvent à plus de 1250 milliards de francs, qu’il justifie par le préjudice subi, tant lui-même, sa famille ainsi que son parti. La Cour de justice de la Cedeao ne l’a pas suivi dans ses demandes. Le journal «Les Echos» revient sur les motivations de la juridiction sous régionale.
1250 milliards de nos francs en plus de 250 millions Cfa et 20 autres millions de francs pour les frais de procédure, c’est la manne financière qui était réclamée par Ousmane Sonko à l’Etat du Sénégal devant la Cour de justice de la Cedeao. L’opposant politique justifie le préjudice causé, selon lui, par l’Etat, en violant ses droits, depuis sa radiation en tant qu’inspecteur des impôts, jusqu’à la dissolution de son parti, en passant par des déboires judiciaires où il dit avoir subi des injustices qui se justifient par l’absence de procès équitables et des droits de la défense.
Sur sa requête portant sur le fond, le leader de l’ex Pastef Les Patriotes a égrené devant la Cour toutes les violations subies. Il cite «la violation de son droit à la liberté d’aller et venir, son droit à ne pas être détenu arbitrairement, son droit à l'égalité des citoyens devant la loi, son droit d'accès à un tribunal, son droit de propriété, son droit à la sûreté de sa personne, son droit à un procès équitable, son droit à la liberté d'association et de rassemblement pacifique, son droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays». Ses demandes sont ainsi transcrites par la Cour dans son arrêt : «Dire et juger que le défendeur a violé le droit à la santé physique du requérant et à la santé morale de toute sa famille ; dire et juger que le défendeur a violé le droit du requérant à l’égalité des citoyens devant la loi, son droit à un procès équitable, son droit à ne pas être détenu arbitrairement, son droit à la liberté d'aller et venir, son droit de manifester et ce se réunir, son droit de propriété et son droit à la vie privée ; dire et juger que le défendeur a violé le droit du parti politique Pastef de manifester, de se réunir et d'exister en tant que parti politique ; ordonner en conséquence que l'appel interjeté par le requérant le 28 avril 2023 dans l'affaire l'opposant à Mame Mbaye Niang soit enrôlé ainsi que la reprise de la procédure dans l'affaire opposant le requérant à Adji Sarr conformément à l'article 307 alinéa 2 du code de procédure pénale suite à son non-acquiescement à la décision rendue par contumace et à son arrestation le 28 juillet ; ordonner au défendeur le rétablissement du parti politique Pastef, l'organisation de l'élection présidentielle de 2024 avec la participation du parti politique Pastef, ainsi que le respect des droits civils et politiques du requérant ; ordonner au défendeur de prendre toutes les mesures utiles et nécessaires au requérant pour être candidat aux élections présidentielles de février 2024 ; ordonner la mise en liberté provisoire du requérant ; ordonner au défendeur la restitution au requérant de tous ses biens emportés au cours de son enlèvement et la restitution au parti Pastef de tous ses biens confisqués par le défendeur sur l'ensemble du territoire national, cinq minutes seulement après l’annonce de la dissolution illégale».
La manne financière réclamée par Ousmane Sonko
Ousmane Sonko d’étaler, de justifier et de demander réparation pour le préjudice causé par l’Etat du Sénégal : «condamner le défendeur à payer la somme de 500 milliards de F Cfa à titre de dommages et intérêts au requérant ; condamner le défendeur à payer au parti Pastef la somme de 750 milliards de F Cfa en guise de réparation pour le préjudice matériel et moral causé ; condamner le défendeur au paiement de la somme de 250.000.000 de F Cfa à la famille du requérant ; condamner le défendeur au paiement des frais de justice de 20.000.000 de F Cfa».
