Après la première adresse à la Nation du Président élu Bassirou Diomaye Faye, la parole est donnée aux experts en science politique pour décortiquer le fond du discours. Enseignants chercheurs à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, El Hadji Mamadou Mbaye et Amadou Sarr estiment que le discours est rassurant et porteur d’espoir.
La première déclaration de Bassirou Diomaye Diakhar Faye à la loupe. «Diomaye a fait un discours d'apaisement des cœurs et des esprits, au regard des évènements qui sont survenus, lesquels étaient orchestrés par le gouvernement de Macky, en termes d'emprisonnement, de torture, d'intimidation», analyse Amadou Sarr, spécialiste en Science Politique. El Hadji Mamadou Mbaye, enseignant chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis d’ajouter : «c’est un discours rassembleur, d’union nationale, qui s’inscrit dans ceux d’un président ‘’normal’’ du Sénégal, un discours qui vise à réconcilier les Sénégalais de tous bords, à apaiser les cœurs. Nous ne nous y attendions pas, vu les discours de Pastef avant la campagne», analyse-t-il.
Analyser moins par les émotions et plus par la raison
Aussi, M. Mbaye prend la défense du président élu. «Je suis d'accord sur l'analyse du tweet de Macron. Je pense que nous devons davantage réagir et analyser moins par les émotions et plus par la raison», laisse-t-il entendre. «Loin d'eux l'esprit de vengeance et de chasse aux sorciers, on pouvait s'attendre à ce message parce que le contraire aurait frisé les menaces, alors que le Sénégal a besoin de paix pour le renforcement de son État de droit et la construction d'une économie performante», souligne M. Sarr.
El Hadji Mamadou Mbaye abonde dans le même sens. Pour lui, «la réconciliation est nécessaire pour rassembler tous les Sénégalais qui ont des compétences et qui sont capables de les aider à accomplir la mission lourde qui leur est confiée par les Sénégalais. Vu son manque d’expérience, il a produit ce discours rassembleur, parce qu’il a besoin de rassurer et de détendre l’atmosphère pour moins faire peur et faciliter le passage de témoin entre le gouvernement sortant et son futur gouvernement qui aura besoin de conseils et d’orientations sur les dossiers prioritaires».
L’enseignant chercheur, Amadou Sarr, lui, se projette dans la perspective. Il dégage les grands axes et les grands chantiers du président de la rupture, du changement de paradigme et de système. «Nous pouvons nous attendre à une démocratie consolidée, un Etat de droit renforcé et une économie florissante pour l'avenir, une jeunesse plus responsable et engagée. Une meilleure prise en charge de la demande sociale est aussi attendue sur le plan éducatif, sanitaire, économique, agricole, ainsi que la pêche et l'élevage», présage le politologue.
Eviter les émotions, les copinages, les "wolof ndiaye néna"
El Hadji Mamadou Mbaye d’ajouter : «espérons que les politiques, les décisions qui seront prises désormais par nos nouvelles autorités, seront moins mues par des émotions, des copinages, des "wolof ndiaye néna" et que nous serons davantage rigoureux dans les analyses et les décisions au service de la résolution des problèmes auxquels les populations sont confrontées», dit-il avant d’ajouter : «espérons que nos nouvelles autorités sauront défendre les intérêts du Sénégal, de la majorité des Sénégalais contre ceux des autres pays, mais aussi ceux des entreprises, organisations, lobbies... de l'intérieur. C'est peut-être ça le vrai patriotisme !»
Une lune de miel courte
Cependant, il rappelle les immenses attentes du peuple. Ceci grâce au discours vendu par son leader Ousmane Sonko qui est un discours d’espoir, de rationalité. «Une réelle gouvernance éthique, sobre, vertueuse, mais surtout professionnelle avec les hommes qu’il faut à la place qu’il faut. Une demande sociale forte, mais des difficultés des nouvelles autorités à répondre à la demande sociale tellement elle est forte et diversifiée, multiforme, complexe. Pour des novices à la tête de ce pays, la tâche ne sera pas facile. Je pense que la lune de miel ne sera pas longue et les Sénégalais vont très vite réclamer des résultats qui atteignent le panier de la ménagère avec la baisse du coût de la vie (électricité, eau, essence, ciment…), du travail pour les jeunes… et ça ne sera pas facile pour le nouveau président», note-t-il.
Les deux spécialistes en Science Politique d’indiquer que la campagne n’a été qu’une parenthèse, malgré toutes les propositions des différents candidats, car les populations avaient déjà pris leurs décisions de voter et de soutenir la bravoure de Sonko et de sanctionner un régime qui a été injuste, insensible au sort de beaucoup de Sénégalais.
Baye Modou SARR
ENCADRE
El Hadji Mamadou Mbaye appelle à la rationalité des politiques publiques
« En analyse des politiques publiques, nous insistons sur l'importance de la rationalité des acteurs. Ce que nous appelons le néo-institutionnalisme de choix rationnel, né aux Etats-Unis et issu des travaux de Bentham nous confirme que dans le jeu des acteurs des relations politiques, nationales et internationales, les acteurs agissent selon leur propre rationalité. Nous avons donc une rationalité instrumentale (très intéressée, celle peut-être de Macron dans ce tweet), la rationalité axiologique, celui du vote qui a poussé des millions de Sénégalais à aller voter, malgré les contraintes et la rationalité limitée, celle des acteurs politiques qui étaient dans des calculs politiciens, mais dont la rationalité est limitée car n'ayant pas assez pris en compte la maturité, la volonté et l'engagement du peuple sénégalais à s'inscrire dans un changement majeur ».
BMS