Le Président Macky Sall a viré toute l’équipe de la Commission électorale nationale autonome (Cena). Une nouvelle qui fait couler jusqu’à présent beaucoup d’encre. C’est d’ailleurs ce qui a amené Ndiaga Sylla, expert électoral, à donner son avis sur la question. Ce dernier a tenu à marquer sa désapprobation, avant d’annoncer son intention d’attaquer le décret et d’inviter tous les citoyens et les partis politique à se joindre à son action. Ce à quoi Ismaïla Madior Fall a répondu en tentant de lui clouer le bec ; mais Ndiaga Sylla a répliqué de plus belle.
C’est par le décret n2023-2152 que le chef de l’État a nommé les nouveaux membres de la Cena, avec Abdoulaye Sylla et Ndary Touré respectivement président et vice-président. Une décision que Ndiaga Sylla qualifie d’irrégulière. Il l’a fait savoir à travers Facebook. Mieux, l’expert électoral compte attaquer le décret de nomination. «En ma qualité d’électeur, j’ai décidé d’attaquer le décret n*2023-2152 portant nomination des membres de la Commission électorale nationale autonome (Cena)», a-t-il écrit avant de poursuivre ses explications. «Ce décret viole le principe de la permanence de l’organe de contrôle et de supervision des élections et son corollaire, la clause de la fin et du renouvellement des mandats (art. L.4 et L.7 du code électoral)».
Selon Ndiaga Sylla, un autre problème est à soulever : c’est le fait qu’il y ait un membre de la Cena nommé en 2018 et dont le mandat n’a pas expiré. C’est pourquoi Sylla invite tous les partis politiques légalement constitués, les électeurs ainsi que les membres de la Cena à se joindre à l’initiative pour le respect des principes démocratiques et l’intégrité du processus électoral.
Ismaïla Madior Fall : «l’auto-proclamation d’expert en droit électoral ne donne pas le droit de dire ce qu’on veut»
Une initiative que l’ancien ministre de la Justice pense infructueuse. Ismaïla Madior Fall s’est fendu d’un post sur le réseau social X (ex Twitter) pour remettre l’expert électoral à sa place. «Non mon cher Ndiaga Sylla. Vous ne pouvez pas attaquer le décret de nomination des membres de la Cena parce qu’il s’agit d’un acte administratif. Vous n’avez pas qualité et intérêt à agir», fait-il savoir.
Selon le célèbre constitutionnaliste, «seul l’intéressé, auquel l’acte, en l’occurrence individuel, ferait grief, a intérêt à agir et pourrait le contester par la voie de l’excès de pouvoir. On n’est pas en matière d’élection locale dont un électeur peut contester la régularité», renseigne Ismaïla Madior qui estime que «l’initiative groupale ne saurait juridiquement prospérer, les appels à se joindre à votre initiative, tout comme vous, n’ont pas intérêt à agir, car aucun de vos droits n’a été ni individuellement ni collectivement préjudicié». Pour clouer le bec à Ndiaga Sylla, M. Fall ajoute : «l’auto-proclamation ‘’d’expert en droit électoral’’ ne donne pas le droit de dire ce qu’on veut.»
Ndiaga Sylla : «l’éminent professeur ne devrait s’égarer dans un domaine qui lui est inconnu !»
Ndiaga Sylla a repris sa plume hier pour porter une réplique cinglante au Pr Ismaïla Madior Fall. L’expert électoral dira d’emblée : «(…) C’est un immense honneur que m’accorde le constitutionnaliste en se prononçant sur mon initiative (…)». Ndiaga Sylla demande d’abord à Ismaïla Madior Fall s’il a affaire au citoyen ou à « l’acteur politique puisqu’engagé», souligne-t-il, parce qu’il n’est nulle part mentionné sa qualité d’universitaire dans sa signature.
Entrant dans le vif du sujet, Sylla motive sa pensée et explique. «Je vous rappelle que la Cena a été créée en tant que structure permanente et indépendante afin d’assurer qu’une seule chose : la libre expression du droit de suffrage, le droit de vote. La Cena en tant qu’organe de contrôle et de supervision a un rôle important dans la conduite des processus électoraux au Sénégal», affirme M Sylla.
Selon lui, toute décision qui viole les règles relatives à sa composition, son organisation et son fonctionnement est de nature à porter atteinte à l’intégrité dudit processus. «Un telle violation compromet nécessairement l’expression libre et sincère du droit de suffrage, donc du droit de l’électeur. Une telle violation, si elle est le fait d’un décret, ne saurait se résumer à un acte administratif individuel ou collectif qui ne porterait grief qu’aux personnes qu’il concerne», dit-il.
A titre de rappel, écrit Ndiaga Sylla, «le processus électoral est préparé et organisé dans un seul but : l’expression libre du droit de vote. Le vote appartient à l’électeur et j’en suis un. Voilà ce qui fonde ma qualité et mon intérêt à agir», affirme l’expert électoral qui précise qu’il n’est pas «dans le clivage de la dualité ou de la bataille politique entre le Président M. Sall et l’opposant O. Sonko», il ne défend que l’intégrité du processus.
M. Sylla continue à tancer Ismaïla Madior Fall. «Vous ne devez pas affirmer de manière péremptoire que nous n’avons pas qualité et intérêt à quereller l’acte administratif (..). Auriez-vous méconnu le fondement juridique de la création de la Cena, rappelé dans le rapport de présentation du décret portant application (…) La capacité juridique de l’électeur dans le cadre des élections départementales et municipales que vous avez invoquée concerne particulièrement le contentieux des opérations électorales et de l’élection du bureau des Conseils départemental et municipal. L’éminent professeur ne devrait s’égarer dans un domaine qui lui est inconnu !», cogne Ndiaga Sylla, qui rappelle que ce n’est pas la première fois qu’il attaque des décrets pris par le président de la République dans le cadre du processus électoral. «Est-il besoin de vous rappeler qu’en 2014, j’avais amené le président de la République, sous vos conseils, à fondre les trois décrets fixant le nombre de conseillers à élire dans les départements, villes et communes ; ce qui jusque-là était inconnu du jargon juridique au point que la Cour suprême ait mis entre guillemets le terme «fondus», clame-t-il avant de le défier : «nous avons les arguments pour déconstruire les vôtres. Par conséquent, la justice nous édifiera. (…) je défie vos experts non autoproclamés à me rejoindre dans un débat public en la matière électorale, et ce, en attendant que le juge veuille bien se prononcer».
Ndèye Khady DIOUF