MARCHÉS DE L’APIX POUR LA GESTION 2023 : L’art délicat de signer hors délais, d’attribuer sans critères et de transformer les marchés publics en comédie




 
 
L’année 2023 aura laissé dans les archives d’Apix SA un parfum d’inachevé, de lenteurs administratives et d’acrobaties procédurales dignes d’une pièce de théâtre. La Revue indépendante de la conformité de la passation des marchés dévoile en effet une série d’anomalies qui, mises bout à bout, dessinent un tableau où l’absurde occupe une place de choix au cœur de la gestion publique. Les montants dépassent parfois les dizaines ou les centaines de millions, mais les procédures avancent au rythme d’un char à bœufs sur une autoroute moderne.
 
 
Quand les délais s’étirent comme du caoutchouc administratif
 
Les premières pages de l’audit montrent des délais tellement prolongés qu’il serait presque plausible d'imaginer certains dossiers ayant fait un détour touristique. L’exemple le plus marquant reste la sélection du consultant chargé de l’Étude environnementale et sociale et du Plan d’action de réinstallation. Ce marché, attribué à Synergie Global Consulting pour 52.783.219,90 F Cfa, a nécessité un délai stupéfiant de quinze mois entre l’ouverture des offres et la signature du contrat, comme si la procédure avait décidé de traverser une année entière sans se presser.
Une situation presque similaire apparaît dans le recrutement du consultant chargé du suivi du Plan d’action de réinstallation du PIS2. Ce marché, attribué à Atraxis Group pour 19.588.000 F Cfa, a mis treize mois pour aboutir à une signature. Une telle durée laisse imaginer que le consultant aurait presque pu décrocher un nouveau diplôme pendant l’attente.
 
Les contrats périmés signés comme si de rien n’était
 
Au-delà des retards, l’audit met en lumière une particularité qui semble avoir trouvé sa place dans les pratiques internes : celle de signer les contrats après l’expiration de la validité des offres. Le marché attribué à Saredica, d’une valeur de 19.674.594 F Cfa, illustre parfaitement ce phénomène. Le contrat a été approuvé alors que la validité de l’offre était déjà caduque, et l'autorisation de la Commission des marchés est arrivée avant la signature, inversant ainsi toute logique administrative.
Un autre exemple similaire concerne la couverture maladie du personnel, attribuée à Sunu Assurances pour 136.516.800 F Cfa. Bien que la procédure ait été classée en urgence, l’attribution s’est déroulée sans aucune précipitation, dans un total mépris des délais réglementaires. Une urgence qui, manifestement, n’avait d’urgent que le nom.
 
Le scandale discret mais spectaculaire de Transecor
 
Certaines décisions paraissent encore plus surprenantes que les retards. Le cas de Transecor SAS constitue un exemple notable. L’entreprise devait présenter un chiffre d’affaires annuel minimum de 600 millions. Pourtant, ses états financiers indiquaient successivement 324 millions, 379 millions et 353 millions. Malgré cette incompatibilité flagrante, la procédure a continué son cours, sans réajustement, comme si les critères d’éligibilité avaient été conçus pour être décoratifs plutôt que contraignants.
 
Des marchés lourds qui avancent lentement mais sûrement
 
En marge des irrégularités les plus visibles, d’autres marchés avancent d’un pas hésitant. L’aménagement des locaux d’Apix, attribué à NG2S pour un montant de 234.651.154 F Cfa, a finalement été exécuté correctement malgré les lenteurs administratives qui ont accompagné chaque étape. Le marché portant sur le système de télégestion des stations du PIS, attribué à Sahe pour 79.148.975 F Cfa, affiche quant à lui un déroulement conforme, mais toujours dans une atmosphère générale où la lenteur semble être devenue une tradition solidement ancrée.
 
Une gestion documentaire qui joue à cache-cache
 
Au fur et à mesure que le rapport avance, une autre faiblesse structurelle se dévoile : l’absence presque totale d’un dispositif d’archivage fiable. Plusieurs dossiers sont incomplets, certaines pièces obligatoires manquent, et de nombreuses étapes ne peuvent être vérifiées faute de documentation. Cette fragilité organisationnelle donne l’impression d’une administration opérant sans mémoire, avec des archives parfois aussi insaisissables qu’un fantôme administratif.
 
Un tableau final où la satire se confond avec la réalité
 
En réunissant toutes ces observations, l’audit brosse un portrait d’Apix SA où les délais s’allongent, où les signatures arrivent trop tard, où les critères d’éligibilité sont contournés, et où les documents se perdent dans les limbes de l’administration. L’ensemble compose un spectacle où la frontière entre comédie et inquiétude se fait étonnamment mince.
Le rapport appelle à une réorganisation profonde, qu’il s’agisse de respecter les délais, de renforcer la gestion documentaire ou de garantir que les critères appliqués ne se limitent pas à un simple affichage.
Samba THIAM
 
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