L’audience en urgence qui s’est ouverte ce mardi devant la Cour de justice de la Cedeao, opposant l’homme politique Ousmane Sonko à l’Etat du Sénégal, a été le théâtre d’une passe d’armes très musclée entre le président du tribunal et l’avocat Juan Branco. Les échanges entre le magistrat et l’avocat se sont compliquées quand le juge Traoré a insisté pour savoir ce que le bâtonnier avait répondu à la «demande» de Branco de plaider dans cette procédure. Devant l’insistance du juge, Me Branco, après avoir rappelé au président que dans le cas d’espèce il s’agissait d’un régime déclaratif et non d’un régime d’autorisation, lance à l’endroit du magistrat : «M. le Président, si vous souhaitez nous empêcher de plaider la cause de M. Sonko, vous pouvez le faire. Faites-le et ne cherchez pas de prétexte». Le juge aussi s’emporte et dit : «vous êtes impoli en disant ces genres de choses à une Cour de justice communautaire».
De l’arrogance d’un blanc pour certains, du paternaliste africain pour d’autres, la passe d’armes entre le juge Jérôme Traoré, président de la Cour de justice de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao), a fait le tour du monde. Alors que ladite cour statuait sur les recours d’Ousmane Sonko, notamment sur sa radiation des listes électorales, sur la dissolution du parti Pastef ainsi que sur une mesure alternative à la détention préventive du maire de Ziguinchor, la tension est montée entre le magistrat burkinabé présidant l’audience et l’avocat français du leader de l’ex-Pastef, Juan Branco.
Après la plaidoirie de Me Juan Branco, le juge Jérôme Traoré lui a posé quelques questions pour statuer et prendre la décision finale sur l’acceptation ou non par le bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Dakar de sa constitution pour défendre Ousmane Sonko. «Avez-vous écrit au bâtonnier de Dakar pour lui dire vos intentions de plaider dans cette procédure. Vous a-t-il répondu par l’affirmative et si oui, avez-vous fait le courrier ?», a enchainé le juge Traoré à l’endroit de Me Branco. En réponse au questionnaire, l’avocat français répond : «il a été signifié à mon bâtonnier ainsi qu’à mon confrère que je me constituais pour défendre les intérêts de M. Sonko. Sauf erreur de ma part, il ne s’agit pas d’un régime d’autorisation. Mais un régime déclaratif. Cette déclaration a été faite».
Mais ce n’est pas pour satisfaire le magistrat qui revient aussitôt à la charge : «vous vous posez trop de difficultés pour vous-même. La Cour demande : est-ce que vous avez le courrier que vous avez adressé au bâtonnier ?», lance encore le juge Traoré. Me Banco de répondre : «le courrier est disponible et il peut être transmis si vous souhaitez suspendre l’audience dans l’immédiat». Il s’en est suivi une autre question du juge Traoré : «Qu'est-ce que le bâtonnier a répondu ?» mais Me Branco campe sur sa position : «il s’agit d’un régime déclaratif et non d’un régime d’autorisation».
Juan Branco au juge : «si vous souhaitez nous empêcher de plaider, faites-le et ne cherchez pas de prétexte»
Décidément pas du tout satisfait par les réponses de l’avocat franco-espagnol, l’ex-ministre de la Justice burkinabé soutient : «quand on déclare, on regarde pour voir si on peut refuser ou pas». Là, l’avocat s’emporte et lance à l’endroit du président de la Cour : «si vous souhaitez nous empêcher de plaider la cause de M. Sonko, vous pouvez le faire. Faites-le et ne cherchez pas de prétexte».
Le juge à Branco : «vous êtes impoli…»
Une réponse du jeune avocat qui met dans tous ses états l’expérimenté juge, qui s’emporte et dit : «vous êtes impoli en disant ces genres de choses à une Cour de justice communautaire». Le juge invite l’avocat à soigner son langage. «Est-ce que vous pouvez parler plus respectueusement à la Cour ?». Me Branco répond : «je suis parfaitement respectueux de la Cour Monsieur le Président. Je souhaite plaider la cause de mon client», persiste à dire l’avocat.
Avant cela, le juge avait fini de remonter les bretelles à Me Branco quand ce dernier lui a fait remarquer qu’il y a dans la salle quelqu’un qui était en train de plaider sans robe. En effet, le président de la Cour a commencé par inviter Me Branco à ne pas se focaliser sur le sensationnel. «La Cour voudrait attirer votre attention sur ce que vous dites qui peut être interprété comme une injure à la Cour lorsque vous soutenez que vous êtes surpris de voir des gens plaider sans robe. Il s’agit d’un représentant d’un Etat. Le protocole dit que l’Etat est représenté par un agent qui se fait assister par un ou des avocat(s). Montrez-moi le chapitre ou l’article qui interdit que le représentant d’un Etat soit interdit de parler dans la Cour», a demandé le magistrat.
Le magistrat burkinabé fera une deuxième précision à l’encontre de Me Branco, se demandant même si l’avocat français connaissait la nomenclature des juridictions. «Comment pouvez-vous soutenir à une Cour communautaire que le fait d’être constitué dans une procédure devant une juridiction répressive sénégalaise est valable comme constitution devant la Cour de justice de la Cedeao ? Je m’interroge sur vos propos. Il faut éviter le sensationnel et la victimisation. Quand vous êtes devant une Cour, plaidez en droit. C’est mieux», a conseillé l’expérimenté magistrat.
Sidy Djimby NDAO