LE COMMANDANT MALICK TALL S’INQUIETE POUR AIR SENEGAL: «Ce que nous constatons, c'est qu’on va droit vers le mur»



 
Ancien Directeur des opérations d’Air Sénégal International, le commandant Malick Tall est une voix autorisée dans le domaine du transport aérien, au Sénégal et en dehors du pays. Et le diagnostic qu’il fait de la situation actuelle d’Air Sénégal SA est loin d’être rassurant. Pour lui, la compagnie nationale, minée par la gestion et les choix de son équipe dirigeante, pointe le nez vers le sol. Et elle va se crasher, si l’Etat, que lui et d’autres spécialistes n’ont cessé d’alerter, continue de faire la sourde oreille. 
 
Air Sénégal, dirigée par le duo Bohn-Maillet, est mal partie. C’est la conviction du Commandant Tall, invité hier de «Jury du dimanche» sur I-radio. «On voulait faire de cette compagnie une compagnie prestigieuse, dotée d'outils de travail performants. Mais, ils ont été chercher des avions qui ont 15 ans d'âge, dans des conditions qui ne sont pas du tout transparentes. Ces avions-là, à mon avis, travaillent aujourd'hui à perte», a déclaré le pilote de profession, qui a fait les beaux jours de la défunte compagnie Air Afrique. En effet, jusqu’à la semaine dernière, avec le nouveau Airbus A330 néo qui fait désormais la ligne Dakar-Paris, Air Sénégal exploitait 2 ATR 72-600 sur sa ligne Dakar-Ziguinchor. Une ligne jusqu’à présent pas du tout rentable. Pire, la compagnie, qui a eu à perdre à la fois ses deux appareils, à cause d’intempéries et de choc avec un oiseau, n’en a récupéré pour le moment qu’un, qui a repris les vols sur Ziguinchor. L’autre appareil, A319, loué à la compagnie nationale ivoirienne, dont il est le plus vieux avion, fait la ligne Dakar-Abidjan-Cotonou, mais sans trop grand succès financier, vu les charges locatives. 
«Une compagnie, pour qu'elle soit pérenne, il faut une gestion orthodoxe, des choix éclairés et une vision claire. Mais là, ce n'est pas le cas»
 
S’agissant de l’acquisition d’un A330 néo livré la semaine dernière, le Commandant Tall trouve qu’on pouvait faire mieux, à l’instar d’autres compagnies comme Rwandair. «Aujourd'hui, le Sénégal a déboursé 82 milliards pour la A330 néo.  22 milliards sous forme d'avance et 60 milliards  décaissés le 8 mars dernier. Rwandair a pris deux A330 néo louées à une compagnie américaine. Elle a sorti 1,5 milliard de francs Cfa pour que l'avion soit à disposition. Nous, on a déboursé 82 milliards», note-t-il. Critiquant les choix de l’équipe dirigeante de la compagnie nationale, l’ex-Directeur des opérations d’Air Sénégal international est d’autant plus fondé à le faire que ce que fait actuellement  le Dg Philippe Bohn et son équipe est loin de ce qui a été retenu dans l’étude de faisabilité. «Moi j'ai travaillé sur l'étude de faisabilité d'Air Sénégal SA avec un des plus grands cabinets mondiaux dans le domaine. Mais, entre ce qu'on prévoyait et ce qui se réalise, il y a une marge», soutient-il. Poursuivant, il affirme que cette étude,  mise à la poubelle, proposait l'achat de deux Atr72, de deux A319 en leasing, d’un Airbus 330Co200. Le tout, précise-t-il, dans le capital de 40 milliards F Cfa de la compagnie nationale. Pour lui, Air Sénégal, encore très jeune et fragile, gagnerait plus avec un Airbus 330Co200,  qui, «économiquement, permettait de faire des profits», qu’avec un A330néo, acquis à un coût très élevé et avec lequel elle «ferait difficilement du profit». Très sceptique sur les choix et la gestion d’Air Sénégal, le commandant Tall ne cache pas ses craintes pour son avenir. «Une compagnie, pour qu'elle soit pérenne, il faut une gestion orthodoxe, des choix éclairés et une vision claire. Mais là, ce n'est pas le cas», assène-t-il. Et de conclure en se demandant si le gouvernement sait vraiment ce qui se passe dans la nouvelle compagnie nationale, où il a mis pas moins de 40 milliards comme capital de base. «Est-ce que les autorités savent exactement ce qui est en train de se passer ? Est-ce qu'elles ont les tenants et les aboutissants ? On a essayé de les alerter, on a essayé de discuter avec elles. Mais pour l'instant, ce que nous constatons, c'est que là on va droit vers le mur».
Mbaye THIANDOUM
 

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