Lissa Tine, disparue en 2019 alors qu’elle se rendait à Dakar ; Mourtada Mbacké, enfant de trois ans, volatilisé à Touba la même année : deux histoires, deux douleurs, une même impasse judiciaire. Alors que les familles refusent d’abandonner, les réseaux sociaux deviennent le dernier rempart contre l’oubli.
Lissa Tine : disparition en plein jour, mystère persistant
Avril 2019. Lissa Tine quitte Réfane pour Dakar. Objectif : récupérer la pension alimentaire de sa fille. Elle ne rentrera jamais dans son village natal. Les heures passent, puis les jours. Aucun signe de vie. Le téléphone reste muet. Très vite, les regards se tournent vers son ex-époux, dernier à l’avoir vue. Il sera arrêté, puis libéré, sans que la justice ne puisse trancher sur sa responsabilité.
Six ans plus tard, pas de Lissa, aucun corps, aucune preuve tangible. Juste une disparition qui s’étire dans le silence. Un nom qui s’éloigne de l’actualité, mais pas de la mémoire de ceux qui espèrent.
Mourtada Mbacké : une disparition d’enfant, un choc à Touba
Février 2019. Touba se prépare à l’élection présidentielle. Mourtada, 3 ans, joue dans la cour familiale. En un instant, il s’évapore. Aucune trace. Pas de témoin fiable. Pas d’indice. Sa disparition déclenche une onde de choc, renforcée par son appartenance à une famille maraboutique respectée.
Des recherches sont lancées, des interventions religieuses et politiques aussi. Mais rien n’y fait. L’affaire s’enfonce dans une obscurité d’autant plus inquiétante qu’elle touche un enfant. Un enfant dont la vie semble s’être dissoute sans laisser de trace.
Une justice qui peine à élucider
Dans les deux affaires, la machine judiciaire s’est mise en marche... puis s’est essoufflée. Arrestations, interrogatoires, expertises – mais aucun fil rouge n’émerge, aucune vérité ne s’impose. Le système judiciaire sénégalais montre ici ses limites : lenteurs procédurales, communication défaillante, absence de cellules spécialisées pour les disparitions prolongées. Les familles sont souvent livrées à elles-mêmes, confrontées à des démarches opaques et à des réponses insatisfaisantes. Le droit devient un labyrinthe, et les victimes, des ombres administratives.
Familles et réseaux sociaux : refuser l’effacement
Faute de réponse institutionnelle, les familles ont investi un autre territoire : celui du numérique. Facebook, Twitter, Tiktok, WhatsApp… autant de tribunes devenues outils de lutte, de mémoire et de mobilisation. Des visages sont partagés, des vidéos relayées, des hashtags lancés. Mais si ces plateformes permettent de maintenir l'attention, elles ne remplacent ni la rigueur d’une enquête ni la volonté politique. Pire, elles révèlent une réalité amère : aujourd’hui, pour ne pas disparaître totalement, il faut exister numériquement.
Deux disparus, et une même urgence
Lissa et Mourtada n’ont rien en commun, sinon leur disparition et l’incapacité d’un système à leur rendre justice. Leur histoire n’est pas close. Elle est suspendue. Et ce qui devrait être une priorité nationale reste, trop souvent, une douleur privée. Ces deux affaires interrogent le rapport à l’humanité, à la justice, à la mémoire. Car tant que des citoyens peuvent disparaître sans explication, tant que l’oubli peut gagner sur la vérité, alors c’est la société tout entière qui s’éloigne d’elle-même.
Khadidjatou D. GAYE