S’agissant de la procédure d’urgence qui devait être examinée en référé, ses demandes ont été les suivantes :
«Ordonner au défendeur de s'abstenir de toute action de nature à aggraver le différend qui les oppose et notamment sa radiation des listes électorales et du fichier électoral ; ordonner le sursis à sa radiation sur les listes électorales en vue de l'élection présidentielle du 25 février 2024 et le rétablissement de son nom sur les listes et le fichier électoral, si la mesure est déjà prise ; ordonner la suspension par le défendeur de la mesure de dissolution ainsi que le rétablissement provisoire du Pastef dans ses droits politiques ; ordonner au défendeur de ne faire aucune action pouvant entraver les activités politiques légales du parti politique Pastef jusqu'à l'intervention d'une décision de la Cour et dans tous les cas, jusqu'après l'élection présidentielle de 2024 ; ordonner au défendeur de mettre fin à sa détention provisoire dès lors qu'il existe des mesures alterntives à la détention qui n’entravent pas ses acticités politiques».
Les conseils de l’opposant politique n’ont pas omis de mentionner que l’affaire Adji Sarr est un véritable coup monté par le régime toujours dans le dessein de l’empêcher de participer à la prochaine présidentielle.
Des accusations dégagées en touche par l’Agent judiciaire de l’Etat (Aje) qui a soutenu que c’est en plein Covid, pendant que la sortie nocturne était interdite que le requérant est sorti de son plein gré pour se rendre au Salon Sweet Beauté. L’Aje a aussi nié avoir violé un quelconque droit du maire de Ziguinchor ni violé les textes internationaux sur les droits fondamentaux.
Les motivations des juges de la Cedeao
Sur la violation du droit à un procès équitable, les conseils d’Ousmane Sonko ont invoqué les affaires Adji Sarr, Mame Mbaye Niang ainsi que la dernière procédure qui a valu à leur client un mandat de dépôt. Sur l’affaire de viol présumé et de menaces de mort, la Cour tranche : «le requérant justifie son incapacité à se rendre à l’audience par la présence des forces de l'ordre près de sa résidence. Cependant, il n'y a aucune preuve que les forces de l'ordre l'ont empêché de comparaître devant le tribunal. La simple présence de la police n'est pas un motif suffisant pour justifier l’absence du requérant au tribunal. Le requérant n'a pas fourni la preuve de faute imputable à la justice ou à l’administration comme la cause de son absence au procès. Les lois sénégalaises autorisent le jugement par contumace. L'incapacité de ses avocats à plaider dans le procès en son absence est fondée sur la loi à savoir l'article 398 du code de procédure pénale. Le requérant n'a pas établi que les juges ont profité de son absence pour commettre des abus à son détriment. Bien au contraire, les pièces du dossier indiquent que le tribunal a, en son absence, rejeté les infractions articulées contre lui en les disqualifiant en des infractions moins graves, conformément à la loi. Selon le requérant, le greffier du tribunal lui a délivré un certificat de non-acquiescement relatif au jugement rendu en son absence dans les dix (10) jours prescrits par la loi. Pour toutes ces raisons et particulièrement en raison au fait qu'il existe une possibilité de rejuger le requérant après son arrestation, la Cour dit que le défendeur n'a pas violé le droit du requérant à un procès équitable au cours de cette procédure».
Sur l’affaire Mame Mbaye Niang
La Juridiction sous régionale d’en venir maintenant à l’affaire Mame Mbaye Niang. Elle décline ainsi sa position : «Il est pertinent de noter que "l'octroi des demandes devant une cour relève de son pouvoir discrétionnaire. Le fait de ne pas faire droit à la demande d’une partie ne doit pas être interprété comme une violation de son droit à un procès équitable». (Voir Ousainoe Darboe & 31 Autres c. Etat de La Gambie). Comme indiqué à juste titre par le défendeur, la référence à son appel par la Cour d’appel chargée de réexaminer le litige est la preuve suffisante que son droit à un procès équitable et à l'accès à un tribunal n'a pas été violé encore moins son droit à un recours effectif. Par conséquent, ses allégations de violation de son droit à la défense, à un recours effectif donc à un procès équitable sont manifestement infondées et doivent être rejetés.
