Vendredi prochain, tous les syndicats du Sénégal, ou du moins la plupart, se retrouveront en rassemblement à la Bourse du travail Madia Diop, siège de la Cnts. Réfutant toute velléité de domination sur les autres, le secrétaire général de la Cnts affirme que tous les syndicats partagent la même mission de défense des intérêts des travailleurs. A ce titre, ils se sont concertés pour décider de faire le rappel des troupes afin d’écouter, d’échanger avec tous ceux qui souffrent d’une situation à changer. Mody Guiro espère que le Pacte social auquel convient les autorités se discutera sur la base des revendications et préoccupations de tous les travailleurs du Sénégal. Première partie d’un entretien.
Les Echos : Le front social est aujourd’hui en ébullition généralisée. Peut-on dire que le Pacte de stabilité sociale est rompu ?
Mody Guiro : Le front social est en ébullition, c’est vrai. Parce que tout simplement depuis quelque temps quand même, les travailleurs et les populations sénégalaises traversent une situation un peu difficile liée au coût de la vie. Les prix grimpent, les salaires ne bougent pas trop, beaucoup de secteurs d’activités ont été bloqués, notamment celui du bâtiment qui emploie beaucoup de corps de métiers. Cela a donc eu un impact sur l’emploi, l’emploi des jeunes particulièrement. Autre élément : la grève qui se poursuit dans les collectivités territoriales depuis très longtemps ; il en est de même à la Sn La Poste qui vit une situation difficile ; c’est également la même chose dans le secteur de l’éducation avec la question des décisionnaires ; mêmes difficultés dans la santé ; il y a plus globalement les disparités de traitement dans la fonction publique, un dérèglement dans les traitements, des iniquités criardes. Ça râle dans le secteur primaire : l’agriculture, l’élevage, la pêche qui sont en état d’alerte, avec même des préavis de grève. L’enseignement supérieur, non plus, n’est pas en reste. Vous avez des licenciements tous azimuts, sans le respect des droits des travailleurs. Avec les suppressions des institutions du Hcct et du Cese, le personnel est laissé en rade, sans salaire, aucun redéploiement, aucun accompagnement. Aujourd’hui, les forces françaises vont partir, laissant des centaines de pères et mères de familles. Voua avez des licenciements au Grand Théâtre, également au niveau de la Cdc. Il y a des licenciements dans beaucoup de secteurs et sans aucune concertation ; quelquefois les droits ne sont même pas respectés, avec des CDI. Dans le secteur privé aussi, il y a beaucoup de restructurations et de licenciements. Dans le secteur de la savonnerie, le chef d’entreprise a demandé la fermeture, avec des propositions inacceptables. Ils disent qu’ils ne peuvent plus, ils ferment les portes et ce sont des centaines de travailleurs qui vont aller au chômage. Ce sont des problèmes partout. Les travailleurs affiliés à la Cnts nous interpellent. A la lumière de ce que nous vivons aujourd’hui, les centrales syndicales ont décidé de procéder à un rappel des troupes, de les écouter, de partager avec elles la réflexion et de savoir où mettre les pieds. En attendant bien sûr d’aller à cette rencontre à laquelle on nous convie. Nous ne sommes pas en guerre, nous ne sommes pas en grève, mais nous nous préparons au pire.
Dès leur arrivée au pouvoir, le Président Diomaye et son Pm ont reçu les centrales syndicales. N’était-ce pas là le début d’une relation apaisée ?
Oui, dès leur arrivée, le premier groupe qu’ils ont reçu, ce sont les travailleurs. Ce que nous avons salué, au départ. Parce qu’après tout, ce sont des camarades syndicalistes, ils ont fait du syndicalisme. Mais, au cours de cette rencontre, ce qu’ils nous ont dit était acceptable. Ils venaient d’arriver au pouvoir, jeunes, n’ayant pas une grande expérience de l’Etat et il faudrait donc prendre leurs marques, faire l’état des lieux, raison pour laquelle ils nous ont demandé de ne pas soulever des préoccupations, des revendications outre mesure pour les empêcher de travailler. C’est ce que nous avons fait. C’est pourquoi d’ailleurs, quand il y a eu 100 jours, j’ai refusé de m’adresser à la presse qui est venue m’interpeller sur le bilan. J’ai dit non, parce que j’avais pris un engagement. Mais maintenant qu’ils sont à 10 mois, les problèmes sont là, les travailleurs sont agressés de partout et ce sont nos affiliés. Je crois que c’est tout à fait normal que nous puissions faire le rappel des troupes, les écouter et échanger avec eux. En attendant maintenant que les autorités nous convoquent à cette rencontre autour du pacte, sur le contenu du pacte social.
