Si la réforme du Code général des impôts vise à promouvoir la mobilisation des recettes de l'Etat, il y a un effet inverse indésirable. En effet, en instaurant différentes taxes sur les appareils téléphoniques à l’importation, l'Etat renfloue certes ses caisses, mais freine l’inclusion numérique. Tout comme les taxes d’accise élevées sur les produits prohibés, entraînent la baisse de la production, le recours au marché noir avec des produits de mauvaise qualité et dont les conséquences sont dramatiques sur la santé.
Dans le cadre du Projet pour le renforcement de la justice fiscale au Sénégal, le Forum civil a organisé un atelier de sensibilisation des journalistes et membres de la société civile sur les innovations du Code général des impôts et la justice fiscale introduites en septembre 2025. Dans un contexte où le pays est endetté à hauteur de 130% de son Pib, il y a un arbitrage à faire : mobiliser les ressources ou continuer à s'endetter. Et, pour l’expert fiscale, Pauline Codou Guèye, dite Mme Diouf, l’adoption du Code général des impôts (Cgi) entre dans ce cadre. Seulement, cette volonté de faire contribuer tous les citoyens peut avoir des contrecoups ou des conséquences négatives sur les contributeurs. En effet, en ce qui concerne l’importation d’appareils, Mme Diouf explique que le paiement de la taxe à l’importation est exigé, en plus des droits de porte et de douane pour s’aligner à la norme communautaire de la Cedeao qui exige une imposition aux droits de douane de 10%. En vue de la mobilisation des ressources domestiques.
L’Etat gagne des recettes et freine l’inclusion numérique
Poursuivant, elle a soulevé des préoccupations, notamment sur l’absence de coordination entre le Code des Douanes et le Code général des impôts. A l’en croire, en appliquant toutes ces taxes, le prix du téléphone va augmenter. Ce qui lui fait dire que l'Etat gagne en recettes et freine en même temps l’inclusion numérique en ralentissant la dynamique de pénétration des appareils téléphoniques tout en limitant l’accès des services digitaux. « Cela soulève des interrogations légitimes des populations car c’est un frein à l’éclosion de l’écosystème du mobile money, à l’inclusion numérique alors que les institutions régionales comme la Cedeao trouve la nécessité de s’adapter et d’intégrer la sphère du mobile money. Du coup, beaucoup de secteurs d’activités, notamment le commerce en ligne, sont impactés. Comme en témoignent, dit-elle, les données de l’Agence Ecofin qui révèlent que le Sénégal compte 22,7 millions de connexions mobiles, soit un taux de pénétration de 60,6% et 11,3 millions de personnes qui utilisent internet.
Quand on taxe plus, on favorise la baisse de la production des entreprises et le recours au marché noir
S’agissant des taxes d’accise sur certains produits, il ressort des explications de l’expert fiscal, qu’il s’agit d’un couteau à double tranchant. En effet, des voix s’élèvent contre la taxe de 20% appliquée aux entreprises qui organisent ces jeux, ainsi qu’une autre taxe de 20% sur les gains versés aux parieurs. S’y ajoute le rehaussement des taxes spécifiques sur les boissons alcoolisées de 40 à 75% ; la taxe sur le tabac qui est passé de 70 à 100% ; etc. Or, en taxant plus, l’activité tourne au ralenti pour les entreprises. Même si ces taxes sont imposées, de l’avis de Mme Diouf, pour dissuader la consommation de l’alcool et du tabac, à cause de leurs externalités négatives, mais aussi de la pollution et de la nuisance des entreprises. Cependant, les mêmes entreprises, estime Mme Diouf, déplorent la réduction de leurs productions et la baisse de leurs chiffres d’affaires. « Quand on taxe plus, il y a un marché noir qui s’installe, avec un accroissement des produits frelatés qui sont nocifs avec des conséquences désastreuses sur la santé. L’Etat doit certes taxer, mais il doit communiquer et accompagner les jeunes qui se trouvent dans ce cercle vicieux », plaide l’expert fiscal. Outre certains produits prohibés qui sont taxés à outrance pour dissuader les consommateurs, elle estime aussi que le sucre devrait connaître le même sort, étant à l’origine, notamment de la recrudescence du diabète.
Il faut que tout le monde paie, mais à la hauteur de ses revenus
En ce qui concerne la taxation des paiements marchands, un prélèvement de 0,5% est appliqué sur les transferts d’argent. Et, la retenue versée les 15 premiers jours du mois. Sur le plafond fixé à 2000 francs, Mme Diouf estime que le seuil est faible et préconise son relèvement pour toucher les flux financiers plus consistants. Qu’on tienne également compte, dit-elle, du citoyen lambda qui va au travail pour gagner un 2000 qu’il va envoyer pour servir de dépense quotidienne. « Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Il y a des paramètres à prendre en compte. Il faut voir la pertinence de la taxation ; prendre les données de l’Ansd et associer les sociologues, les économistes, entre autres, pour éviter les réticences. Une politique fiscale se conçoit dans le temps. Il faut que tout le monde paie, mais à la hauteur de ses revenus », fait remarquer Mme Diouf. Par exemple, s’agissant du Taf qui remplace la taxe sur les opérations bancaires, elle révèle que la taxation se trouve à deux niveaux. Sur un transfert de 100 000 francs, révèle Mme Diouf, le fisc encaisse 670 francs et le client supporte une charge de 1500 francs. Une raison qui justifie la réticence des contribuables.
M. CISS