«Il ne ressort pas des pièces du dossier que sa détention est arbitraire»
Les «violations» portant sur les dernières poursuites faites à l’encontre du maire de Ziguinchor et qui lui ont valu une kyrielle de chefs d’inculpation et un mandat de dépôt ont aussi été examinées. Après en avoir délibéré, la Cour de la Cedeao dit ceci : «La Cour s'est toujours abstenue de s'immiscer dans les procédures judiciaires nationales, que ce soit en confirmant, en infirmant ou en annulant les jugements et décisions des juridictions des Etats membres. (…). Le requérant n'a prouvé aucune violation de son droit à un procès équitable dans le cadre des poursuites pénales engagées contre lui. Il est représenté au procès par des avocats de son choix. En effet, cette Cour a réitéré que le droit à la défense fait partie intégrante d'un procès équitable, et, tout comme le droit à la présomption d'innocence, le droit à la défense est surtout une exigence fondamentale de toute procédure judiciaire dans toutes ses phases. Vu sous cet angle, on peut considérer que le droit à la défense ne sous-entend pas seulement que les deux parties soient entendues, mais aussi que le justiciable choisisse librement la personne qui le défendra (…). Pour les raisons évoquées sous ce titre, la Cour dit que les poursuites pénales contre le requérant ont été engagées conformément aux lois en vigueur du défendeur et le requérant n'a pas prouvé qu'il avait été privé de son droit à la défense pour conclure que son droit à un procès équitable a été violé. Par conséquent, l'allégation du requérant relative à la violation du droit à un procès équitable n'est pas avérée et doit être rejetée. En conséquence, la Cour estime qu’il ne lui revient pas, dans ces conditions, d’ordonner la mise en liberté du requérant alors que celui-ci fait l'objet de poursuites judiciaires dans son pays et qu'à part des allégations non étayées indiquant qu'il est l'objet d'un harcèlement judiciaire dont le seul et unique but serait de l'empêcher de briguer la magistrature suprême de son pays lors de l'élection présidentielle du 25 février 2024, il ne ressort pas des pièces du dossier que sa détention est arbitraire».
Dissolution du Parti Pastef
Quid maintenant de la dissolution du parti Pastef ? Sur cette question non plus, la Cour n’a pas suivi le maire de Ziguinchor : «La Cour relève que les partis politiques sont régis par la Constitution du 22 janvier 2001 qui, en son article 4, définit leur objet et par la loi 81-17 du 06 mai 1981 modifiée par la loi numéro 89-36 du 12 octobre 1989. Aux termes de l'article 4 de la Constitution, «Les partis politiques et coalitions de partis politiques concourent à l'expression du suffrage dans les conditions fixées par la Constitution et par la Loi. Ils œuvrent à la formation des citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques». Cet article leur impose un certain nombre d'obligations à savoir : le respect de la Constitution ainsi que des principes de souveraineté nationale et de la démocratie, l'interdiction de s'identifier à une race, à une ethnie, à un sexe, à une religion, à une secte, à une langue ou à une partie du territoire ; le respect strict des règles de bonne gouvernance associative sous peine de sanctions susceptibles de conduire à la suspension et à la dissolution du parti dans les circonstances prévues par l'article 4 de la loi sur les partis politiques. La Cour note que la dissolution d'un parti politique peut intervenir dans plusieurs cas comme le précise l'article 4 de la loi de 1981 en cas de méconnaissance grave, de par son activité générale ou ses prises de positions publiques, des obligations qui lui incombent en vertu des articles 1 er et 4 de la Constitution et rappelées dans les engagements prévus à l'article 2 de la loi relative aux partis politiques, notamment en ce qui concerne le respect de l'ordre public et des libertés publiques. La Cour souligne qu’il ressort du dossier notamment des déclarations non contestées du défendeur que le requérant, président du parti Pastef, à