Alors que beaucoup d’Africains payeraient pour oublier «le discours de Dakar», Ousmane Sonko a peut-être lavé l’affront, hier, lors de la conférence qu’il a co-animée avec le leader des Insoumis français, Jean-Luc Mélenchon, sur l'avenir des relations Afrique-Europe. Lors de cette rencontre aux allures de meeting politique, le leader de Pastef-Les Patriotes a tour à tour abordé la répression de sa formation politique par Macky Sall et le silence complice de la France et de l’Union européenne, dénoncé l’indifférence de la communauté internationale, alors que «les Palestiniens sont massacrés», réaffirmé la solidarité de son camp envers «nos frères du Sahel», dénoncé le Franc Cfa, condamné la présence de l’armée française au Sénégal et en Afrique, plaidé pour «le juste gain sur les ressources naturelles» et déclamé une Fatwa contre les homosexuels.
Dans un amphithéâtre rempli comme un œuf, Ousmane Sonko, habillé d’une belle tenue faite de «Faso Dan Fani», s’en est pris hier à l’attitude de Paris et Bruxelles lors de la répression de la contestation sous l’ancien Président Macky Sall, assimilant une déclaration du Président français Emmanuel Macron à une incitation à la «persécution».
Sonko reproche à Macron son silence devant la répression sous Macky
«Durant toute la période de persécution extrêmement violente contre tout un mouvement politique, ayant entraîné et causé la mort de plus d'une soixantaine de personnes, des milliers de blessés, plus de 1000 détenus politiques, vous n'avez jamais entendu le gouvernement français dénoncer ce qui s'est passé au Sénégal», a déclaré Ousmane Sonko, lors d'une intervention de plus d'une heure sur le thème «échange sur les relations avec l'Europe», devant l'opposant de la gauche radicale française Jean-Luc Mélenchon et des étudiants à Dakar.
Mais il n’y a pas que la France, Ousmane Sonko a accusé l'Union européenne du même silence. Sonko a accusé Macron d'avoir accueilli et «félicité» son homologue sénégalais «au pire (moment)» de la répression. «C'est une incitation à la répression, une incitation à la persécution et à l'exécution de Sénégalais qui n'avaient (commis d'autre) crime que d'avoir un projet politique», a-t-il déclaré. «La vérité, c'est que beaucoup de gouvernements européens et singulièrement français s'accommodaient mal de notre discours politique souverainiste et se sont fixé comme objectif de l'entraver. C'est ce qui explique le mutisme approbateur face à la sanglante répression du régime du Président Macky Sall contre notre parti», a-t-il dit.
Sonko dénonce le «massacre du peuple palestinien»
Poursuivant, le leader des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) dénonce, sans citer Israël, ce qu’il qualifie d’indifférence de la communauté internationale devant le massacre du peuple palestinien. «Sur la défense de la cause palestinienne, peuple aujourd'hui massacré dans l'indifférence totale de toute la communauté internationale… Le Sénégal a toujours eu une position et continue à la maintenir, et ce n'est pas pour rien que depuis la création du Comité pour la défense des droits inaliénables du peuple palestinien, ce Comité est présidé par le Sénégal», a-t-il déclaré.
«Nous ne lâcherons pas nos frères du Sahel»
Alors que les relations entre l’Union européenne notamment la France et l’Alliance des États du Sahel (Burkina Faso, Mali et Niger) sont des plus compliquées, Ousmane Sonko a dit à qui veut l’entendre qu’il est hors de question de lâcher (ses) frères du Sahel. «Nous ne lâcherons pas nos frères du Sahel et nous ferons tout ce qu’il faut pour raffermir les liens et leur apporter notre solidarité», a-t-il déclaré. Pour le Premier ministre du Sénégal, il est incompréhensible que des pays africains sanctionnent un autre pays africain pour satisfaire la France. Selon lui, il y a une politique de deux poids deux mesures et les putschistes qui sont sur le banc des accusés sont ceux qui cherchent véritablement la souveraineté pour leur peuple. «Ceux qui, aujourd’hui, condamnent des régimes considérés comme des régimes militaires ou dictatoriaux sont pourtant enclins à aller vers d’autres régimes qui ne sont pas démocratiques lorsqu’il s’agit de négocier du pétrole ou des marchés. Est-ce qu’à partir de ce moment, on peut dire qu’on se mêle de tout avec les mêmes principes ? Absolument pas. Les problèmes internes aux pays doivent être réglés par les citoyens de ces pays. Certes, personne n’encourage la commission de coups d’État, mais je refuse de faire partie de ceux qui dénoncent les symptômes tout en refusant d’analyser les causes réelles de ces coups d’État», a encore lancé Ousmane Sonko, qui a dernièrement annoncé une tournée qui le mènera au Mali, en Guinée et au Niger.