Le rassemblement de vendredi, est-ce la coalition des centrales qui appelle ou est-ce simplement la Cnts ?
Le rassemblement va au-delà de la coalition. Ce sont pratiquement toutes les centrales syndicales du Sénégal qui vont se retrouver. C’est bien sûr sur initiative de la coalition qui a échangé avec les autres sur le projet.
Parlons du départ des EFS qui quittent le Sénégal. 162 travailleurs vont être licenciés et l’on sait que nombre d’entre eux son affiliés à la Cnts. Que comptez-vous faire pour la défense de leurs droits ?
D’abord, d’un point de vue historique, cette situation s’est déjà présentée avec le Président Abdoulaye Wade. Il a été le premier à traiter ce genre de question avec le gouvernement français, dans le cadre de la réduction des effectifs de l’armée française au Sénégal. Et à l’époque, les départs de forces françaises ont entrainé des licenciements. Moi-même j’avais participé aux négociations avec un général français dépêché au Sénégal pour négocier. Ce général, DRH des Forces armées françaises ; coiffait tout le personnel. Nous avions à l’époque négocié des conditions de départ vraiment acceptables, des primes de départ, des droits respectés… Les gens étaient partis avec entre 25 et 30 mois de salaire, plus un accompagnement dans la reconversion. Ils avaient accepté que certains travailleurs soient redéployés dans d’autres structures du gouvernement français au Sénégal ou dans d’autres entreprises françaises. Tout s’était en tout cas très bien passé. Nous voulons pour cette fois-ci encore avoir la possibilité d’avoir un accompagnement de l’Etat sénégalais. Parce que les Français qui partent, c’étaient des employeurs, qui laissent des Sénégalais sur place. Dans ces négociations, en tout cas, nous souhaitons que l’Etat puisse accompagner ses filles et ses fils pour que ce départ-là n’impacte pas négativement les familles de ces gens. Donc, les droits seront sauvegardés, c’est sûr, mais les droits ne suffisent pas. Lorsque tu construis, planifies sur la base d’un emploi, si tu perds cet emploi, tout risque de s’effondrer, la famille avec. Je pense qu’il est bon d’accompagner ces gens-là, de voir comment les redéployer. Ce que nous ne pouvons faire ; nous ne pouvons qu’attirer l’attention des autorités de la République, pour qu’elles accompagnent ces travailleurs-là, les redéployent, même dans l’armée. Car ce sont des gens qui ont des métiers et ce sont des Sénégalais. Il y a maintenant que chaque militaire avait chez lui une personne chargée de l’accompagner dans les travaux ménagers, ce sont aussi des cas à traiter, des femmes à accompagner. Il y a aussi des centaines d’entreprises qui travaillaient avec les forces françaises. C’est donc quelque chose à ne pas négliger et nous avons reçu ici en assemblée générale les travailleurs, nous discutons avec eux et nous les accompagnons ; nous pensons que l’Etat sera également attentif à leur sort.
Le contenu du Pacte social qui va être négocié semble déjà clair au vu de tous les problèmes qui assaillent les travailleurs…
Je pense qu’avant la signature d’un pacte, il y a des préalables à discuter. Il faut qu’on sache exactement comment cela va se passer, par rapport à toute cette demande sociale. Comment donc les discussions vont-elles s’engager avec les autorités de la République. Il faudrait que nous puissions écouter ou entendre un langage qui donne de l’espoir à tout le monde, qui pourrait apaiser tout le monde. Et essayer de repartir sur d’autre bases, peut-être.
Recueillis par Mansour KANE