travers des déclarations de presse, a fréquemment appelé ses partisans à des mouvements insurrectionnels. Ces appels ont été largement suivis, conduisant ainsi à de troubles à l'ordre public durant les mois de mars 2021 et juin 2023, occasionnant plusieurs morts et blessés ainsi que le saccage et le pillage de biens publics et privés. La Cour rappelle qu'il ressort des pièces de la procédure que l'autorité administrative compétente pour la dissolution d’un parti politique est le président de la République. Cette dissolution intervient par décret pris sur le rapport du ministre de l'Intérieur comme le précise l’article 4 de la loi de 1981 modifiée. La Cour note également qu’exerçant cette mission régalienne, le président de la République du Sénégal a, par décret, dissout le parti Pastef pour avoir méconnu ses obligations découlant des dispositions de l'article 4 de la Constitution et l'article 4 de loi n0 81-17 relative aux partis politiques. La Cour relève enfin qu'il ressort de la procédure que le requérant a exercé un recours pour excès de pouvoir contre cette décision. La Cour estime en conséquence qu'en réalité, sous le prétexte de violation de ses droits fondamentaux de l'homme, le requérant demande à la Courde s'immiscer dans les prérogatives du juge national». Les juges de la Cedeao ont ensuite invoqué l’affaire Karim Wade avant de décider : «par conséquent, elle ne saurait en l'espèce, se substituer à la Cour suprême du Sénégal».
Sur les biens saisis, la Cour estime qu’il n’y a pas de violation de propriété puisque les procédures sont toujours en cours
Sur la violation du droit de propriété, l’opposant politique a demandé la restitution de ses biens saisis, après les avoirs énumérés ; il s’agit notamment de son véhicule de marque Toyota Land Cruiser, son passeport, un revolver de marque taurus sp, une boite de munitions de calibre 38, une autorisation de port d'arme, un téléphone portable de marque IPhone, 2 téléphones portables de marque techno, un téléphone portable de marque black Berry, un ordinateur de marque Mac book pro, un grand sac de voyage, un petit sac, des habits, la somme de 2.000.000 F Cfa. Mais là non plus, il n’a pas obtenu gain de cause, «la Cour relève que les objets personnels invoqués par le requérant ont été saisis dans le cadre d'une procédure judiciaire pour les nécessités de l'enquête subséquente à une plainte qui a été portée contre lui. La procédure étant encore en cours, il ne saurait prétendre que son droit de propriété portant sur ces biens a été violé. La Cour note que s’agissant des biens du pari politique dissous, le requérant ne rapporte pas la preuve de ses allégations alors qu'il appartient à celui qui allègue la violation d'un droit d’en rapporter la preuve. En conséquence, la Cour conclut que le droit de propriété du requérant n’a pas été violé, en l'état actuel de la procédure», ont tranché les juges de la Cedeao.
Selon la Cour, la grève de la faim que le requérant a volontairement observée est à l'origine de la détérioration alléguée de son état le santé
Pour terminer, la juridiction sous régionale a motivé sur le refus portant la violation évoquée par le requérant du droit à la santé. Les conseils ont, entre autres, évoqué les violences exercées par force sur sa personne et son véhicule. Seulement, la Cour n’a pas été convaincue : «la Cour note que la possession du meilleur état de santé qu'une personne est capable d'atteindre constitue un des droits fondamentaux de tout être humain. Le droit à la santé comprend l'accès, en temps utile, à des soins de santé acceptables, d'une qualité satisfaisante et d'un coût abordable. La Cour constate qu'en l'espèce, il ressort du dossier que la grève de la faim que le requérant a volontairement observée est à l'origine de la détérioration alléguée de son état de santé. Il en résulte qu'il ne peut valablement soutenir que le défendeur a violé son droit à la santé», soutiennent ainsi les juges de la juridiction internationale avant de débouter Ousmane Sonko de ses demandes.
Alassane DRAME