Réunis devant les locaux de la 7Tv à Dakar, journalistes, patrons de presse, jeunes reporters, syndicalistes et responsables politiques ont tenu un sit-in pour dénoncer les arrestations jugées arbitraires de Maïmouna Ndour Faye et Babacar Fall. Au-delà des cas individuels, c’est tout un front pour la défense des libertés qui s’est levé face à ce que beaucoup considèrent comme une dérive inquiétante du nouveau régime.
Dakar, ce jeudi 30 octobre 2025, a vibré au rythme d’une colère contenue et d’une solidarité retrouvée. Devant les locaux de la 7Tv, l’un des derniers bastions de la presse indépendante sénégalaise, la mobilisation était à la fois symbolique et politique. Une foule dense, composée de journalistes, de cameramen, de syndicalistes, de représentants d’organes de presse, mais aussi de figures politiques de tous bords, s’est réunie pour dire non à l’intimidation et pour rappeler que la liberté de la presse n’est pas négociable.
Les visages étaient graves, les pancartes explicites : “Liberté de la presse”, “Non à la censure”. Les mots, eux, portaient le poids de l’histoire et l’urgence du moment.
Le président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse (Cdeps), Mamadou Ibra Kane, a donné le ton. Pour lui, cette mobilisation dépasse le simple cas de Maïmouna Ndour Faye et de Babacar Fall. «Aujourd’hui est un moment fort, car nous avons pu surmonter les tentatives de remise en cause de la liberté de la presse», a-t-il lancé devant la foule, rappelant que les deux journalistes, désormais libres, n’avaient “nullement été incriminés par la justice”. Il a dénoncé un “acte politique visant à isoler la presse” et rappelé que “donner la parole à une personne poursuivie n’est pas un crime”.
Dans un parallèle saisissant, il a rappelé qu’en 2023, Ousmane Sonko, alors dans l’opposition, avait été interviewé par Pierre-Édouard Faye alors qu’il se cachait à Ziguinchor : “ce n’était pas un soutien politique, mais l’exercice normal du pluralisme médiatique”. La liberté de la presse, a-t-il martelé, “ne doit pas être à géométrie variable selon le pouvoir du moment”.
Pour Kane, le gouvernement veut “liquider la presse privée” : l’État, dit-il, “refuse de payer ses dettes aux entreprises de presse et bloque l’aide votée par l’Assemblée nationale”. Le Premier ministre est même accusé “d’avoir ordonné aux organes de l’État de résilier leurs contrats publicitaires avec la presse privée”. Pour Mamadou Ibra Kane, cette politique “traduit une volonté d’instaurer un parti-État”. Sa conclusion, vibrante, a résonné comme une mise en garde : “mais le parti-État ne passera pas au Sénégal ! Nous ne reviendrons pas sur les conquêtes démocratiques pour lesquelles nos anciens se sont battus.”
Maïmouna Ndour Faye s’explique
Fraîchement libérée après sa garde à vue, Maïmouna Ndour Faye a tenu à remercier la “mobilisation fraternelle” de la presse et du peuple sénégalais : “je n’ai jamais voulu attenter à la sécurité de l’État ni à l’autorité de la justice. J’ai simplement exercé mon droit d’informer.” Son ton était à la fois ferme et apaisé, comme pour désamorcer toute polémique juridique : “j’ai donné la parole à un homme faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international, car les Sénégalais avaient droit à une autre version des faits. Ce n’est ni un terroriste, ni un rebelle. C’est un citoyen qui méritait d’être entendu.”
Elle a également dénoncé la coupure du signal de 7Tv et de Tfm sur la TNT, une mesure “illégale”, selon elle, puisque “seul le Cnra est compétent” pour agir en la matière. “J’appelle le ministère de la Communication à respecter la loi”, a-t-elle conclu.
Autour d’elle, la solidarité du métier était palpable. Souleymane Niang, directeur de l’information du Groupe Futurs Médias, a pris la parole au nom de Youssou Ndour et de toute son équipe. “Nous sommes heureux de constater que notre profession fait preuve d’unité autour de valeurs communes : la vérité, la solidarité et la déontologie.” Il a rappelé que “le devoir d’un journaliste n’est pas d’assurer le confort émotionnel de qui que ce soit, mais de dire la vérité”.
Son discours a touché au cœur même du débat : “notre code de déontologie nous autorise, dans certains cas, à transgresser la loi si c’est au nom de la vérité. Cette valeur est supérieure à toute autre.”
La voix des jeunes n’était pas en reste. Mamadou Diagne, président de la Convention des jeunes reporters du Sénégal (Cjrs), a rappelé la précarité croissante des jeunes journalistes : “les reporters sont de moins en moins payés, les conditions de travail se dégradent. L’aide à la presse doit être débloquée et utilisée pour assainir le secteur.”
Il a appelé à “un dialogue franc entre l’État et les patrons de presse pour construire un écosystème médiatique pérenne et viable”. Mais son ton s’est durci lorsqu’il a évoqué les arrestations : “voir des journalistes menottés, embarqués sur leurs lieux de travail, c’est une image insoutenable. Cela ne doit plus se reproduire.”
Dans la foule, un slogan revenait avec insistance : “Soutenir la presse, c’est défendre la démocratie.” Et à en juger par la ferveur, la presse sénégalaise n’a pas dit son dernier mot.
Sidy Djimby NDAO