Franc Cfa : «nous optons sans équivoque pour une sortie prudente de ce système»
La question du F Cfa est naturellement intervenue lors de cette conférence. Devant ses partenaires politiques français, Ousmane Sonko n’a pas manqué de soulever les «irrégularités de la gestion monétaire» du franc Cfa. «Nous optons sans équivoque pour une sortie prudente de ce système car les banques centrales, ayant perdu toute initiative de change pour maintenir ce taux de réserve, comprime nos économies et réduisent l’activité interne par une limitation des émissions monétaires…», a laissé entendre Ousmane Sonko.
Très en verve, l’ancien inspecteur des Impôts et Domaines est allé jusqu’à caricaturer une situation pour expliquer la gravité de la question. «Imaginez que les pays africains s’endettent en devises étrangères. Ce qui les expose à des fluctuations du marché. Cela doit cesser parce que nous en subissons les conséquences. Si j’en parle, c’est qu’à chaque fois qu’un homme politique africain soulève la question monétaire, il devient le diable incarné… Nous n’avons pas le droit de parler de notre propre monnaie, ni dans nos parlements, ni dans les plateaux de télé. Nous allons imposer ce débat avec des changements qui ne sauraient tarder», a chambré le Premier ministre du Sénégal, sous les applaudissements de l’assistance.
«Rien ne justifie que le tiers de la région de Dakar soit occupé par des bases militaires étrangères»
La présence militaire française au Sénégal a également été dénoncée par Ousmane Sonko. «Je réitère la volonté du Sénégal de disposer lui-même de ses bases…», a assuré Ousmane Sonko, à propos de la présence des bases militaires françaises au Sénégal, devant le président du mouvement de La France Insoumise, Jean Luc Mélenchon qui séjourne à Dakar depuis mardi. «La volonté du Sénégal de disposer de lui-même est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal.», a fustigé le patron de Pastef. Qui précise que ceci ne remet pas en question les accords de défense. «Nous entretenons des accords de défense avec beaucoup de pays, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine même, je crois. Beaucoup de pays ont pu avoir des accords de défense sans que cela ne justifie que le tiers de la région de Dakar soit occupé par des bases militaires étrangères», a-t-il déploré, précisant qu'il s'exprimait en tant que chef du parti Pastef et non en qualité de chef du gouvernement.
Lgbtq : le Sénégal ne peut accepter une quelconque velléité de lui imposer cette propagande
Lors de cette conférence, la question des Lgbtq a sans doute été celle qui aura suscité plus de débat. Ousmane Sonko a profité de cette tribune qu’il sait suivie par les Occidentaux pour s’exprimer sur la question de l’homosexualité. Le Premier ministre a dit dans un ton on ne peut plus ferme que le Sénégal ne se laissera pas imposer cette propagande par l’Occident. «Cette question des Lgbt est à respecter quand cela relève de leurs réalités. Le Sénégal est un pays laïc et équidistant de tout… Rien, ni personne ne remettra en cause ce modèle séculaire», a indiqué le président du Pastef. Qui poursuit : «on ne peut pas nous imposer la propagande de l’homosexualité». Ousmane Sonko, terminant son propos, lance un appel à l’Occident. « Je l’invite à faire preuve de retenue, de respect, de réciprocité et de tolérance. Le Sénégal ne peut accepter une quelconque velléité de lui imposer cette propagande. Nous avons aussi un mode de vie à respecter comme nous respectons celui des autres», martèle-t-il.
Sidy Djimby NDAO