Le dernier Avis trimestriel n°03/2025 de la Commission de protection des données personnelles (Cdp), couvrant les mois de juillet à septembre 2025, en dit long sur le fossé qui sépare les discours de la réalité. Entre refus de contrôle, manquements graves, collectes illégales et violations de la vie privée, le rapport fait trembler plusieurs entreprises et institutions. Certaines ont été mises en demeure, d’autres rappelées à l’ordre.
Les missions de contrôle de la Commission de protection des données personnelles (Cdp) ont été, pour certaines, de véritables parcours du combattant. Selon le rapport, plusieurs responsables de traitement ont refusé ou retardé les vérifications, évoquant des excuses diverses : télétravail, déménagement des locaux, ou contraintes internes. Des prétextes jugés “infondés” par la Commission, qui y voit une entrave directe à l’action publique. Résultat : trois mises en demeure ont été prononcées, notamment contre le Centre de recherche pour le développement international (Crdi) et la Nsia Banque Bénin, succursale Sénégal. Ces structures sont accusées d’avoir bloqué les agents de la Cdp, les empêchant d’accomplir leurs missions légales.
La Compagnie exclusive de négoce et d’industrie, plus connue sous le nom Exclusive Market, figure en tête de liste. Les enquêteurs y ont découvert de multiples manquements : non-déclaration de la totalité des caméras installées, existence d’un sous-traitant non déclaré, et absence d’un contrat de confidentialité. Une faute lourde, qui lui vaut une mise en demeure immédiate et le retrait du récépissé délivré par la Cdp. Le Crdi, de son côté, a refusé de collaborer, empêchant la tenue d’une mission de vérification sur son système de pointage et de contrôle d’accès. Même scénario à la Nsia Banque Bénin (succursale Sénégal), également mise en demeure pour entrave à l’action de la Cdp. Ces cas illustrent un phénomène inquiétant : certaines entreprises, y compris de renom, semblent considérer les obligations légales sur les données personnelles comme secondaires.
EMS Sénégal recalé : la plateforme “Samapièces” jugée dangereuse pour les citoyens
Autre épisode marquant du trimestre : la Cdp a refusé d’autoriser la société EMS Sénégal à exploiter sa plateforme “Samapièces”. L’objectif du projet était de simplifier l’accès des citoyens aux actes d’état civil et documents judiciaires via Internet. Mais pour la Cdp, cette plateforme manipulait des données ultra-sensibles : casier judiciaire, actes de naissance, jugements sans dispositif suffisant de protection. “Un traitement à haut risque pour la vie privée”, souligne le rapport. Une décision salutaire à l’heure où les fuites de données administratives se multiplient dans le pays.
Caméras, badges, géolocalisation : le Sénégal sous surveillance
Durant le trimestre, la Cdp a examiné 90 dossiers : 68 déclarations, 22 autorisations, une demande d’avis et une demande de dérogation. Les autorisations concernent des domaines variés : applications mobiles, sites web, géolocalisation de véhicules, vidéosurveillance et biométrie. Des entreprises connues figurent sur la liste : Philip Morris Manufacturing Sénégal, Helios Towers, Heliconia Sénégal, Loxea, ou encore la Direction générale du Trésor public, avec ses plateformes amendes.sn et tresorpublic.amendes.sn.
Mais, derrière ces formalités légales, la Cdp observe une prolifération des dispositifs de surveillance souvent mal encadrés : caméras dans les commerces, badges biométriques dans les entreprises, géolocalisation des employés… Le contrôle numérique s’installe sans garde-fou clair. La Commission de prévenir : «tout traitement non déclaré ou non autorisé expose à des sanctions».
Plaintes inquiétantes : chantages, vidéos intimes, piratages et arnaques…
Derrière les statistiques, il y a des visages. Des Sénégalais, victimes de dérives numériques. Entre juillet et septembre, la Cdp a enregistré sept plaintes et trois signalements. Les récits sont parfois glaçants.
K.T contre X : menacée de voir ses vidéos intimes publiées
Une femme, identifiée sous les initiales K.T, a été victime d’un chantage à la vidéo compromettante. Ses bourreaux ont tenté de lui extorquer de l’argent en échange de leur silence. La Cdp a transmis le dossier à la Division spéciale de la cybersécurité (Dsc) et au procureur de la République. L’enquête suit son cours.
M.C contre F.K : ses données volées, sa réputation salie
Le nommé M.C accuse F.K d’avoir collecté et divulgué ses données personnelles dans le but de le diffamer. Le dossier a été confié à la Dsc. Pour la Cdp, c’est une illustration parfaite de la violence numérique quotidienne.
N.S.N contre l’Institut sénégalais de la boulangerie et de la pâtisserie (Isbp)
Ici, le plaignant reproche à l’Isbp d’avoir traité illégalement ses données personnelles. L’établissement a été entendu, a fourni des réponses, mais le dossier reste en instruction. Un signal fort envoyé au monde de la formation professionnelle.
A.O.H contre X : victime d’un autre chantage à la vidéo intime
Encore une victime du même mode opératoire : menaces, humiliations, extorsions. La Cdp a saisi la cybersécurité pour poursuites. Ces cas de “revenge porn” explosent, selon les observateurs.
S.T contre X : arnaquée sur Internet
Dans un achat en ligne, S.T n’a jamais reçu son produit. La plainte a été transmise à la Dsc et au Parquet. Les fraudes numériques, elles aussi, se multiplient.
P.F.F contre X : piratage de compte Facebook
P.F.F a vu son compte piraté. La Cdp a alerté Meta (maison-mère de Facebook) et informé le procureur. Un cas parmi tant d’autres, symbole d’une cybersécurité encore trop fragile.
Signalements : Fastef, Clinique Dabia et Senediis dans le collimateur
Les signalements ne concernent pas que des entreprises privées. Trois structures ont été pointées pour des pratiques douteuses. Comme Senediis qui est soupçonnée d’avoir installé un système de vidéosurveillance non conforme. L’enquête est en cours. La Fastef est accusée d’avoir publié des fichiers contenant les données personnelles d’étudiants. La Cdp a demandé des explications au doyen. Autre cas : celui de la Clinique Dabia mise en cause pour caméras non autorisées dans ses locaux. Une demande d’explication a été adressée à la direction.
Samba THIAM