Vendredi 19 septembre 2025 restera comme une date clé dans la contestation citoyenne au Sénégal. À Dakar, le collectif « Rappel à l’Ordre » a réuni une foule massive d’opposants, d’activistes et de simples citoyens. Tous dénoncent l’emprisonnement de figures politiques et l’atteinte aux libertés publiques. Face à ce qu’ils qualifient de « dictature » instaurée par le régime Diomaye-Sonko, ils promettent des mobilisations hebdomadaires jusqu’à la libération des détenus et la restauration des libertés fondamentales.
Un mouvement citoyen qui sort de l’ombre
Le Sénégal bruisse d’une colère sourde qui, ce vendredi, s’est muée en action collective. À l’appel du collectif « Rappel à l’Ordre », une marée humaine s’est rassemblée pour dire non à « la dérive autoritaire » du pouvoir en place. L’itinéraire initial du Fastef au rond-point Jet d’Eau a été modifié par les autorités. Mais cela n’a pas entamé la détermination des manifestants, qui ont tenu leurs discours près du Terminus Dakar Dem Dikk à Liberté 5.
Cette marche pacifique, encadrée par un dispositif sécuritaire impressionnant, a vu converger des figures de l’opposition, des leaders d’opinion et des citoyens ordinaires. Tous avaient un mot d’ordre : dénoncer « l’étouffement de la liberté d’expression » et réclamer la libération des détenus d’opinion.
Les « otages politiques », symbole d’une dérive
Les noms reviennent comme un leitmotiv, scandés par la foule et repris au micro des orateurs : Farba Ngom, Badara Gadiaga, Abdou Nguer, Lat Diop, Khadim Ba, Tahirou Sarr… Autant de personnalités et de militants que les manifestants qualifient de « détenus politiques ». Pour Pape Malick Ndour, ancien ministre de la Jeunesse, « nous sommes désormais convaincus que Badara Gadiaga, Abdou Nguer et les autres sont des détenus d’opinion. Ce n’est pas conforme à la Constitution. Pastef doit comprendre qu’il y avait un régime plus puissant que lui, celui de Nimroud, mais il a été vaincu. Les détenus politiques ont été envoyés en prison sans arguments, dans une injustice totale et flagrante. Il est temps de libérer l’économie sénégalaise, de libérer les commerçants, de libérer les parieurs. Résistez et toujours résistez ! ».
Dans une tonalité quasi incantatoire, Moustapha Diakhaté, ancien président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar, a enflammé la foule, « Répétez avec moi : liberté par force, démocratie par force ! Pastef dégage, Sonko dégage ! Nous sommes prêts à tout pour qu’ils quittent le pouvoir. Libérez tous les otages politiques. À bas le fascisme ! ».
Des accusations directes contre le tandem Diomaye-Sonko
L’événement a été marqué par la présence de plusieurs ténors de l’opposition, dont Abdou Mbow, député de l’Apr. Devant la foule, il a dénoncé sans détour. « Des Sénégalaises qui avaient placé leurs espoirs en Ousmane Sonko et son parti ont pris l’initiative de cette manifestation. Toutes ces promesses faites aux Sénégalais n’ont pas été respectées. Aujourd’hui, la liberté d’expression est bafouée. L’actuel régime veut instaurer une dictature, mais les Sénégalais ne l’accepteront jamais. Il est temps de sonner la mobilisation pour que Sonko et Pastef quittent le pouvoir. ».
Le député Pape Djibril Fall, présent lui aussi, a renchéri : « c’est la République qui est transformée en camp et en clan. Nos dirigeants sont clivants, claniques et privilégient le camp au détriment de la patrie, ce qui peut conduire à une catastrophe. Le régime actuel reproche deux choses aux Sénégalais : le délit d’opinion et le délit d’ambition. ».
Quant à Thierno Alassane Sall, il a pris à partie la justice. « Il ne peut y avoir de paix sans justice. Si vous voulez la paix dans ce pays, il faut qu’il y ait justice. Abdou Nguer a été envoyé en instruction sans raison, tout comme d’autres personnes. Les événements de 2021 et 2024 n’étaient pas liés à un seul individu, mais à un sentiment largement partagé : l’absence de justice. ».
Un contexte économique explosif
La mobilisation ne se limite pas à la question des libertés publiques. Les organisateurs et les manifestants ont également pointé du doigt la situation économique qu’ils jugent « morose et insoutenable ». Pour Pape Malick Ndour, « ils sont incapables de diriger ce pays, c’est pourquoi je vous demande de résister et de toujours résister ». Même son de cloche chez Pape Gorgui Ndong, ancien ministre de la Jeunesse. « Le Sénégal des libertés, le Sénégal des progrès, nous sommes face à un régime destructeur. Prenez date : la vraie révolution va démarrer dès maintenant. La jeunesse doit prendre le pouvoir. Liberté pour le Sénégal, libérer la justice. ». Les militants du collectif « Rappel à l’Ordre » dénoncent l’injustice sociale croissante et les licenciements « abusifs » remplacés par des militants du Pastef, ce qu’ils qualifient de « violence inacceptable ».
Une dynamique qui promet de s’intensifier
« Ils ont saboté notre itinéraire mais nous ne flanchons pas et chaque vendredi on marchera jusqu’à avoir gain de cause », promet Abdou Karim Guèye, dit Xurum Xax, figure charismatique du mouvement. L’annonce est claire, si les détenus politiques ne sont pas libérés, les manifestations se poursuivront chaque semaine, gagnant en intensité et en visibilité. Cette stratégie vise à maintenir la pression sur un régime que les manifestants accusent d’« étouffer la démocratie ».
Le collectif, né d’une convergence entre société civile, opposition et activistes, entend ainsi devenir le fer de lance d’un nouveau cycle de contestation populaire, qui pourrait profondément reconfigurer le paysage politique sénégalais.
Le temps de l’escalade
À l’issue de la marche, une certitude émerge : « Rappel à l’Ordre » n’a pas l’intention de s’arrêter. Si les détenus politiques ne sont pas libérés et si les libertés publiques ne sont pas rétablies, chaque vendredi pourrait voir grossir le cortège de la contestation. Dans un pays où la rue a souvent été l’arbitre des grandes transformations, ce mouvement citoyen se pose déjà comme le catalyseur d’un nouveau rapport de force. Et ses slogans résonnent comme un avertissement : « Liberté ou résistance », « À bas le fascisme », « Pastef dégage ».
Baye Modou SARR