Dans un entretien accordé à l’Atlantic Council, l’ancien président sénégalais Macky Sall a rompu son silence pour répondre aux accusations de «dettes cachées» lancées par le pouvoir de Pastef. D’un ton ferme, il a dénoncé des «propos insensés», rappelant le rôle des institutions nationales et régionales dans tout processus d’endettement. Il a défendu son bilan, revendiqué ses choix d’investissements et appelé à la publication de l’audit en cours. Mais, malgré cette plaidoirie, les critiques persistent, d’autant que le Fmi lui-même parle de ‘’dettes erronées’’.
Depuis son départ du pouvoir, Macky Sall s’était jusque-là gardé de commenter la vie politique sénégalaise. Il expliquait vouloir laisser ses successeurs travailler sans interférer dans la marche de l’État. Mais, face aux accusations récurrentes de «dettes cachées», l’ancien président de la République (2012-2024) n’a pas pu rester muet. C’est devant l’Atlantic Council, think tank américain reconnu, qu’il a choisi de s’exprimer longuement lors d’un entretien dans le cadre de la promotion de son livre «l’Afrique au cœur».
«Une dette publique ne peut pas être cachée»
Interpellé sur les accusations de dettes cachées, Macky Sall a affiché son incompréhension totale face aux accusations. «J’avais choisi de ne pas parler des questions sénégalaises, mais j’ai été le premier surpris d’entendre parler de dettes cachées. Parce que c’est tout simplement insensé. Une dette publique ne peut pas être cachée, par définition», a-t-il déclaré, visiblement agacé.
S’il en est ainsi, c’est, pour l’ancien chef de l’Etat, que l’accusation relève d’une méconnaissance des procédures. Il a détaillé le processus, étape par étape, pour montrer l’impossibilité d’un endettement secret. «Une dette publique est un engagement d’un gouvernement envers un acheteur. C’est une convention financière qui doit être autorisée. Pour chaque convention de dette internationale, au minimum, un avis de la Cour suprême est requis. D’abord pour vérifier la conformité entre l’engagement du pays et cette convention.»
En d’autres termes, aucune dette extérieure ne peut être contractée sans le contrôle de la plus haute juridiction du pays, chargée de s’assurer de la compatibilité avec la Constitution et les engagements internationaux du Sénégal.
La mécanique de la Bceao
Macky Sall est allé plus loin en expliquant la mécanique régionale qui, selon lui, rend impossible toute dissimulation. «La dette extérieure est payée en devises. Nous avons une monnaie locale, le Cfa. Cette devise, quand elle provient du multilatéral ou du bilatéral, elle passe par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, qui regroupe huit pays.»
C’est cette institution, a-t-il insisté, qui reçoit les fonds extérieurs, les convertit en francs Cfa et les met à disposition du gouvernement. «Comment peut-on cacher tout cela, sans la surveillance multilatérale permanente du Fonds monétaire, sans que moi, président de la République, je n’aie jamais été informé, sans que la Cour des comptes, l’Assemblée nationale et le ministère des Finances n’en soient informés ?», a-t-il lancé, accumulant les interrogations pour souligner, à ses yeux, l’absurdité de la thèse défendue par ses successeurs.
Le rappel des réalisations
Au-delà des procédures, Macky Sall a transformé son plaidoyer en une défense globale de son bilan. S’il reconnaît avoir emprunté massivement, c’était, dit-il, pour rattraper un retard historique et placer le Sénégal sur la voie de l’émergence. «Me reproche-t-on d’avoir accéléré l’électrification, d’avoir donné au Sénégal des infrastructures qu’il n’avait jamais connues ?»
Il a cité en exemple le Train express régional (Ter), symbole de modernité, le développement des autoroutes, les projets énergétiques et la multiplication des équipements sociaux. «J’ai fait ce choix parce que j’ai fait confiance aux partenaires du Sénégal, qui nous ont fait confiance, qui ont prêté de l’argent pour construire ce développement», a-t-il poursuivi.
Dans son argumentaire, Macky Sall a assumé une logique claire : utiliser la dette comme levier pour moderniser rapidement le pays, quitte à essuyer des critiques ultérieures.
Tout en rejetant les accusations, l’ancien président a dit attendre avec impatience la publication du rapport d’audit commandité par le gouvernement actuel. «Nous aimerions voir les termes de référence et, surtout, le rapport de l’audit. Parce qu’on ne peut pas discuter, puisqu’on ne sait pas de quoi on parle», a-t-il insisté.
Pour lui, la polémique ne peut être tranchée que par des faits établis, et non par des accusations politiques.
Un plaidoyer qui ne dissipe pas les doutes
Mais, malgré cette mise au point, le doute persiste. Depuis plusieurs mois, le pouvoir issu de Pastef accuse le régime précédent d’avoir dissimulé une partie de la dette, gonflant artificiellement les marges budgétaires.
Plus troublant encore, le Fonds monétaire international a reconnu, dès mars, l'existence de « graves lacunes dans le contrôle budgétaire et la reddition des comptes», ainsi qu'une partie de la dette dissimulée et des «déclarations erronées». L’institution financière qui reste silencieuse sur sa propre responsabilité dans cette crise a ensuite reconnu travailler avec les nouvelles autorités pour « clarifier l’ampleur réelle de l’endettement » et identifier d’éventuels engagements non comptabilisés.
Cette reconnaissance, même prudente, a suffi à nourrir l’idée que le problème est bien réel. Elle place Macky Sall dans une position inconfortable : celle d’un ancien président contraint de défendre son bilan contre non seulement ses adversaires politiques, mais aussi les doutes exprimés par des institutions financières internationales réputées pour leur rigueur.
Un héritage en question
Finalement, la sortie de Macky Sall marque une étape dans la bataille des récits autour de son magistère. Loin d’apaiser les critiques, elle met en lumière la fracture entre l’ancien pouvoir et le nouveau, chacun campant sur sa version. Si Macky Sall insiste sur la transparence des procédures et la légitimité de ses choix, le gouvernement actuel entend démontrer l’existence de pratiques opaques et réclame des comptes.
Dans l’attente des résultats de l’audit, l’ancien président reste fragilisé. Car même si son plaidoyer rappelle l’ampleur des réalisations de son régime, il n’efface pas l’ombre portée par le Fmi ni la méfiance d’une partie de l’opinion publique.
Sidy Djimby NDAO
Correspondant permanent en France