REMANIEMENT MINISTÉRIEL, GOUVERNEMENT SONKO 2 : Une nouvelle ère ou un pouvoir trop concentré ?




 
 
 
Le remaniement ministériel du 6 septembre 2025, premier acte majeur de réajustement politique depuis l’arrivée au pouvoir du tandem Diomaye-Sonko, ne cesse d’alimenter les débats dans l’opinion publique et au sein de la classe politique sénégalaise. Si certains saluent une nouvelle dynamique de gouvernance, beaucoup d’acteurs de l’opposition et de la société civile y voient le signe d’une recentralisation du pouvoir autour du Premier ministre Ousmane Sonko, qu’ils accusent désormais de mainmise excessive sur les leviers de l'État.
 
 
 
Thierno Bocoum : «un agenda politique dangereux»
 
Parmi les premières voix à s’élever, celle de Thierno Bocoum, président du mouvement Agir, se démarque par sa fermeté. Tout en prenant acte du droit du régime à réaménager son équipe, il regrette l’absence de signaux forts envers la population. «Les Sénégalais attendent des résultats tangibles, pas un simple jeu de chaises musicales», affirme-t-il. L’opposant dénonce surtout l’absence de réduction du nombre de ministères, qu’il qualifie de «manquement symbolique» à l’heure où des sacrifices sont exigés du peuple.
Mais ses inquiétudes vont plus loin. Il s’inquiète de la démission anticipée du ministre Abass Fall, qu’il juge problématique dans le contexte du procès en cours contre le maire de Dakar, Barthélemy Dias. Pour Bocoum, cette démission en amont du verdict de la Cour suprême envoie un «signal équivoque» à la justice, perçue comme mise sous pression.
Le renvoi du ministre de la Justice Ousmane Diagne et la nomination de Me Bamba Cissé au ministère de l’Intérieur cristallisent également ses critiques. Selon lui, ces décisions s’inscrivent dans une volonté d’«instrumentalisation de la justice» et de «prise de contrôle» des organes régaliens de l’État. «Le ministère de l’Intérieur doit incarner une neutralité absolue. En nommant son propre avocat à ce poste, le Premier ministre alimente la suspicion», prévient-il.
 
 
 
Mamoudou Ibra Kane : «un omni-Premier ministre en roue libre»
 
Mamoudou Ibra Kane, président du mouvement «Demain c’est Maintenant», partage cette lecture critique du remaniement. Dans une déclaration très directe, il qualifie Ousmane Sonko d’«omni-Premier ministre» et accuse ce dernier de vouloir «gouverner seul, au mépris des équilibres institutionnels». Selon Kane, le chef du gouvernement concentre aujourd’hui un pouvoir démesuré, et cette situation constitue une menace sérieuse pour la démocratie sénégalaise. «Ce remaniement n’est pas une réponse aux aspirations du peuple, mais une tentative de verrouillage de l’appareil d’État. Le reste n’est que saupoudrage», assène-t-il. À ses yeux, les déclarations récentes de Sonko sur la justice trahissent une volonté claire de «mise au pas» de ce pilier fondamental de la démocratie. Mamoudou Ibra Kane appelle d’ailleurs à une mobilisation citoyenne pour faire barrage à ce qu’il qualifie de «dérive autoritaire rampante».
 
 
 
Madiambal Diagne : «une concentration de pouvoir aux mains de Sonko»
 
Le journaliste Madiambal Diagne confirme cette tendance. Il estime que le nouveau gouvernement place Ousmane Sonko dans une position centrale, avec «toutes les cartes en main», à l’exception du titre de chef de l’État. Pour lui, le Président Diomaye Faye lui a laissé une large marge de manœuvre, ce qui redéfinit profondément les rapports de force au sommet de l’État. Toutefois, Madiambal reste sceptique sur la capacité du duo à répondre aux défis du pays. Il pointe un manque de leçons tirées des premiers mois au pouvoir, évoquant les inondations, les tensions sociales et économiques persistantes, ainsi que des emprisonnements jugés arbitraires. Selon lui, le remaniement pourrait être perçu comme une «fuite en avant» plutôt qu’un réel ajustement stratégique.
 
 
 
Alioune Tine : «la justice interpellée»
 
Du côté de la société civile, Alioune Tine, fondateur du Afrikajom Center, a réagi à la nomination de Yassine Fall au poste de ministre de la Justice. Une décision qu’il voit à la fois comme symbolique et lourde de responsabilités. Il rappelle que Mme Fall avait, lorsqu’elle était ministre des Affaires étrangères, exigé l’ouverture d’une enquête indépendante sur les morts lors des troubles entre 2021 et 2024. «Elle demandait pourquoi on n’avait pas ouvert d’enquête. Maintenant qu’elle est en fonction, elle est la réponse à cette question», ironise-t-il tout en la mettant face à ses propres engagements. Pour Tine, cette nomination pourrait ouvrir une fenêtre d’espoir si elle s’accompagne d’une volonté de faire toute la lumière sur les violences passées.
 
 
 
Seydi Gassama : «la justice doit faire son travail»
 
Une perspective que partage Seydi Gassama, Secrétaire exécutif de Amnesty International Sénégal, qui appelle à renforcer les moyens de la justice pour traiter les plaintes déposées par les victimes. Il rappelle qu’une enquête indépendante aboutira nécessairement à des poursuites et que l’enjeu principal reste la capacité de l’État à garantir un traitement équitable des dossiers sensibles. «Il faut donner à la justice les moyens de rendre justice», insiste-t-il.
 
 
 
Dr Yoro Dia : «une lueur d’espoir dans la diplomatie»
 
Dans un paysage dominé par les critiques, la nomination de Cheikh Niang au poste de ministre de l’Intégration africaine, des Affaires étrangères a été bien accueillie. Dr Yoro Dia, politologue et ancien porte-parole de la présidence sous Macky Sall, y voit un message fort adressé à la jeunesse. Rappelant le parcours du diplomate, ancien ambassadeur à l’Onu, aux États-Unis, au Japon et en Afrique du Sud, il souligne son origine modeste et son influence sur une génération de jeunes de banlieue. «Le voir au journal télévisé, aux côtés du président Diouf, nous avait convaincus que tout était possible, même sans ‘bras longs’», écrit-il. Une reconnaissance rare dans un contexte politique tendu.
 
 
 
Un remaniement sous tension
 
Entre soupçons de concentration du pouvoir, accusations de manipulation de la justice et absence de mesures d’austérité face aux difficultés économiques, ce remaniement suscite plus de méfiance que d’enthousiasme au sein de l’opposition. Si certaines nominations sont saluées pour leur symbolisme, l’équilibre général de l’attelage gouvernemental reste vivement contesté.
Le gouvernement Diomaye-Sonko, en plaçant le Premier ministre au cœur de l’action, joue une carte risquée. Sera-t-elle celle du renouveau ou de l’autoritarisme ? Une chose est sûre, la société civile et les opposants restent vigilants, prêts à dénoncer tout écart qui pourrait fragiliser davantage l’État de droit au Sénégal.
 
 
 
 
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